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Introduction
Le 25 février 2024, à 13h15, l’émission catholique « En quête d’esprit » sur la chaîne CNews affiche un visuel présentant « Les causes de la mortalité dans le monde » : 1) L’avortement : 73 millions par an dans le monde 2) Le cancer : 10 millions de décès 3) Le tabac : 3,2 millions de décès, citant des chiffres de l’agence Worldometer . Le lendemain, après une polémique médiatique et politique d’ampleur, Laurence Ferrari présente des excuses au nom de la chaîne : « La chaîne CNews présente ses excuses à ses téléspectateurs pour cette erreur (sic) qui n’aurait pas dû se produire. » L’erreur en question est d’appeler l’avortement une « cause de mortalité. » Dans un tweet de signalement adressé à l’Arcom, le collectif Sleeping Giants France, qui se définit comme un « collectif citoyen de lutte contre le financement du discours de haine », écrit : « IVG présentée comme un décès contrairement à l’avis scientifique, à la loi française et européenne (sic). » Devant une telle doxa, la chaîne CNews a évidemment dû céder pour préserver sa fréquence, jusqu’à s’excuser platement devant les commissions sénatoriales les semaines suivantes.
Face à cette hydre meurtrière qu’est la doxa pro-avortement, aujourd’hui réputée intouchable depuis sa constitutionnalisation en France, il est plus que jamais nécessaire pour les catholiques et les français de bonne volonté de ne pas céder et de continuer le combat. Et pour une fois, nous pouvons, nous devons nous inspirer de l’entrisme culturel pro-vie des américains, face à la tiédeur du catholicisme français sur ce sujet.
I- L’omniprésence de la question de l’avortement aux États-Unis
Malgré les législations meurtrières que les États-Unis, comme la France, ont connu, les américains n’ont jamais cessé le combat pro-vie. Je crois que c’est la première étape de leur victoire législative : le droit constitutionnel à l’avortement, garanti par l’arrêt Roe v. Wade de 1973, a été renversé (overturned) cinquante ans après son introduction, le 24 juin 2022 (Dobbs v. Jackson Women’s Health Organization), laissant aux états la liberté de légiférer comme ils le souhaitent sur la question. Pendant ces cinquante années, malgré l’apparente victoire légale des pro-choix en 1973, le camp pro-vie n’a jamais cessé son combat obstiné. Roe v. Wade n’a pas annihilé la présence du camp pro-vie dans la vie américaine, comme la loi Veil l’a fait en France. Des dizaines d’organisations pro-vie émergent après 1973 aux États-Unis et continuent d’émerger pour combattre l’avortement. James T. McHugh déclare en 1973 que « la seule raison pour laquelle nous avons un mouvement pro-vie dans ce pays est grâce aux catholiques et à l’Église catholique. » Les premières réactions à la décision de la Cour Suprême viennent en effet de la Conférence des Évêques des États-Unis. En 1973, McHugh devient le président exécutif du National Right to Life Committee, créé en réponse à l’arrêt de la Cour Suprême légalisant l’avortement. Le comité décide de prendre ses distances avec la Conférence des Évêques, afin d’attirer plus de protestants. En 1986, Randall Terry crée l’organisation Operation Rescue. Leur désobéissance civile leur vaut des dizaines de milliers d’interpellations, de condamnations et d’amendes entre 1987 et 1994, ce qui leur donne évidemment une puissance médiatique inégalée.
Malgré une corrélation certaine entre le mouvement pro-vie et les partis politiques ou les groupes religieux, des exceptions existent, et ont une importance considérable. Ainsi, il existe des associations qui sembleraient impensables en France, comme la Pro-Life Alliance of Gays and Lesbians (PLAGAL, anciennement Gays Against Abortion), fondée en 1990. De plus, si les démocrates soutiennent une ligne pro-choix de plus en plus féroce, il existe l’organisation Democrats for Life of America (DFLA), fondée en 1999 pour coordonner le combat des démocrates pro-vie. Dépasser ainsi les clivages politiques et religieux demande un courage certain, et peut mener à un violent ostracisme : la présence de PLAGAL sur la Gay Pride de 1995 a mené à des heurts ; des membres de DFLA se sont vus discriminés des conventions démocrates. Malgré tout, la question de la vie est devenue un sujet-bannière récurrent, brandi à chaque campagne électorale dans un sens ou dans l’autre. Ainsi, le camp pro-vie a su garder son influence et son omniprésence dans le paysage médiatique, politique et culturel américain. La raison est simple : une pression religieuse et culturelle pro-vie continue sur tous les aspects de la société américaine.
