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L’Europe d’une guerre à l’autre (XIX) – Comment Churchill a perdu et récupéré sa victoire dans la Seconde Guerre Mondiale

Par Nikolay STARIKOV 

Il y a beaucoup de mensonges dans le monde, et le pire c’est que la moitié d’entre eux sont vrais.

Winston Churchill

De nos jours, alors qu’un nombre effrayant de personnes sur cette planète ne possèdent qu’une compréhension des plus rudimentaires de l’histoire de la Seconde Guerre Mondiale et croient fermement que dans cette grande confrontation, les États-Unis et la Grande-Bretagne ont vaincu une sorte de « totalitarisme » global, beaucoup de gens s’affolent à la moindre allusion à l’évocation du rôle décisif joué par l’URSS pour vaincre les nazis. Mais aujourd’hui nous allons aller un peu plus loin et démontrer comment la Grande-Bretagne, qui était l’un des principaux orchestrateurs de la Seconde Guerre Mondiale, non seulement n’a pas réussi à gagner la guerre, mais l’a carrément perdue.

Nous avons déjà montré comment l’objectif premier de Londres et Washington dans le lancement de leur projet Hitler était d’écraser tous les concurrents potentiels de la monnaie anglo-saxonne et de créer un nouveau monde basé sur le dollar. Mais qu’avaient-ils gagné au moment où les troupes soviétiques ont capturé le Reichstag en mai 1945 ?

Aucun des objectifs de Londres n’avait été atteint.

Ils avaient joué un jeu politique sophistiqué, poussant les nazis au pouvoir et concédant la moitié de l’Europe afin de jouer l’Allemagne contre la Russie. C’était une histoire d’énormes pertes financières et de brillantes opérations secrètes. Mais au bout du compte, les troupes russes étaient stationnées à des centaines de kilomètres plus à l’ouest qu’elles ne l’étaient au 1er septembre 1939. Que diraient les actionnaires d’un club de football européen si, après des millions d’euros de dépense et de nombreuses années de recrutement, leur nouvel entraîneur ramenait cette équipe de la première à la troisième place? C’est de façon similaire que le classement de la Grande-Bretagne a chuté après la Seconde Guerre Mondiale. Avant cela, Londres détenait la première place à la fois dans le monde et en Europe. ” Il n’y a plus de doute que désormais la Russie est toute-puissante en Europe “, écrit dans son journal le maréchal britannique Sir Alan Brooke au printemps de 1945.

Quelqu’un devait répondre de cela. Churchill avait gagné la guerre de telle manière que sa victoire avait un fort relent de défaite. En conséquence, au lieu de recevoir les honneurs pour son triomphe contre l’Allemagne nazie, Churchill a gagné … une humiliante démission.

Staline, Truman et Churchill à Potsdam, Allemagne, juillet 1945
Staline, Truman et Churchill à Potsdam, Allemagne, juillet 1945

Juillet 1945. Dans la ville allemande de Potsdam, les vainqueurs – les dirigeants des puissances conquérantes – tenaient une conférence. Staline, Truman et Churchill étaient assis à la table des négociations. Et soudain, au milieu de la conférence, Churchill est forcé de quitter son bureau et doit rentrer chez lui. Londres a proposé de le renvoyer à Potsdam en tant qu’adjoint du nouveau Premier ministre, un homme qui avait déjà assisté à chaque conférence dans le rôle d’adjoint de Churchill ! Churchill s’est senti écrasé et désorienté. Quand le roi lui a offert l’Ordre de la Jarretière comme prix de consolation, l’ancien Premier ministre l’a refusé …

Lorsque l’on étudie l’histoire de la Seconde Guerre Mondiale, il est important de comprendre que Hitler ne nourrissait aucun plan pour conquérir le monde. Pendant ce temps, les familles bancaires qui fondèrent la Banque d’Angleterre en 1694 et le système de la Réserve Fédérale en 1913 étaient convaincues qu’elles se trouvaient au seuil de la domination mondiale. Il ne restait qu’une étape: forcer tout le monde à signer l’Accord de Bretton Woods et faire du dollar un substitut de l’or.

