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Les gardes du corps contre les assassins de la pensée...

000_9RM328-e1636906164101Autour de moi, les gardes du corps se multiplient auprès de mes amis.

Jour après jour, j'apprends que des menaces de mort, des intimidations crédibles ont été proférées contre tel ou tel et à chaque fois cela fait surgir chez moi le même effet de saisissement.

Dans quel monde, dans quelle France vit-on ? Dans quelle régression est-on tombé au point de vouloir assassiner la pensée en tuant ceux qui l'ont exprimée ? Qui aurait pu songer il y a des années à une dérive aussi épouvantable ? Certes nous avons eu une multitude de signes avant-coureurs, faibles puis de plus en plus forts, jusqu'au terrorisme le plus abject, la barbarie la plus inimaginable au sens propre mais il y a quelque chose dans l'être humain qui le retient un temps sur la pente fatale : celle où l'horreur n'est plus crainte mais certaine. Avec ses irruptions irrégulières mais emplies d'une inventivité tragique et criminelle qui nous laisse sans voix au bord du gouffre.

Alors que nous y sommes déjà plongés. C'est sans doute mon expérience lucide, trop réaliste peut-être, d'ancien avocat général à la cour d'assises de Paris, qui me préserve de cette sorte d'optimisme cherchant à se persuader que le pire aura une fin, que l'acte odieux d'aujourd'hui aura épuisé la malfaisance humaine et que demain ressemblera à nos désirs de paix, à notre rêve de tranquillité.

Aujourd'hui - probablement le constat le plus triste qui soit -, l'aveuglement s'est réduit comme une peau de chagrin et l'irruption des gardes du corps voués à être les protecteurs de ce que notre civilisation a d'irremplaçable - sa tolérance qui n'est pas faiblesse, son pluralisme qui n'est pas dilution, ses contradictions qui ne sont pas infirmité - est la manifestation la plus sombrement éclatante d'une société qui comporte en son sein des ennemis qui veulent notre perte.

J'exagère, je me vante. Pas celle de tous. Ces amis qui m'entourent et dont les gardes du corps observent les alentours avec infiniment de vigilance et de compétence ont, pour des raisons que j'ignore, offensé, plus que d'autres, la susceptibilité meurtrière de ces massacreurs de la pensée, de ces tueurs de l'esprit, de ces éradicateurs de la liberté.

Parce qu'ils ont été plus audacieux, parce que pas une seconde ils n'ont laissé leur exigence de vérité être amendée par un souci de la nuance qui, à leurs yeux, serait perçu telle une insupportable frilosité.

Je les admire, ces héros de l'expression libre, ces aventuriers de l'esprit tellement conscients de ce qu'ils risquent qu'à aucun moment ils ne songeraient à récuser l'assistance de ces gardes du corps en poussant l'héroïsme jusqu'à la surenchère, jusqu'à l'absurde.

Dans quelle France respire-t-on pour que cette aspiration à la fraternité, souvent oubliée - et par moi, le premier - dans notre devise républicaine soit battue en brèche avec tant de cruauté pour que des frères, des amis, parmi les nôtres, doivent, jour après jour, se soumettre au regard tutélaire d'anges gardiens ?

J'entends bien que ces ignobles, quand ils ont cru assassiner la pensée en assassinant ceux qu'elle habitait, n'ont jamais gagné la partie et que, contre eux, l'incroyable vigueur de la liberté l'emportera toujours mais cette certitude ne me console pas de tout.

Ces gardes du corps auprès de mes amis m'apparaissent comme le deuil éclatant, ostentatoire, actuel de la douceur d'aimer, de vivre.

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