II- L’entrisme culturel pro-vie
Cette omniprésence culturelle pro-vie, déjà réelle avant 1973 par la seule proportion de chrétiens sur le sol américain, devient vraiment militante dans les années 1980. Comme le décrit le documentaire de la chaîne européenne Arte « Les évangéliques à la conquête du monde » : « Le nouveau cheval de bataille des évangéliques est emprunté aux catholiques : dénoncer la légalisation de l’avortement et défendre la famille traditionnelle. Des idéologues évangéliques vont produire un documentaire pour sensibiliser et mobiliser tous les chrétiens. Une cause commune qui va leur permettre de se constituer en un puissant lobby. » Francis Schaeffer théorise le programme de décadence morale de toute société (secular humanism) légalisant l’avortement, la menant ensuite à banaliser l’euthanasie et l’infanticide. Aujourd’hui, les « évolutions » sociétales lui donnent raison. Son fils, Frank Schaeffer réalise une série de films de propagande pro-vie à la fin des années 1970, dont « Whatever Happened to the Human Race ». Les images sont hautement symboliques (bébé pleurant dans une cage enfumée, poupées désarticulées jetées pêle-mêle sur les rives arides de la Mer Rouge, références à l’eugénisme et au « contrôle qualité » des fœtus etc.). Les films en appellent tant au bon sens qu’au pathos. À partir de Schaeffer, lui-même réactionnaire face à la loi de 1973, le combat pro-vie qui était un débat raisonné, devient émotionnel. Riches de leur expérience hollywoodienne de manipulation des foules, les américains vont produire jusqu’à aujourd’hui des dizaines d’œuvres pro-vie à la puissance émotionnelle inégalée. Ce n’est pourtant qu’une réponse à un camp pro-choix lui aussi de plus en plus dogmatique, où les mantras (« My body, my choice » et autres « droits fondamentaux ») deviennent de plus en plus majoritaires, agressifs et éhontés.
Le 29 mars 2019, un autre blockbuster renouvelle l’entrisme culturel pro-vie : Unplanned. Il s’agit d’une adaptation du best-seller autobiographique éponyme d’Abby Johnson, une directrice de Planning Familial qui se convertit à la cause pro-vie. L’homme d’affaire, et soutien de Donald Trump, Mike Lindell finance une partie du budget du film et apparaît en caméo final où il détruit un Planning Familial avec un bulldozer. Unplanned génère 21 millions de dollars, pour un budget de 6 millions. En France, le film provoque une polémique après sa courageuse diffusion par la chaîne C8 le 16 août 2021. La ministre déléguée à l’Égalité femmes-hommes (sic), Élisabeth Moreno, s’offusque dès le lendemain : « En acceptant de diffuser ce type de programme, C8 se rend solidaire des mouvements anti-choix et se rend coupable du délit d’entrave [à l’avortement] condamné dans notre pays. » Elle le qualifie « d’outil de propagande anti-avortement abject. »
La chanson éponyme du film Unplanned connaît elle aussi un certain succès. Le chanteur chrétien Matthew West compose cette chanson qui inonde alors la toile (la vidéo réalise 1,4M de vues sur YouTube) : « Oh, je ne crois pas aux accidents / Les miracles ne peuvent pas être le fruit du hasard / Tant que mon Dieu tient le monde dans ses mains / Je sais qu’il ne peut rien y avoir d’imprévu. […] Toutes les vies méritent d’avoir une voix / Tous les enfants méritent d’avoir une chance / Tu es tellement plus qu’un simple choix / Il n’y a rien d’imprévu. » En 2016, Matthew West avait déjà composé une chanson pro-vie, « Untold », du point de vue du bébé à naître : « Et le docteur dit que je suis optionnel / Une erreur que tu peux faire disparaître / Je n’ai peut-être pas de voix, mais je suis plus qu’un simple choix / Je suis aussi réel que les battements du cœur que tu entends / Donc ne referme pas encore le livre sur moi / J’ai encore du chemin à faire / Des pages blanches à remplir et le meilleur reste à venir / Je suis une histoire à écrire […] J’ai des doigts et des orteils, et le Ciel sait déjà le nom que tu vas me choisir, qui est déjà le mien / Je sais que tu as peur / Mais quand tu entendras mon premier cri / Quand tu regarderas dans mes yeux / Tu comprendras pourquoi / Tu m’as donné la vie. » De nombreux commentateurs de la vidéo sur YouTube témoignent de l’impact qu’a eu la chanson sur leur décision de garder leur enfant. L’impact de cet entrisme culturel est donc réel, tangible. C’est véritablement une question de vie ou de mort.
