Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Le juge reprend désormais le flambeau des politiques

honore-daumier_les-trois-juges_AID1111940.jpg

Source : Nieuwsbrief Knooppunt Delta, no. 186, janvier 2024

Le 30 novembre 2023, la Cour d'appel de Bruxelles a rendu un arrêt (dans l'affaire du climat) ordonnant à la Région flamande, à la Région de Bruxelles-Capitale et à l'État belge de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 55 % d'ici 2030 par rapport à 1990. Les trois juges de la Cour d'appel de Bruxelles se sont référés dans leur motivation à la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH) et plus particulièrement au droit à la vie (art. 2) et au droit au respect de la vie privée (art. 8). (source : De Standaard, 2 le 3 décembre 2023).

Cet arrêt fait suite à un arrêt rendu en 2015 aux Pays-Bas, dans lequel l'organisation environnementale Urgenda a gagné un procès sur le climat contre l'État néerlandais, exigeant que le gouvernement veille à ce que, d'ici 2020, les émissions soient réduites de 25 % par rapport à 1990.

Et bien que je sois favorable au principe de la réduction des effets nocifs sur le climat - je ne suis pas de ceux qui parlent d'hystérie climatique - je trouve cette décision du tribunal de Bruxelles extrêmement inquiétante sur le plan démocratique. Dans les deux cas, le tribunal se substitue au législateur. Dans l'affaire Urgenda, l'avocat de Milieudefensie a parlé de "mise sous tutelle" de la démocratie par le juge.

Le professeur de droit de l'environnement, de l'énergie et du climat Kurt Deketelaere (KULeuven) a également fait remarquer dans De Standaard que les juges ne devraient pas jouer eux-mêmes le rôle de législateur. C'est au législateur de fixer les objectifs de réduction et les délais, pas au pouvoir judiciaire. Cette décision est contraire à la Constitution belge en raison de la séparation des pouvoirs. Dans le cas qui nous préoccupe, on affirme qu'avec cette demande, la décision ne prend pas la place de la politique, car sa seule intention est d'"aider les politiciens", afin de prendre "la seule décision possible" pour mettre fin aux violations flagrantes des droits de l'homme (selon un rapport du journal De Morgen, du 2 décembre 2023).

Manuel Sintobin, géologue à la KULeuven, affirme que, contrairement à ce que prétendent les défenseurs des plaignants, ils siègent bel et bien dans le fauteuil des politiques. En appel, cette partie a exigé une réduction des émissions de 61% d'ici 2030 par rapport à 1990, ce qui, selon eux, est le strict minimum "sur lequel tous les experts s'accordent". Leurs points de départ correspondent à des choix politiques individuels. Ils partent de 1,5° C alors que l'Accord de Paris stipule que nous devrions rester en dessous d'un réchauffement de 2° C et faire tout notre possible pour limiter le réchauffement à 1,5° C. Le choix de la limite de température de 1,5° C est donc un choix politique (De Morgen, 2 décembre 2023).

Rik Torfs mentionne dans Doorbraak que la décision de Bruxelles a été accueillie favorablement dans la "presse de qualité", soit la presse établie. Le rédacteur en chef Karel Verhoeven (De Standaard), par exemple, a trouvé la décision "formidable", un "document intense avec une mission politique hardie". Torfs a posé la question avec l'ironie qui s'impose: "Le poignant n'est-il pas plutôt une caractéristique de la bonne poésie ? Une véhémence intense. Il est agréable de trouver de tels sentiments dans un roman. Mais délivrez-nous de toute jurisprudence poignante, Seigneur", a déclaré l'avocat en droit ecclésiastique.

La réaction initiale des grands médias et du Standaard n'a pas été la même lorsque, en juin de l'année dernière, la Cour suprême des États-Unis a annulé l'arrêt "Roe v Wade" ! Cette loi de 1973 stipulait que l'avortement était un droit garanti par la Constitution. Le monde progressiste s'est indigné de "l'interdiction" de l'avortement. En réalité, l'arrêt de la plus haute juridiction américaine n'a pas aboli l'avortement, mais cette Cour suprême a jugé que, contrairement à ce qui avait été décidé en 1973, ce n'est pas à elle d'en décider, mais aux États. C'est le parlement (=législature) des différents États qui doit en décider. C'est ainsi que fonctionne une véritable démocratie.

Marc Bossuyt estime, également dans Doorbraak (11 décembre 2023) que la Cour d'appel va cette fois très loin dans l'attribution d'obligations positives au droit à la vie. Elle y lit l'obligation pour le gouvernement de prendre des mesures préventives. De tels objectifs sont louables, a déclaré M. Bossuyt, mais ils ne sont pas de nature à être imposés par un tribunal. En outre, il existe de nombreux autres objectifs qui ne s'y prêtent pas. Nous consacrerions 0,7% de notre PIB à l'aide au développement ? Nous augmenterions certainement nos efforts de défense à hauteur de 2% ? Notre droit à la sécurité garanti par l'article 5 de la CEDH (= droit à la liberté et à la sécurité) ne risque-t-il pas d'être compromis? Ne devrions-nous pas limiter notre dette à 60% de notre PIB et notre déficit budgétaire à 3%? Notre droit de propriété n'est-il pas menacé si nous n'atteignons pas ces objectifs? Nous attendons toujours un arrêt d'une chambre néerlandophone de la Cour d'appel condamnant les gouvernements fédéral, bruxellois et wallon pour ne pas avoir pris suffisamment de mesures sur ce point.

Jan Sergooris

http://euro-synergies.hautetfort.com/archive/2024/02/02/le-juge-reprend-desormais-le-flambeau-des-politiques.html

Les commentaires sont fermés.