Le 25 juillet 2024, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a validé l’approche française dite “abolitionniste” en matière de prostitution.
Nicolas Bauer, chercheur associé au European Centre for Law and Justice (ECLJ), explique dans Valeurs Actuelles :
La saisine a été organisée par des associations dont l’objectif était que la CEDH reconnaisse une « liberté » de se prostituer et qu’elle ordonne à la France d’abolir sa loi de 2016 pénalisant les clients. C’est ce qu’on appelle un “contentieux stratégique” : son objectif premier n’est pas de défendre des victimes, mais d’obtenir un résultat politique. Cinquante-six associations sont intervenues dans la procédure à la CEDH pour demander la légalisation de la prostitution, dont le Planning familial, l’Inter-LGBT ou encore la Fédération Parapluie rouge, créée en 2012 par l’Open Society. Il est intéressant de noter que ce n’est pas la liberté sexuelle que ces associations ont promue, mais le sexe comme travail. Elles ont ainsi souligné qu’une légalisation de la prostitution permettrait davantage de revenus aux prostitués, moins de contrôles d’identité par les forces de l’ordre, une régularisation des prostitués étrangers, notamment ceux qui font l’objet d’une obligation de quitter le territoire français, (OQTF). Rapporteur spécial du Conseil des droits de l’homme des Nations unies sur le droit à la santé, Tlaleng Mofokeng, a aussi soumis à la CEDH ses arguments en faveur de la libéralisation du travail du sexe partout dans le monde.
En face, deux gouvernements, norvégien et suédois, et 13 associations, sont intervenus à la CEDH pour défendre la pénalisation des clients des prostitués. Le Mouvement du Nid, association de terrain accompagnant des personnes prostituées, a expliqué que ce système se fondait sur une réalité : ces personnes ne sont pas des délinquantes mais des « victimes d’un système de violence sexiste et sexuelle ». “Osez le féminisme” a montré que les actes prostitutionnels sont « traumatiques »et que le système prostitutionnel est fondé sur une « culture du viol ». […]
Les juges européens ont ainsi mis un coup d’arrêt au projet de légaliser la prostitution en France. Non, le sexe n’est pas un travail, un proxénète n’est pas un entrepreneur, un trafiquant d’êtres humains n’est pas le PDG d’une multinationale. De nombreux syndicats, comme la CGT, la CFDT et Solidaires, ont d’ailleurs salué cette décision de la CEDH.
Cependant, nous pouvons regretter que la CEDH ait refusé, selon ses mots, d’
« entrer dans le débat » sur « la question de savoir si la prostitution peut être librement consentie ou provient toujours d’une contrainte, ne serait-ce que celle résultant des conditions socioéconomiques ».
La CEDH a ainsi choisi de laisser une porte ouverte pour l’avenir. Son jugement se termine par une demande aux autorités françaises de rester ouvertes à
« nuancer [leur approche] en fonction de l’évolution des sociétés européennes et des normes internationales dans ce domaine ».
La CEDH ne devrait pas ignorer le lien entre prostitution, exploitation sexuelle et traite des êtres humains. Ce lien est documenté. Le contexte des jeux Olympiques en témoigne en ce moment : l’arrivée de millions de touristes augmente la “demande” de prostitution et les autorités remarquent, en conséquence, un déploiement de filières d’exploitation sexuelle avec une moitié de victimes qui seraient mineures. C’est la demande qui alimente la traite et la France a donc raison de sanctionner les clients des prostitués. […]
La traite alimente également la pornographie. C’est ce qu’a montré l’affaire “French Bukkake”, en lien avec les deux leaders du marché pornographique français, Dorcel et “Jacquie et Michel”. Le problème est le même : il est faux de considérer que la prostitution est un “travail“ comme un autre et il est faux de voir la pornographie comme un genre cinématographique, avec des acteurs. Dans les deux cas, ce sont des industries esclavagistes, avec des victimes.