Tout semble avoir été fait pour atteindre cet objectif. Pendant les années de guerre, les États-Unis d’Amérique avaient consolidé la majeure partie des réserves mondiales d’or à l’intérieur de leurs propres frontières. L’or appartenant à l’Angleterre, la France et d’autres pays européens a migré à travers l’océan. Une grande partie de l’or de la Russie a également navigué vers les États-Unis. Après tout, les marchandises fournies par le prêt-bail, que l’on appelle «l’aide» américaine, n’ont pas été distribuées gratuitement. Tout ce que les États ont expédié à l’URSS a été payé en or. De plus, les Russes qui échangeaient des lingots d’or contre des armes et de la nourriture payaient ces livraisons avant que les navires ne quittent leur port d’attache. Les destinataires endossent les risques si une cargaison est perdue par des torpilles ou des avions allemands.

Ils ont tout fait – mais sans résultat. Un sixième de la surface terrestre, en plus de la moitié de l’Europe, est resté en dehors de la zone dollar. Les chars soviétiques étaient stationnés à Berlin et toute l’Europe de l’Est devint une sphère d’influence russe. C’était historiquement sans précédent – l’armée russe n’avait jamais été aussi puissante sous aucun de ses tsars. La Tchécoslovaquie, la Roumanie, l’Albanie et la Yougoslavie n’avaient jamais été des alliés obéissants de Moscou. Alors, qu’est-ce que Sir Winston méritait d’autre pour une politique aussi “réussie”, à part sa démission?

***

L’accord de Bretton Woods devait être ratifié en décembre 1945. L’URSS, qui avait été pleinement engagée à la conférence de Bretton Woods en juillet 1944, était loin d’être satisfaite du résultat.

Une délégation soviétique participe à la conférence de Bretton Woods, juillet 1944
Une délégation soviétique participe à la conférence de Bretton Woods, juillet 1944

Pour rappel, les principales décisions de Bretton Woods ont été:

– la création d’un nouveau système financier mondial dominé par le dollar de la Réserve fédérale – qui était solidement lié à l’or – agissant comme principale monnaie de réserve

– la création du Fonds monétaire international (FMI), qui bénéficie à la fois de l’immunité de poursuites dans tous les pays et du pouvoir d’obtenir toute information intéressante sur la situation financière d’un pays

– la création d’une banque centrale dans chaque pays, contrôlée par le FMI (Elles sont virtuellement des branches du Système de la Réserve Fédérale) et qui n’a pas le droit d’émettre librement sa propre monnaie nationale

– la répartition des quotes-parts du FMI de telle sorte que les Etats-Unis et la Grande-Bretagne se voient attribuer le contrôle nécessaire pour assurer le contrôle total des activités du Fonds (les Etats-Unis se voient attribuer un quota de 2750 millions de DTS. La Grande-Bretagne a reçu 1 300, tandis que l’URSS n’en a reçu que 1 200)

– Deux ans plus tard, dans le cadre de l’Accord de Bretton Woods, l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (le GATT était le prototype de la future OMC) a été conclu avec l’objectif d’élargir les marchés des produits américains vendus en dollars.

Ainsi, l’intention de Bretton Woods était de créer un système dans lequel certains (les propriétaires de la Fed) impriment de l’argent, en échange duquel tout le monde économise ses propres liquidités et vend tous ses objets de valeur et ses ressources.

Malgré une pression écrasante (la notification de Truman à Staline selon laquelle les armes nucléaires avaient été larguées sur Hiroshima et Nagasaki n’était qu’un épisode de ce programme de pression), l’URSS refusa de ratifier l’Accord unilatéral de Bretton Woods qui entra en vigueur le 27 décembre 1945, sans la coopération de l’URSS ou des pays de l’orbite soviétique.

