La France voulait un accord qui semblait impossible à trouver. L’Allemagne posait ses conditions assez crânement pour un pays dont le bilan carbone de son électricité est calamiteux. Un accord a été trouvé mi-octobre, l’occasion pour l’exécutif de se féliciter de cet accord qui permettrait de réduire les envolées de prix. Mais le contenu de l’accord n’est vraiment pas motif à satisfaction pour nous...
Protection des rentes et prix excessif en France
Comme le pointait Bruno Le Maire il y a plus de deux ans, le système de fixation du prix de l’électricité est aberrant, faisant reposer le prix consommateur sur le prix des dernières productions. Ce faisant, le prix de l’électricité dans l’UE dépend du prix des centrales à gaz, qui sont les ressources les plus flexibles, ce qui a provoqué une envolée des prix avec la guerre en Ukraine et les sanctions prises à sa suite. Le nouvel accord doit réduire cette volatilité, mais la Tribune pointe que cette réforme ne fait que « lisser l’impact de la volatilité des cours du gaz sur les factures sans modifier structurellement le fonctionnement du marché de gros ». En clair, le progrès sera limité, et il ne repose sur une réforme structurelle, mais sur l’addition de nouveaux mécanismes compensatoires, des PPA, contrats d’achats d’électricité de long terme à un prix décidé d’avance, qui pourraient bien être une nouvelle usine à gaz à l’issue incertaine.
D’abord, il faudra juger sur pièces le nouveau mécanisme avant de crier victoire. Un prix plus stable mais structurellement trop élevé ne serait pas une si bonne chose. Ensuite, si la volatilité était un problème du système actuel, il était loin d’être le seul. En France, la hausse continue du prix de l’électricité, que l’Etat dit limiter par rapport à la formule de fixation des prix, est totalement artificielle alors que le coût de production de 90% de notre électricité est largement stable. Autre problème, lié, le système actuel produit surtout des profits records ce qui laisse penser que le prétendu « marché européen » est surtout une formidable rente pour tous les vendeurs d’électricité. Troisième problème : le principe d’un prix uniformisé malgré des sources de production aux coûts très différents dans toute l’UE, est seulement un moyen de priver la France d’un avantage compétitif cohérent avec nos investissements passés.
Problème, l’accord annoncé ignorer ces trois faiblesses majeures du dit marché européen de l’électricité. Rien n’est dit sur l’évolution à long terme des prix, et ce n’est pas parce que les prix seraient moins volatiles à court terme que leur lucrative hausse s’arrêtera. On peut penser ici que les profits gargantuesques du secteur de l’énergie (qui battent tous les records en 2023) n’étaient pas un sujet de discussion des ministres, passés à côté d’une anomalie criante du « marché » actuel. Au contraire, l’accord mentionne son souci de prévisibilité de rentabilité des investisseurs et veut des « garanties publiques pour couvrir les risques de crédit des acheteurs ». En clair, toutes les rentes instituées dans le passé au nom de cette prétendue libéralisation qui n’est qu’un amoncellement délirant de règles protégeant les investisseurs sont renforcées dans les méandres de cet accord dont les détails sont heureusement suffisamment complexes pour échapper à l’attention de la très grande majorité des médias, et de l’attention du public…
Et pour couronner le tout, entre les lignes, il apparaît clairement que la France continuera à ne pas profiter de nos coûts inférieurs de production que nos voisins. Bénéficier de ce coût plus faible, qui repose pourtant sur des investissements colossaux faits dans le passé, devient ainsi une « distorsion de concurrence (qui) fausse les conditions de concurrence » dans l’UE ! On se demande bien pourquoi notre pays a accepté, et accepte encore, ce marché européen de l’électricité ultra-régulé : nous y avons abandonné un prix plus bas que nos voisins et parfaitement stable pour un système instable et à prix beaucoup plus élevé, produisant des rentes ultra lucratives, pour ne pas déplaire à des partenaires concurrents heureux que nous abandonnions un avantage compétitif considérable. Le pire est que nous n’y gagnons absolument rien alors que nous sommes le premier exportateur d’électricité de l’Union Européenne !
Oui, il y a eu un accord, qui devrait réduire la volatilité des prix. Mais outre que le mécanisme ainsi créé devra passer l’épreuve des prochaines crises, notre pays a en réalité capitulé en rase campagne dans la défense de nos intérêts. Encore une fois, nos élites sacrifient les atouts de notre pays au nom d’un idéal européen où nous sommes trop souvent les dindons de la farce, les seuls à être prêts à abandonner des pans entiers de nos actifs sans rien obtenir en contre-partie. Même si le nucléaire n’est pas aussi mal traité qu’il aurait pu l’être, en pratique, ses avantages compétitifs sont effacés dans le magma technocratique des mécanismes de ce marché qui n’a de marché que le nom. Les rentes prospèreront toujours plus, l’électricité continuera à être chère, et probablement plus encore, et l’exécutif accepte de prolonger l’abandon de notre avantage compétitif d’un coût de production de l’électricité bien inférieur…
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