Philippe Fontana, avocat au barreau de Paris et auteur de La Vérité sur le droit d’asile, a été interrogé par le revue Conflits. Extraits :
[…] La Cimade est l’association la plus politique. La contestation de normes édictées par l’État devant les juridictions est leur plus important volet d’activisme. À l’origine, la Cimade était une association protestante qui s’occupait de ses coreligionnaires chassés d’Alsace-Lorraine par les nazis. Elle s’est transformée en association d’extrême gauche, à preuve lorsque un pasteur, responsable de l’antenne de Marseille a été expulsé du territoire, au début des années 1970. Cette association ne cesse de contester tous les décrets, les arrêtés, etc. Elle a réussi à extraire de la liste des pays considérés comme « sûrs » le Sénégal, le Ghana et le Bénin. Le Gisti (Groupe d’information et de soutien des immigrés) est tout aussi militant. Il a obtenu, en 1978, l’annulation par le Conseil d’État du décret interdisant le regroupement familial. Ce groupe ne cesse de contester les dispositions qui visent à restreindre l’immigration aujourd’hui.
La liste des pays sûrs est définie par l’Ofpra. Le jeu des associations est de faire du lobbying pour retirer un maximum de pays de la liste des pays « sûrs ». En aucun cas ces associations ne participent directement à l’élaboration de la liste. Mais, la porosité qui existe entre elles et les membres des instances juridictionnelles ou des partis politiques, ainsi que leur intense lobbying, contribuent à faire évoluer la liste. Ces associations ont ainsi un rôle en amont du parcours migratoire.
Ces associations sont très bien intégrées dans les partis politiques de gauche et d’extrême-gauche, ce qui leur donne un accès facile au Parlement européen où elles sont très écoutées. La question de l’immigration est une compétence partagée entre l’UE et les États, donc les associations sont aussi très actives à l’UE. Cela explique tout le mal qu’ont eu la commission, le conseil de l’Europe et le Parlement à discuter ensemble du « pacte asile et immigration ». Le premier avait été initié en 2016 et le deuxième en 2020. Le trilogue est en train d’aboutir. L’un des points d’accord porte sur le fait que la demande d’asile de certaines nationalités soit traitée dans des centres fermés ; celles qui ont moins de 20% d’octroi du statut de réfugié.
Les associations sont aussi influentes au Parlement français. Elles interviennent dès qu’une loi sur l’immigration est débattue, ce qui a été le cas pour la loi Collomb de septembre 1998, la loi de juillet 2015, 2016, 2021, 2023. Dans chacune de ces associations, il y a un responsable du plaidoyer chargé des actions d’influence auprès du monde politique.
Les associations sont très actives dans la rue. Elles prennent la demande d’asile en charge au niveau institutionnel, et animent des groupes entiers qui demandent la régularisation avec les syndicats. Elles organisent aussi des manifestations pour mobiliser les acteurs de la vie politique, comme celle du dimanche 21 janvier.
Ces associations sont internationalistes, mais, paradoxalement, elles gèrent une partie de la demande d’asile. Elles agissent sur l’opinion publique en faisant passer le message clair qu’être opposé à l’immigration était du racisme. Leur action est grave parce qu’elle dévalorise toute personne qui souhaite réguler l’immigration en France.
Quel est le profil de leurs membres ?
Il y a de tout, du simple bénévole aux ex-grands administrateurs, et même d’anciens ministres. Ils ont pratiquement tous un profil militant. Si on prend l’exemple de France terre d’asile, on compte au bureau deux conseillers d’État, dont l’un à la retraite. Najat Vallaud-Belkacem, ministre de 2012 à 2017, en est maintenant la présidente depuis juillet 2022. Pascal Brice, proche de Moscovici et responsable des relations internationales pour la campagne de François Hollande, avait réussi à augmenter le taux d’acceptation des demandes d’asile de 10% à 30% lorsqu’il était patron de l’Ofpra entre 2012 et 2018. Il est maintenant le président de la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS) depuis 2020.
Ce sont des gens qui connaissent parfaitement l’appareil étatique et qui sont des contestataires.
Qui sont les financeurs de ces associations ?
Elles sont largement financées par les fonds publics. Lorsque le demandeur d’asile arrive en France, il est pris en charge par une association qui gère la Structure du premier accueil pour demandeur d’asile (Spada), qui le met en contact avec le guichet unique pour demandeurs d’asile (GUDA). Après son contact avec le GUDA, le demandeur d’asile est placé en centre d’accueil (CADA), géré par une association. Il bénéficie alors d’une allocation spéciale (ADA) versée sur une carte de paiement. Pour remplir sa demande d’asile auprès de l’Ofpra, le demandeur fait appel à une association qui l’aide à construire un discours qui saura toucher l’officier de protection chargé de traiter le dossier. Puis, il est à nouveau aidé par une association devant la cour nationale du droit d’asile. Et si l’asile lui est refusé, il est à nouveau soutenu par une association en attendant son départ de France. Le budget, qui est largement consacré à l’action des associations, (crédits d’engagement ?) était de 1,897 milliards d’euros en 2023.
Peut-on parler de « business du droit d’asile » ?
Bien sûr. Coallia, qui n’est plus une association militante, vit des CADA. Les finances de la Cimade se portent aussi très bien. En 2021, elle comptait 137 salariés contre 103 en 2005. En 2021, son budget était de 18 millions d’euros contre 6,5 millions en 2005. […]
Quelle solution préconisez-vous pour lutter contre ces associations ?
La solution est très simple, il suffit de couper les subventions. Que des personnes militent dans des associations, ce n’est pas discutable, mais il ne faut pas que ce soit fait avec les deniers publics. Ensuite, il faut cesser d’accueillir les demandes d’asile en France, pour limiter la prolifération des CADA sur tout le territoire. Régler le problème est en réalité assez simple, c’est une volonté politique. Il faut bien sûr en discuter avec les États de l’Union européenne puisque la gestion de l’immigration et de l’asile est une compétence partagée avec l’UE, mais l’évolution politique en Europe montre que les choses pourraient changer.