Mais la véritable ère du dollar – la période pendant laquelle il détenait un pouvoir incommensurable – ne commencerait que 46 ans plus tard que prévu, c’est-à-dire seulement après l’effondrement de l’URSS en 1991. Pendant quatre décennies et demie, l’Union Soviétique resta ferme contre cette tumeur cancéreuse de l’argent créée à partir de rien, établissant une économie alternative et une civilisation entièrement nouvelle. Quand Roosevelt est mort en 1945, Staline était hors d’atteinte du pouvoir des banquiers, et ils n’ont eu que Churchill à soumettre à une flagellation publique …

***

Winston Churchill prononçant un discours à Fulton, mars 1946
Winston Churchill prononçant un discours à Fulton, mars 1946

Le 5 mars 1946, Churchill prononça son fameux discours à Fulton, Missouri. Il a consacré plusieurs mois à le préparer. Il a passé tout l’hiver 1945-1946 aux États-Unis, où lui et le président Truman se sont rencontrés et ont échangé sur ses principaux points de discussion. Puis il s’est rendu à un centre de villégiature en Floride, où il a perfectionné et poli le texte pendant plusieurs semaines. En d’autres termes, ses préparatifs pour son discours de mars ont commencé à la fin de 1945, quand il est devenu clair que l’URSS ne ratifierait pas l’accord de Bretton Woods et n’était pas sur le point de subordonner son système financier à la Fed.

Ce n’était pas une sorte de “tyrannie” ou de “dictature” en URSS qui a déclenché l’ardent désir de Churchill de présenter un document politique clé, ce que son discours au Westminster College s’est avéré être, mais plutôt le refus de Staline de faire céder l’URSS à la ” presse à imprimer.”

En passant, il est intéressant de noter que Churchill a emprunté sa fameuse phrase «rideau de fer» à … Joseph Goebbels, qui avait inventé cette nouvelle expression dans un éditorial du journal Das Reich le 25 février 1945. Mais nous nous intéressons moins à qui appartient le droit d’auteur d’une si belle tournure de phrase qu’à la clarification purement pragmatique : de quel côté est descendu le fameux rideau de fer ?

La réponse de Staline au discours de Churchill était très éclairante.

« En réalité, M. Churchill et ses amis de Grande-Bretagne et des États-Unis présentent aux nations non anglophones quelque chose qui ressemble à un ultimatum : ‘Acceptez volontairement notre loi, et tout ira bien; sinon la guerre est inévitable’… Mais les nations ont versé leur sang au cours de cinq années de guerre cruelle pour la liberté et l’indépendance de leurs pays et non pour échanger la domination de Hitler contre celle de Churchill. Il est donc tout à fait probable que les pays non anglophones, qui comprennent la grande majorité de la population mondiale, ne soient pas disposés à accepter un nouvel esclavage. 

Joseph Staline en 1945
Joseph Staline en 1945

***

Ne prêtant aucune attention à la pression de l’étranger, l’URSS était occupée à reconstruire son pays après les ravages de la guerre. Le 29 août 1949, une bombe atomique soviétique est testée. Maintenant Staline pourrait respirer de soulagement – il n’a plus besoin de craindre une frappe nucléaire de la “presse à imprimer”.. Et le 28 février 1950, le Conseil des ministres soviétique publie un décret stupéfiant :

” … Le gouvernement soviétique a reconnu la nécessité d’augmenter le taux de change officiel du rouble et de calculer ce taux de change du rouble, non pas sur la base du dollar américain, tel que cela avait été établi en juillet 1937, mais sur une base plus stable de l’or, conformément à la teneur en or du rouble.

Partant de cette prémisse, le Conseil des ministres de l’URSS a décrété:

  1. À partir du 1er mars 1950, de ne plus utiliser le dollar pour déterminer le taux de change du rouble contre les devises étrangères, mais de passer à une base d’or plus stable, conformément à la teneur en or du rouble
  2. De régler la teneur en or du rouble à 0,222168 grammes d’or pur
  3. A partir du 1er mars 1950, de fixer le prix d’achat de l’or de l’URSS à quatre roubles et 45 kopecks par gramme d’or pur
  4. A partir du 1er mars 1950, de fixer le taux de change du rouble par rapport aux principales monnaies étrangères sur la base de la teneur en or du rouble, conformément à l’article 2 : à quatre roubles pour un dollar américain au lieu du taux actuel de cinq roubles et 30 kopecks.

