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La culture, la France et l’universel

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Par Gérard Leclerc

Reconnaissons qu’à Droite – nouvelle ou ultra – on saoule les patriotes de la fameuse guerre culturelle d’Antonio Gramsci. Mais tous ces afficionados sont-ils réellement en capacité de comprendre ce qui se cache derrière la culture. Sont-ils capables de savoir si culture universelle et culture française sont compatibles ?

C’est le thème de la réflexion que notre ami Gérard Leclerc a menée, pour la revue bi-mensuelle Royaliste, parue le 17 janvier 2024. Il l’a intitulée « La culture, la France et l’universel ». On s’y retrouve en bonne compagnie avec Péguy, Corneille, Fourquet, Élias, Malraux, Ellul.

Le remplacement de Rima Abdul Malak par Rachida Dati au ministère de la rue de Valois relève de la pure manœuvre politique. Il est pour le moins problématique de lui trouver un sens culturel. On ne connaissait pas d’appétence particulière de la maire du VIIe arrondissement, ancienne garde des Sceaux, pour les questions relevant de ce domaine, au demeurant essentiel. L’ancienne titulaire de la fonction avait beaucoup plus de titres pour exercer une telle mission même si on peut être réservé sur son orientation idéologique. On ne relève pas sans inquiétude une telle désinvolture, alors même que le pouvoir prétend concentrer son attention sur l’avenir de l’école. Il y a une étroite correspondance entre l’objet de l’enseignement et celui de la culture qui relèvent l’un et l’autre du même souci philosophique. À ce propos, j’ai souvent cité le texte de Charles Péguy sur « la crise de l’enseignement » : « il n’y a jamais eu de crise de l’enseignement ; les crises de l’enseignement ne sont pas des crises de l’enseignement ; elles sont des crises de vie ; elles dénoncent, elles représentent des crises de vie et sont des crises de vie elles-mêmes ; elles sont des crises de vie partielles, éminentes, qui annoncent et accusent des crises de la vie générale ; ou si l’on veut les crises de vie générale, les crises de vie sociales s’aggravent, se ramassent, culminent en crises de l’enseignement, qui semblent particulières ou partielles, mais qui en réalité sont totales, parce qu’elles représentent le tout de la vie sociale… » (Pour la rentrée, 1904, Œuvres en prose complètes, I, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de La Pléiade », pp. 1390-1392).

Que pourrait bien dire aujourd’hui le directeur des Cahiers de la Quinzaine ? Ayant été à l’école de la IIIe République, dont il avait tant reçu, il serait sans doute stupéfait du gouffre qui s’est créé en un siècle. Et j’ose à peine deviner sa colère devant un ministre, pourtant crédité d’une sérieuse volonté de réforme, proposant des cours d’empathie pour remédier aux mœurs sauvages des élèves. On est à mille lieues du commentaire du Polyeucte de Corneille et de ses délicatesses… Certes, on peut objecter à cela que ce sont les dures réalités de l’époque qui s’imposent à l’encontre d’un idéalisme hors de saison. Je me souviens de m’être heurté, il y a quelques années, à la presque totalité des directeurs d’établissements catholiques d’un département de l’Ouest, lorsque j’ai exprimé mon regret de l’abandon de la culture générale, dont j’avais bénéficié durant mes années de formation : « Vous n’y pensez pas ! C’est aujourd’hui impossible ! » C’est donc bien la preuve que Péguy avait raison : la crise de l’enseignement, plus généralement celle de la culture, est liée à une crise générale de société. Jérôme Fourquet, en se réclamant de Norbert Élias, parle de phénomène de décivilisation. Mais alors, comment s’opposer à une dérive d’une telle ampleur ? Ne retrouve-t-on pas le procès fait par Malraux à une civilisation « qui n’a su construire ni un temple, ni un tombeau » ?

