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Le crime contre la paix de Angela Merkel et François Hollande

Une polémique a été ouverte à propos de mes analyses sur la responsabilité personnelle de l’ancienne chancelière Angela Merkel et de l’ancien président François Hollande dans l’actuelle guerre en Ukraine. Mes confrères assurent que j’ai tout inventé et que ces deux personnalités sont innocentes. Je ne ferais que colporter de la désinformation russe.
Cette controverse n’est pas anodine : mes contradicteurs essaient de blanchir nos dirigeants politiques, ce faisant ils servent la narration occidentale de la guerre en Ukraine et la justifient.
Voici donc les faits et les documents sur lesquels je m’appuie. À vous de juger.

Quelques confrères de grands médias ont lancé une polémique à propos d’un extrait d’une conférence que j’ai donné à Colmar, le mois dernier1. Ils contestent ce que j’ai exposé sur la responsabilité personnelle de l’ancienne chancelière Angela Merkel et de l’ancien président François Hollande dans l’actuelle guerre en Ukraine.

Voici donc, en détail, les faits que j’ai rapportés et qu’ils nient.

Des crimes contre la paix

Le président Hollande a accordé à Paris une interview à Théo Prouvost du Kyiv Independent, le 28 décembre 20222 que mes contradicteurs confondent avec le sketch des humoristes russes Vovan et Lexus qu’il a inspiré3. Il y affirme se reconnaître dans les propos tenus, quelques jours plus tôt, par l’ex-chancelière allemande, Angela Merkel, au Zeit4. Elle y déclarait avoir signé les accords de Minsk, non pas pour protéger les populations du Donbass et mettre fin à la guerre que leur menaient les autorités de Kiev, mais pour leur donner le temps de s’armer. François Hollande confesse explicitement : «Oui, Angela Merkel a raison sur ce point. Les accords de Minsk ont arrêté l’offensive russe pendant un certain temps. Ce qui était très important, c’était de savoir comment l’Occident utiliserait ce répit pour empêcher toute nouvelle tentative russe».

La «tentative russe» dont il parle est, non pas l’envoi par Moscou de troupes russes, mais l’initiative privée du milliardaire Konstantin Malofeïev d’envoyer des cosaques soutenir les populations du Donbass comme il l’avait fait pour les Serbes de Bosnie.

Les propos de Angela Merkel et de François Hollande ont été confirmés par le secrétaire général du Conseil de défense et de sécurité nationale d’Ukraine, Oleksiy Danilov, qui vient de démissionner, il y a trois semaines, après avoir insulté l’envoyé spécial chinois.5

Les accords de Minsk ont été négociés en deux temps :

 Le premier protocole a été signé, le 5 septembre 2014, par l’Ukraine, la Russie et l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). Les gouverneurs des oblasts de Donetsk et de Lougansk l’ont également paraphé. À cette époque, ces oblasts, quoique dénommés «Républiques» comme les anciennes régions soviétiques, n’ambitionnaient pas leur indépendance. Ce protocole institue un cessez-le-feu, une libération des otages, un retrait des troupes de part et d’autre, y compris les cosaques de Konstantin Malofeïev, et une amnistie générale. Il prévoit également une décentralisation des pouvoirs, des élections locales et un dialogue national.

Pourtant pas grand-chose ne se passa, hormis le retrait des cosaques de Konstantin Malofeïev, à la demande pressante du président russe, Vladimir Poutine, qui voyait d’un mauvais œil un oligarque moderne se comporter comme un grand-duc de l’époque tsariste.

En 2019, Angela Merkel avait invité une délégation russe à Berlin. Au deuxième rang, on aperçoit Vladislav Surkov, assis aux cotés de Sergueï Lavrov. Or, à ce moment, Surkov était interdit d’accès au sein de l’Union européenne. Les sanctions de l’UE sont donc à application variable.

 Le second protocole fut signé six mois plus tard, le 11 février 2015. Les négociations se déroulèrent sous la responsabilité de l’OSCE, toujours entre Kiev, Donetsk et Lougansk. Cette fois, l’Allemagne, la France et la Russie se portèrent garants de son application («format Normandie»).

Il comporte à peu près les mêmes dispositions que le premier protocole, qu’il précise plus en détail. Surtout, il indique que la décentralisation, qui n’a pas eu lieu contrairement à ce qui était convenu, devra s’opérer par le biais d’une réforme constitutionnelle.

La Russie craignait que ce second protocole ne soit pas plus appliqué que le premier. C’est ce qu’a expliqué par la suite Vladislav Sourkov, qui avait été en charge de ce dossier au Kremlin, et non pas qu’elle ne voulait pas l’appliquer comme l’a interprété à contre-sens Le Figaro6. D’ailleurs c’est Moscou7, et non pas Berlin, ni Paris, qui a soumis ce protocole à l’approbation du Conseil de sécurité.