En cas de modification ultérieure de la teneur en or des monnaies étrangères ou de la modification de leur taux de change, la Banque d’État de l’URSS fixe le taux de change du rouble par rapport aux monnaies étrangères en tenant dûment compte de ces changements. “

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Un défi avait été lancé. Une autre monnaie que le dollar, le rouble soviétique était maintenant la seule monnaie dans le monde qui soit directement liée à l’or. Staline a créé un système de monnaie et de paiement qui a servi d’alternative à la version anglo-saxonne. Mais il ne l’a fait qu’après avoir fourni à son pays un bouclier nucléaire. Sans céder à la pression, il avait créé au niveau de l’Etat un concurrent à la Réserve fédérale et la Banque d’Angleterre. Il ne restait plus qu’à étendre ce système de paiement et à commencer à donner à la «presse à imprimer» une véritable concurrence. Après tout, l’idée derrière l’argent est simple – s’il est accepté, c’est qu’il y a une demande. Donc, la demande est essentielle. Tout comme les Etats-Unis avaient travaillé pour générer la demande pour le dollar, Staline a commencé à le faire pour le rouble. L’URSS a commencé son commerce extérieur en roubles dorés ou en or, mais en aucun cas en dollars!

Le Conseil d’assistance économique mutuelle (CAEM) avait été créé quelques années auparavant, en 1949, et ses membres échangeaient des roubles d’or avec la Chine, la Mongolie, la Corée du Nord, le Vietnam et de nombreux pays en développement. Un immense continent économique avait été créé, où le dollar ne pouvait pas entrer.

conférence Moscou 20171202

En 1952, Moscou a accueilli une conférence pour les pays en développement et même un certain nombre de pays capitalistes (Suède, Finlande, Islande, Autriche, Suisse et Irlande). La proposition de la Russie de Staline a sonné le glas des plans d’expansion mondiale des banquiers: “… les prix du commerce extérieur convenus d’un commun accord, le développement du commerce extérieur basé sur le troc (échange de marchandises) … la création d’une monnaie interétatique commune avec une teneur obligatoire en or. Ceci, à son tour, accélérera l’intégration économique «non dollarisée», véritablement équitable, des démocraties populaires avec les anciens États coloniaux (c’est-à-dire en développement). Et les pays capitalistes qui ne sont pas intéressés par la «dollarisation» peuvent rejoindre cette intégration, sous une forme ou une autre … »

***

C’est le moment de penser à Winston Churchill. Nous ne nous souvenons pas de lui comme d’un excentrique ayant échoué, mais comme d’un vainqueur et d’un héros. Mais ce n’était pas le fait de gagner la Seconde Guerre Mondiale qui l’a rendu ainsi. Il a eu une seconde chance et a on lui a offert l’opportunité de corriger les bévues qu’il avait commises. Cette possibilité n’a été prolongée que parce que la «presse à imprimer» n’avait pas réussi à trouver une personnalité publique plus compétente. En 1951, Churchill redevient Premier Ministre de Grande-Bretagne. Et il a commencé à travailler assidûment pour rectifier ses propres erreurs. Cette fois, il est complètement réhabilité et reçoit même les honneurs. Et je ne parle pas du prix Nobel de littérature pour son livre sur la Seconde Guerre Mondiale. En avril 1953, Winston Churchill est fait chevalier. C’est le même Ordre de la Jarretière qu’il avait refusé après son premier mandat en tant que Premier Ministre. Cette cérémonie a eu lieu un mois après la mort mystérieuse de Staline. Mais le mystère quant à savoir qui a joué sur les ambitions, la vanité et la stupidité des fonctionnaires du parti communiste en URSS (et comment) fait l’objet d’une enquête entièrement différente.

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Le texte présenté a été tiré du livre de l’historien, écrivain et activiste politique russe Nikolay Starikov « Nationalisation du Rouble », Saint-Pétersbourg, 2012. Adapté et traduit en Anglais par ORIENTAL REVIEW.

Source : https://orientalreview.org/2017/11/30/episode-19-churchill-lost-reclaimed-victory-world-war-ii/

Traduction : Avic – Réseau International

https://reseauinternational.net/leurope-dune-guerre-a-lautre-xix-comment-churchill-a-perdu-et-recupere-sa-victoire-dans-la-seconde-guerre-mondiale/

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