III- Quelles conséquences, quelles leçons ?
L’impact de cette omniprésence de la cause pro-vie dans le paysage sociétal américain est énorme. Le film Unplanned relate que la présence de militants pro-vie priant devant les Planning Familiaux ou les cliniques d’avortement dissuade une partie des femmes de pousser la porte. La réaction tonitruante de la ministre Élisabeth Moreno face à ce « délit d’entrave », commis par la seule diffusion d’un film à la télévision, devrait nous encourager à jouer avec les failles du système. Les occasions d’entrisme sont multiples : à la télévision (film diffusé sur C8, émission « En quête d’esprit sur CNews), dans nos cercles d’amis, dans nos engagements politiques et associatifs, dans notre vie de prière. Les américains, à force de jouer avec ce délit d’entrave, connaissent des victoires législatives et sociétales qui devraient encourager les chrétiens français à s’inspirer de leurs méthodes (prières et rassemblements devant les cliniques, entrisme culturel, harcèlement légal des Planning Familiaux, affirmation explicite du commencement de la vie à la conception etc.). En vérité, ce combat n’est pas vraiment optionnel pour un catholique. Dans le respect des charismes et des vocations individuelles, Benoît XVI nous avait déjà appelé à assumer la défense des principes non-négociables de l’Église catholique. Parmi elles, la protection de la vie.
Dans notre première partie, nous avons détaillé l’omniprésence de la question de la vie aux États-Unis. En France, le débat semble être clôt, la guerre perdue d’avance. Même la fameuse Marche Pour la Vie, qui se tient chaque mois de janvier, semble se concentrer sur d’autres sujets plus actuels, comme l’opposition à la GPA ou à l’euthanasie. Pourtant, si nous changeons d’objectif à chaque défaite législative, comment espérer revenir sur lesdites lois ? Si les américains s’étaient laissé divertir du combat anti-avortement par d’autres sujets sociétaux, peut-être tout aussi importants, comment auraient-ils pu renverser le Roe v. Wade ? Donc, quelles leçons retenir de nos frères américains ? Premièrement, leur constance et leur obstination dans le combat pro-vie. Aucun décret, aucune amende, aucune condamnation n’ont pu les faire changer d’objectif. Nous aussi devons garder ce débat, que le Bien Commun a gagné d’avance, ouvert. Nous devons préserver (ou remettre) la question de la vie au premier plan de la réflexion sociétale française. Deuxièmement, leur cohérence missionnaire. Nous savons que nos amis protestants américains aiment à sortir de leur zone de confort (Billy Graham qui convertit des pays entiers, comme la Corée, les jeunes influenceurs évangéliques comme Bryce Crawford, Charlie Kirk, Matt Walsh ou Nicholas Bowling qui se frottent à la contradiction et réalisent des millions de vues sur la toile etc.). La tiédeur du catholicisme français sur ces sujets devrait nous encourager à la combattre, parce que nous sommes l’Église, parce que nous devrions nous bousculer pour sauver la vie d’un seul bébé, parce que le Christ serait mort pour un seul pécheur, parce que « celui qui ramène un pécheur de la voie où il s’égare, sauvera une âme de la mort et couvrira une multitude de péchés. »
https://lesalonbeige.fr/unplanned-la-force-de-lentrisme-culturel-pro-vie-aux-etats-unis/