Malraux, justement ! C’est lui qui, aux origines de la Ve République, avait été engagé par son fondateur à mener un combat qui consistait à « rendre accessibles les œuvres capitales de l’humanité et d’abord de la France, au plus grand nombre possible de Français, assurer la plus vaste audience au patrimoine culturel et favoriser la création des œuvres d’art et de l’esprit qui l’enrichissent ». Tel était du moins l’intitulé du décret de nomination qui instituait le nouveau ministère de la Culture, installé dans une aile du Palais royal. Le grand écrivain avait pris très au sérieux sa mission, expliquant qu’il fallait faire pour la culture ce que Jules Ferry avait fait pour l’école. A posteriori, cette référence au fondateur de l’école publique ne peut qu’interroger. L’évident déclin de celle-ci n’explique-t-il pas le destin erratique des maisons de la culture disséminées sur le territoire national et dont le bouillon de culture produirait l’esprit soixante-huitard ? On peut porter un jugement circonspect sur la gestion du ministère, tel Jean Lacouture, biographe de l’écrivain. Ses coups d’éclat sans lendemain, ses percées audacieuses suivies de brusques retraites s’apparentaient à la stratégie d’un hussard « dont le jeune Malraux porta quelques semaines l’uniforme à Strasbourg ».

Reste l’intention première, ne serait-ce qu’au travers du passage durable et effervescent de Jack Lang rue de Valois. Cette création unique d’une instance étatique vouée à la sauvegarde du patrimoine et à son extension n’était-elle pas digne de notre génie national ? Encore faut-il s’entendre sur son contenu. On peut craindre une rétraction dans le sens d’une étroitesse d’esprit, alors qu’il s’agit d’atteindre l’universel. Nul plus que Malraux n’en était persuadé : « Si la qualité du monde est la matière de toute culture, la qualité de l’homme en est le but : c’est elle qui la fait, non somme de connaissances, mais héritière de grandeur… » Nous devrions être les héritiers de la plus vieille noblesse du monde et ne pas oublier que « Rome accueillait dans son Panthéon les dieux des vaincus » (Les Voix du silence, André Malraux, Gallimard, 1951).

Culture universelle, culture française, les deux notions sont-elles compatibles ? On se souvient de la polémique soulevée par Emmanuel Macron lors de sa première campagne présidentielle : « Il n’y a pas de culture française. Il y a une culture en France. Elle est diverse ». Nul n’a jamais nié que notre culture soit diverse, cela n’empêche pas une unité qui se réfère d’abord à la langue qui, à travers les siècles, a donné naissance à de nouveaux surgeons littéraires, faisant preuve de fécondité et de renouveau dans la continuité d’un fleuve en mouvement. Et le même Emmanuel Macron s’est contredit sur le sujet, ne serait-ce qu’avec la restauration du château de Villers-Cotterêts devenant « Cité internationale de la langue française ». Une langue qu’il définissait lors de l’inauguration comme « fondatrice de notre rapport au monde ».

Il y a bel et bien une culture française comme il y a une culture russe et une culture chinoise. Par ailleurs la spécificité de l’Europe est d’être constituée de nations qui sont autant d’aires originales de civilisation. Seule une conception technocratique, voire saint-simonienne, considère notre continent comme susceptible d’une unification arbitraire, arasant toutes nos différences. Mais voilà qui nous renvoie à la question posée par Jacques Ellul avec tant d’instance : « Culture et technique sont-elles compatibles ou n’appartiennent-elles pas à des registres tout à fait hétérogènes ? » La réponse d’Ellul est sans équivoque : « La technique ne concerne en rien le sens de la vie et récuse toute relation aux valeurs (jamais une technique n’a pu tolérer un jugement de valeur, de bien et de mal, sur ses activités). Ses critères d’existence et de fonctionnement sont qualitativement autres. Elle ne peut donner un sens à la vie, elle ne peut ouvrir sur de nouvelles valeurs. » Accoupler les deux termes est un abus de sens et de non-sens.

On a pu accuser l’auteur du Bluff technologique (1988) d’exagération et d’archaïsme. Mais il faut bien convenir que le défi posé par l’existence d’une Silicon Valley exige une réponse de la part de la culture avec ses ressources inépuisables. Il s’agit alors de placer ses espoirs du côté de la renaissance des humanités !

https://www.actionfrancaise.net/2024/05/05/la-culture-la-france-et-luniversel/

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