Atlantico : L’intention n’est pas de faire « appel d’air » explique Elizabeth Borne. Ses opposants pensent l’inverse. Est-ce qu’il y a un risque de régularisation massive sans respecter les critères d’intégration ? Va-t-on sans le vouloir régulariser des individus pro-Hamas?
Jean-Paul Gourévitch : Le débat qui s’est polarisé sur l’article 3, la régularisation de migrants irréguliers dans les métiers en tension, est piégé par des sous-entendus politiques. Cette loi ne concernerait qu’environ 7000 personnes alors que chaque année l’Etat en régularise environ 30 000, notamment des étrangers malades, des parents d’enfants scolarisés et des travailleurs en situation illégale. La loi immigration ne fait que transposer dans le droit une pratique qui existe dans les faits. Elle comporte par ailleurs deux verrous.
Le titre de séjour n’est que d’un an même s’il est renouvelable, et cette « expérimentation » sera évaluée en décembre 2026. La dénonciation d’un « appel d’air » qu’il générerait chez des candidats à l’immigration me paraît relever de la posture politique et être plus polémique que scientifique.
Pourquoi la droite s’arc-boute-t-elle sur cette position qui sera difficile à tenir face à une réalité qui requiert une approche pragmatique ? Je hasarderai ici une hypothèse. Celle du « grand marchandage ». Ce serait la résultante de la confrontation entre une majorité présidentielle composite et des Républicains dont quelques-uns sont en décalage avec la ligne de leurs chefs de file.
On affiche de part et d’autre des « lignes rouges » avant d’entrer dans une négociation qu’il faudra bien engager si on ne veut pas recourir au 49.3. Les enjeux seraient une acceptation de l’article 3, éventuellement aménagé, contre un durcissement de l’accès aux soins avec une évolution partielle de l’AME (Aide Médicale d’Etat) vers une AMU (Aide Médicale d’Urgence) et des restrictions apportées à la procédure dite des « étrangers malades » qui constitue largement un détournement du droit d’asile.
Cette négociation générerait d’importantes économies pour l’Etat, outre les rentrées fiscales et sociales de la régularisation, car l’AME coûte actuellement, selon l’estimation prudente de notre étude pour Contribuables Associés, 1,3 Milliard d’euros et la procédure d’étrangers malades 250 millions. Et surtout elle tordrait le cou à l’idée que les « clandestins » bénéficient de « privilèges » interdits aux « Français qui se lèvent tôt ».
Arnaud Lachaize : L’intention n’est jamais de faire appel d’air évidemment. Cependant, le dispositif qui est mis en place ouvre une voie extrêmement large à la régularisation et prépare un violent appel d’air. C’est la première fois que la loi française crée un droit à régularisation après une période de 3 ans sur le territoire français (dont une expérience professionnelle de 8 mois pendant les 24 derniers sur un métier).
La loi du 10 mai 1998 ou loi Chevènement, créait un droit à régularisation après 10 ans de séjour avérés. Cette facilité avait été abolie sous Sarkozy en 2006 à cause d’abus constatés. Aujourd’hui, le projet Darmanin recrée un droit à régularisation dans la loi, fondé sur la durée du séjour assortie d’une brève expérience de travail, mais au bout de 3 ans seulement ! Pas 10 mais 3 ans ! On ouvre la voie à une véritable industrie de faux documents, certificats, recrutements fictifs sur 8 mois. En réalité, l’Etat s’apprête à renoncer à tout contrôle sur le flux migratoire.
L’appel d’air est inévitable. Quand l’Espagne et l’Italie ont fait à peu près la même chose dans les années 2000, cela a entraîné un afflux massif de centaines de milliers de migrants. C’est pourquoi elles y ont renoncé. Dans le monde entier, on saura que la France régularise au bout de seulement 3 ans : l’appel d’air sera inévitable comme tant d’exemples l’ont montré.
Quant au droit au travail immédiat pour certains demandeurs d’asile, il ouvre une nouvelle brèche dans le détournement du droit d’asile : les demandeurs d’asile déboutés qui auront commencé un travail pourront, encore moins qu’aujourd’hui, être éloignés puisqu’ils auront un travail légal… C’est quasiment un droit à régularisation assuré, dès le dépôt de la demande d’asile, qu’on met ainsi en place qui n’existera qu’en France. Là aussi l’appel d’air s’annonce inévitable.
Déjà en 2022, les flux migratoires ont battu tous les records historiques avec 315 000 premiers titres de séjour et 150 000 demandeurs d’asile (pour environ 190 000 premiers titres de séjour et 40 000 demandeurs d’asile dix ans plus tôt). Le pouvoir macronien s’apprête à faire encore beaucoup plus fort…
Bien sûr qu’avec ces mesures, l’Etat se prive encore bien davantage qu’aujourd’hui de tout contrôle sur les flux migratoires. Evidemment que cette mesure de régularisation, qui sera massive, facilite la régularisation de militants pro-Hamas ou pro-Daesh même s’ils ne sont pas connus comme tels au moment de leur régularisation.
MT