Viatcheslav Volodine, président de la Douma d’État russe.

Vers un jugement par un Nuremberg 2

Réagissant aux propos de la chancelière Merkel et du président Hollande, le président de la Douma d’État (c’est-à-dire de la chambre basse), Viatcheslav Volodine, est immédiatement intervenu pour s’indigner de ces aveux. Puis, après les fêtes de Noël, il a publié ses commentaires sur sa chaîne Télégram8. Ils ont donné lieu à deux dépêches, une de l’agence Tass9 et une autre de l’agence Ria-Novosti10, que mes contradicteurs ignorent également.

En sa qualité de président de la Douma, il cite d’abord le président Vladimir Poutine : «Si un combat est inévitable, vous devez d’abord frapper». Puis il déclare : «Les aveux d’un représentant du régime de Kiev et d’anciens dirigeants allemands et français devraient servir de preuve devant un tribunal militaire international. Ces dirigeants complotaient pour déclencher une Guerre mondiale aux conséquences prévisibles. Ils méritent d’être punis pour leurs crimes».

En qualifiant de preuves des «crimes» les déclarations de Angela Merkel, François Hollande et Oleksiy Danilov, il fait référence aux «crimes contre la Paix» énoncés à la Libération par le Tribunal militaire international de Nuremberg. Selon cette autorité, reconnue par les tous les États membres des Nations unies, ce sont les crimes les plus graves, bien plus encore que les «crimes contre l’humanité». Ils sont donc également imprescriptibles.

Angela Merkel, François Hollande et Oleksiy Danilov n’ont pas encore fait l’objet d’un mandat d’arrêt, mais déjà d’un signalement. En effet, il n’existe pas, pour le moment, de juridiction capable de juger leurs crimes. C’est la raison pour laquelle le président Viatcheslav Volodine faisait allusion à un «tribunal militaire international» (équivalent de celui de Nuremberg). Celui-ci reste à être constitué à l’issue de la guerre en Ukraine.

Il ne fait aucun doute, qu’à ce moment-là, sauf accord avec la France, l’Allemagne et l’Ukraine, Angela Merkel, François Hollande et Oleksiy Danilov auront à répondre de «crimes contre la Paix».

Je ne peux que déplorer que mes contradicteurs n’aient pas trouvé les documents cités ci-dessus. En réalité, c’est bien normal : ils ne s’intéressent qu’aux agences de presse anglo-saxonnes ou européennes qui refusent de prendre en compte le point de vue russe. Ils prennent pour argent comptant la narration officielle et ne font pas leur travail de vérification.

Pourquoi les accords de Minsk n’ont jamais été appliqués

La Russie a, je l’ai mentionné plus haut, présenté le second protocole au Conseil de sécurité, le 17 février 2015. Ce fut l’objet de la résolution 2202. En annexe, Moscou fit adopter le texte du protocole et la déclaration des quatre chefs d’État : Vladimir Poutine (Russie), Petro Poroshenko (Ukraine), François Hollande (France) et Angela Merkel (Allemagne). Lors des débats, le représentant permanent de l’Ukraine à New York s’est félicité de l’appui sans faille des Nations unies.

Au passage, observons que le représentant permanent de la Chine a, dès ce moment, explicité la position qui est toujours la sienne aujourd’hui : la paix ne peut être durable que si l’on répond aux préoccupations de toutes les parties.

Le 31 août 2015, les «nationalistes intégraux» de Sloboda tuent des policiers pendant le vote de la Rada. Jamais la réforme constitutionnelle ne sera adoptée.

Pourtant le second accord de Minsk n’a pas été appliqué. Au Donbass, des affrontements sporadiques ont toujours eu lieu, chaque partie en rejetant la responsabilité sur l’autre. Par ailleurs, Kiev voulait que l’amnistie soit proclamée après les élections locales, tandis que les dirigeants des oblats du Donbass, voulaient qu’elle le soit avant. Ils auraient ainsi pu se présenter aux élections et les auraient probablement gagnées. Des amendements constitutionnels ont bien été soumis au vote, le 31 août 2015, à la Verkhovna Rada, en présence… de l’envoyée spéciale états-unienne, la straussienne Victoria Nuland qui avait organisé le coup d’État de 2014 (dit «EuroMaïdan»). Les élus du parti «nationaliste intégral» Sloboda, tentèrent de bloquer le vote et envahirent la tribune aux cris de «Honte !» et de «Trahison !»11. Pendant ce temps, des affrontements opposèrent, à l’extérieur de l’Assemblée, la police à des miliciens «nationalistes intégraux», faisant 4 morts et 122 blessés. À la Rada, la majorité qualifiée ne fut pas atteinte et la réforme constitutionnelle ne fut pas adoptée.

