Une analyse du Quincy Institute fait savoir que l’administration Biden peut contourner le Congrès sur l’aide à l’Ukraine. Les fabricants d'armes américains s'associent à Kiev pour produire du matériel militaire dans ce pays déchiré par le conflit, probablement en partie aux frais des contribuables.
« Les États-Unis investissent sur le long terme dans l’industrie de défense ukrainienne, même si l’aide directe à l’Ukraine diminue en 2024 », rappelle le Quincy Institute. Le retrait le plus récent des armes des stocks américains par le président Biden est le dernier qu’il puisse approuver. Les autres aides militaires américaines dépendent désormais du Congrès qui n’a pas encore autorisé les dépenses d’urgence demandées par Biden fin octobre.
Mais, les sous-traitants militaires américains n’ont pas besoin de l’approbation du Congrès pour coproduire des armes avec des entreprises ukrainiennes, et l’administration les encourage à contribuer au développement de l’industrie de défense ukrainienne. « Toutefois, si le gouvernement américain n’y prend pas garde, ce sont les contribuables qui pourraient finir par payer la facture de l’augmentation de la capacité de production d’armes en Ukraine dans les années à venir », avertit le Quincy Institute.
L’ampleur des investissements requis pour établir et développer la capacité de production en Ukraine est énorme. Et les entrepreneurs sont, en général, réticents à investir du capital : les données montrent que leur priorité est de payer leurs actionnaires. Il est, donc, difficile d’imaginer des entrepreneurs américains s’implanter en Ukraine sans un financement garanti du gouvernement américain, même avec le soutien d’un partenaire.
Le risque d’une escalade des tensions avec la Russie est également sérieux. Néanmoins, la production d’armes conjointes pourrait soulager la Maison Blanche des difficultés politiques liées à l’aide directe à l’Ukraine – et à la stratégie américaine en Ukraine au sens large, même si certains signes montrent que l’administration envisage une posture plus défensive. L’un des objectifs à long terme déclarés de la Maison Blanche est de « faire progresser une base industrielle de défense ukrainienne robuste et autonome, ce qui, selon le secrétaire à la Défense Lloyd Austin, constitue une opportunité importante de partenariat avec notre propre base industrielle de défense ».
En décembre, l’administration a accueilli à Washington la Conférence sur la base industrielle de défense entre les États-Unis et l’Ukraine. La Maison Blanche a rapporté qu’environ 350 représentants de gouvernements et d’industries des États-Unis, d’Ukraine et de pays alliés européens ont convenu de « se concentrer sur une augmentation significative de la production d’armes » pour soutenir la lutte de l’Ukraine contre la Russie.
L’administration Biden a également créé l’équipe interinstitutionnelle Ukraine Deal Team, composée de représentants des départements d’État, de la Défense et du Commerce. Penny Pritzker, représentante spéciale des États-Unis pour la reprise économique de l’Ukraine, a déclaré que l’équipe « déploiera tous les outils disponibles du gouvernement américain, y compris les ressources et l’expertise, pour aider les entreprises américaines à être compétitives et à réussir dans l’industrie de défense ukrainienne ».
Le conseiller à la sécurité nationale, Jake Sullivan, a récemment indiqué que les efforts de coproduction pourraient commencer par des activités de réparation et de maintien en puissance, mais « impliqueront éventuellement des sociétés ukrainiennes physiques dotées d'une expertise ukrainienne s'appuyant sur ces licences et le transfert de technologie et d'entreprises américaines et entreprises européennes ». Mais, l’Ukraine a besoin de beaucoup d’argent pour créer de nouvelles lignes de production, et on ne sait toujours pas exactement comment les États-Unis soutiendront Kiev dans ce processus. Dans le passé, l’industrie américaine a exprimé ses hésitations à travailler en Ukraine alors que la guerre se poursuit.
Reuters a rapporté que « deux grandes sociétés américaines » avaient convenu de coproduire des obus d’artillerie de 155 mm en Ukraine, à partir de 2025 au plus tôt. Il est possible que les entreprises attendent la fin de la guerre pour se lancer dans les affaires en Ukraine, mais lorsque Responsible Statecraft (média du Quincy Institute) lui a demandé, le Pentagone n’a ni confirmé ni nié s’il façonnait ou prévoyait de façonner ces accords. On ne peut que supposer que ce sera le cas, étant donné son rôle au sein de l’Ukraine Deal Team.
Le Pentagone a, également, refusé de préciser si les accords de production conjointe entre les sous-traitants américains et ukrainiens seraient soumis à des normes d'impact économique américain, comme un certain niveau de main-d'œuvre américaine. Les dépenses militaires sont, bien entendu, d’excellentes créatrices d’emplois. « Mais, la coproduction à long terme avec l’Ukraine remet encore en question l’idée dominante selon laquelle les dépenses militaires (dont environ la moitié sont destinées aux sous-traitants) sont bonnes pour les travailleurs américains et pour l’économie, étant donné qu’un grand nombre de ces emplois iraient à des Ukrainiens ou à d’autres travailleurs non américains », avise le Quincy Institute.
Quoi qu’il en soit, les entreprises doivent protéger leurs investissements. Les installations de production d’armes sont déjà des cibles russes. Les installations de nouvelles productions en Ukraine attireront inévitablement l’attention de la Russie, et le coût de leur protection sera élevé. Si l’Ukraine ne parvient, finalement, pas à couvrir les coûts d’exploitation, d’entretien et de protection des centrales que les entrepreneurs américains aident à construire, ces derniers interviendront certainement aux frais du gouvernement américain.
Philippe Rosenthal
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