« Audaces fortuna juvat ». Ce vers figure dans L’Énéide, la grande œuvre inachevée de Virgile, publiée peu après sa mort, en 19 av. J.-C. Dans cette épopée des origines, l’écrivain rattache l’histoire romaine au mythe troyen.
Luca Giordano – “Énée terrassant Turnus” (Fin du XVIIe siècle)
Un peu plus de mille ans plus tôt, Troie avait été vaincue par la coalition des Achéens, et le Troyen Énée s’était enfui. Après une traversée périlleuse, le fugitif voulut s’installer en Italie.
Virgile s’inspire ainsi du retour d’Ulysse chanté par Homère sept siècles avant lui, mais la perspective est inversée: tandis qu’Ulysse rentra en vainqueur dans son royaume qu’il devait reconquérir, Énée arriva en vaincu sur une terre inconnue, le Latium, qu’il devait conquérir.
À l’annonce du débarquement de la petite armée conduite par le Troyen, le général Turnus, bouillant neveu du roi Latinus, se rua sur son adversaire. Il trouva quand même le temps de haranguer ses troupes : « Vous pouvez culbuter l’ennemi sous vos coups. Mars en personne est entre vos mains (…). Courons de nous-mêmes à la mer, pendant que, tout tremblants, ils font leurs premiers pas sur le sol ! La fortune sourit aux audacieux ! »
Mais le Latin téméraire fut tué par le Troyen en combat singulier.
Le vers, immortalisé par Virgile dans un sens ironique, était déjà un dicton très populaire, employé auparavant par Térence (vers 190-159 av. J.-C.) et par Cicéron (106-43 av. J.-C.). Il était si populaire que l’orateur le citait en abrégé !
Mais chez Virgile, ces mots avaient également un sens politique contemporain, aujourd’hui oublié. En effet, une douzaine d’années plus tôt, la fortune avait fui Marc Antoine, qui avait la réputation d’être un grand audacieux, mais parfois imprudent et brouillon.
Une sorte de nouveau Turnus. En revanche, elle avait souri à son adversaire Octave Auguste, certes audacieux, mais toujours réfléchi. L’Énéide est donc aussi une célébration du culte impérial rendu au nouvel Énée, digne successeur du roi Latinus (Jules César).
Source : Virgile, L’Énéide, X, 284.
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