Ces émeutes furent les plus importantes depuis le renversement du président élu, Viktor Ianoukovytch, par les «nationalistes intégraux» de Sloboda, soutenus par Victoria Nuland. Le président Petro Poroshneko les condamna, mais ne se le fit pas dire deux fois. Il était clair que s’il persistait à vouloir mettre en œuvre les accords de Minsk, il serait renversé à son tour.

Courageux, mais pas téméraire, il dénonça soudain le second protocole de Minsk. Selon lui, la signature pour la partie ukrainienne de l’ancien président Leonid Kuchma était sans valeur parce qu’il n’avait pas été accrédité par la Verkhovna Rada. Certes, mais Petro Poroshenko était présent aux négociations, en tant que président ukrainien en exercice, il n’a pas émis d’objection au moment de la signature, ni lors de leur ratification par le Conseil de sécurité et il a signé une déclaration commune dans laquelle il s’est engagé à l’appliquer. Désormais, il partageait la même mauvaise foi que le président François Hollande et que la chancelière Angela Merkel.

Le président Petro Poroshenko nomma immédiatement les milices de Sloboda en charge de faire pression sur les populations du Donbass. C’est la sinistre division Azov du «Führer blanc», Andriy Biletsky. Durant sept ans, 80 000 combattants vont se faire front. Les hommes de Kiev firent entre 17 000 et 21 000 morts au sein de leur propre population du Donbass. Poroshenko mit en place un apartheid, une citoyenneté à deux niveaux : les russophones du Donbass n’avaient plus droit à aucun service public, ni aux écoles, ni aux retraites.

Le Conseil de sécurité des Nations unies n’intervint pas, tout au plus délivra-t-il une déclaration de son président, le 6 juin 201812. Une fois arrivé au pouvoir, le président Volodymyr Zelensky tenta de renouer les fils en convoquant une réunion au format Normandie, sans parvenir à quoi que ce soit.

La responsabilité de protéger les populations du Donbass

Le 2 novembre 2021, le président désigne Dmytro Yarosh, la principale figure des «nationalistes intégraux» et agent de longue date de la CIA13, conseiller du commandant en chef des armées ukrainiennes, le général Valeri Zaloujny. Il élabore rapidement un plan d’attaque du Donbass14 qui devait être lancée le 9 mars 2022.

Cependant, lors d’une cérémonie improvisée au Kremlin, le 21 février, Moscou reconnut soudainement les Républiques populaires de Donestk et de Loughansk comme des États indépendants. Le lendemain, il lançait une «opération militaire spéciale». Les troupes russes convergeaient à la fois de leur frontière et de celle de Biélorussie pour prévenir tout regroupement des forces ukrainiennes au Donbass. Il détruisait l’aéroport militaire de Kiev, mais ne cherchait pas à prendre la capitale. En, quelques semaines, il libérait l’essentiel du Donbass.

Durant des mois, la Russie évitait de prononcer le mot de «guerre». Elle expliquait intervenir exclusivement pour faire cesser les épreuves de la population civile du Donbass. Au contraire, les Occidentaux l’accusaient d’avoir «envahi» l’Ukraine pour la conquérir. Or, la Russie n’a fait qu’appliquer la résolution 2202 et la déclaration des chefs d’État ayant négocié les accords de Minsk. C’est d’ailleurs pour se réserver cette possibilité qu’elle l’a fait reproduire en annexe de la résolution. Dire que la Russie a envahi l’Ukraine, impliquerait que la France aurait «envahi» le Rwanda lorsqu’elle a mis fin au génocide des Tustsis, en 1994. Nul ne le pense. Elle a simplement appliqué la résolution 929 et sauvé des millions de vies.

Fort étrangement, la Russie n’a pas brandi l’argument de la «responsabilité de protéger». C’est qu’elle s’était opposée à la formulation de ce concept, qui n’a été adopté par les Nations unies qu’en 2005. Cependant, elle l’utilisera enfin, le 12 février 2024, lors d’une réunion du Conseil de sécurité qu’elle convoquera. Elle y exposera son invariable position, mais utilisera cette fois la même langue diplomatique que ses interlocuteurs.

La propagande de guerre

En terminant cet article, je reviens sur les écrits de mes confrères. Selon eux, j’ai inventé la responsabilité de François Hollande et de Angela Merkel dans la guerre actuelle et je relaie de la désinformation russe en affirmant que Moscou n’a pas envahi l’Ukraine. Ils ont probablement rédigé ces articles avec l’intention d’atteindre ma crédibilité. Peut-être ne se sont-ils pas rendus compte qu’en écrivant ces fadaises dans de grands médias, ils induisaient le public en erreur et relayaient, en fin de compte, la propagande des partisans de la guerre.

Thierry Meyssan

source : Réseau Voltaire

https://reseauinternational.net/le-crime-contre-la-paix-de-angela-merkel-et-francois-hollande/

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