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25 mai 1720 : Marseille pestiférée, ville morte

Michel Serres, Scène de la peste de 1720 à la Tourette (Marseille) © Wikipedia
Michel Serres, Scène de la peste de 1720 à la Tourette (Marseille) © Wikipedia
En Europe, contrairement à une idée répandue, la grande faucheuse "peste noire" ne s'est pas éteinte au Moyen-Âge : À l’aube des Lumières, le 25 mai 1720, la France fut assaillie par un ennemi surgi de son lointain passé : la puce. Par le biais de cet animal insignifiant, la peste a ravagé la ville de Marseille ainsi que toute la Provence, et cela, pendant deux longues années.

Le Grand-Saint-Antoine, un navire de malheur

Comme au Moyen Âge, c’est par la voie maritime qu’arrive la maladie. Ainsi, le Grand-Saint-Antoine, un navire arrivant du Proche-Orient, accoste au port de Marseille le 25 mai 1720. Il échappe mystérieusement à la quarantaine obligatoire sur l’île de Jarre imposée à tout nouveau bâtiment arrivant dans la ville portuaire. Cette règle avait été, en effet, instaurée par le Bureau de la santé afin d’empêcher tout risque d’épidémie. Comment le Grand-Saint-Antoine a-t-il pu échapper à cette réglementation ? En réalité, la cargaison du navire, constituée de draperie, d’étoffes et de tissus, est en partie la propriété des échevins de Marseille, dont le premier d’entre eux s’appelle Jean-Baptiste Estelle. Ils n’ont malheureusement pas la patience d’attendre que la quarantaine se finisse et sont pressés de vendre leurs biens qui pourraient leur rapporter une petite fortune.

Par appât du gain, le Grand-Saint-Antoine est laissé libre de décharger sa marchandise contaminée par des puces porteuses de la peste noire. La mort rentre ainsi secrètement en ville, dont une partie des habitants ignorent qu’ils sont désormais inévitablement condamnés au trépas.

Marseille, ville morte

La maladie se montre à tous, comme toujours, timidement et lentement avant de devenir dévastatrice et inarrêtable. La mort commence ainsi son œuvre en juin 1720 en emportant quelques marins du Grand-Saint-Antoine ainsi que des malades des quartiers pauvres dans lesquels se répand aisément le mal. Ce dernier peut alors compter sur l’aide des dirigeants de la ville qui craignent d’évoquer officiellement le mot « peste » et de mettre fin au commerce qui fait la fortune de la ville et de ses échevins. Mais la réalité les rattrape vite, car nul n’est épargné,ni  le riche, ni le pauvre, ni le jeune, ni l'ancien, et lorsque décision est prise d'agir, il est déjà trop tard.

Le nombre de décès est tel qu’il y a presque bientôt autant de cadavres que de vivants dans Marseille. En effet, la ville voit rapidement la moitié de ses 100.000 habitants périr et la terreur s’emparer des survivants. Ces derniers fuient la ville pour la campagne, suivant l’adage cité par l’historien Daniel Panzac : « Quand il y a la peste, pars vite, loin et longtemps. » Ces exilés volontaires ignorent, cependant, qu’ils amènent la maladie avec eux et vont ainsi contaminer le reste de la Provence. En août 1720, on passe, à Marseille, de trois cents à mille morts par jour. L’effroi et le carnage sont tels qu’il ne se trouve plus aucune personne pour enterrer les trépassés : les corps sont alors laissés dans la rue, à pourrir en plein soleil. À Paris, le Régent prend alors la dure décision de confiner Marseille et la Provence pour protéger le reste du royaume de France.

Peyssonnel fut le premier médecin à diagnostiquer que c'était la peste qui frappait Marseille. Il mourut en soignant des malades. Credit: Wellcome Library, London.
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La lutte s’installe et la maladie recule

Face à la situation, les élites de la ville, par sentiment de culpabilité, par humanité ou par prise de conscience de leur statut, décident de rester sur place et de prendre en main la situation pour faire reculer la maladie. On voit, ainsi, certains échevins comme Jean-Baptiste Estelle ou d’autres notables comme le chevalier Nicolas Roze diriger eux-mêmes des brigades de forçats venant des galères. Ces derniers, dont très peu survivent à leur besogne, transportent les cadavres des pestiférés dans les caveaux des églises, qui se trouvent rapidement remplis, puis dans des fosses communes creusées au cœur de Marseille.

Pendant ce temps, l’évêque de Marseille, Monseigneur de Belsunce, et ses prêtres passent leurs journées et leurs nuits à donner un dernier réconfort et espoirs aux malades en leur donnant l’extrême-onction. La mortalité finit enfin par baisser dans la cité phocéenne, en octobre 1720, avant de disparaître au cours de l’année 1721. Cependant, il faudra attendre l’été 1722 pour que soit officiellement déclarée la fin de l’épidémie qui laisse, après son passage, des milliers de morts. En effet, sur les 400.000 habitants de la Provence, 120.000 ont succombé à la maladie.

Souvenirs et hommages

Après cette terrible tragédie, les Marseillais décidèrent de remercier le Ciel de les avoir aidés à lutter contre l’épidémie. Ainsi, il est décidé par les autorités et les notables de la ville que tous les 28 mai, un cierge orné de l’écusson de la ville serait déposé devant le Saint-Sacrement, en souvenir des milliers de morts de la peste et afin de protéger les vivants de futures épidémies. Cette tradition, appelée le Vœu des Échevins, est toujours perpétuée de nos jours par les responsables de la chambre de commerce de Marseille au sein de la basilique du Sacré-Cœur. Selon l’évêché, « jamais cette cérémonie n’a revêtu la moindre signification politique. Rien n’est venu altérer son caractère exclusivement religieux qui est la manifestation d’une tradition ancrée dans le cœur des Marseillais. » Espérons que cette belle tradition puisse perdurer comme elle le fit pendant plus de 300 ans.

Mais qui est responsable de ce drame ? En 1722, tous les regards se tournent alors vers le capitaine du Grand-Saint-Antoine, Jean-Baptiste Chataud, qui est emprisonné et accusé d’avoir dissimulé l’existence de la maladie à bord de son navire. La Justice a épargné les échevins de Marseille et les responsables du Bureau de la santé, mais les archives attestent aujourd'hui de la culpabilité de ces hommes.

Eric de Mascureau

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