Par Pierre Gourinard
Par enseignement, j’entends celui que toute famille a le droit et le devoir de prodiguer, ne serait-ce que pour pallier les carences de l’Éducation nationale. D’autre part, et surtout, je ne dissocie pas l’enseignement de la recherche.
Nous verrons en premier lieu la falsification de l’Histoire dans l’enseignement secondaire, en second lieu les aberrations largement initiées par l’exclusivité de l’économique.
Toute propagande commence par l’école. Aujourd’hui, on parle sans craindre le ridicule d’une « école citoyenne ». La propagande était d’autant plus facilitée que l’école de Jules Ferry prenait les enfants de 6 à 12 ans. Il est vrai qu’aujourd’hui on commence parfois à 2 ans et demi pour les lâcher le plus tard possible, selon la loi à 16 ans, ce qui est déjà une ineptie pour beaucoup d’entre eux et, en réalité, souvent à bac +3, +4 ou +5. Les textes sont précis, on ne se contente pas d’instruire, mais d’éduquer.
Dès Ferry, l’Histoire fut à la pointe du combat pour éduquer. Les lois de 1880/1882 ont mis en place un véritable service de propagande d’État qui n’eut rien à envier aux régimes totalitaires du XXe siècle. Faire de l’Histoire une arme de propagande en l’enseignant aux jeunes enfants n’est pas seulement présenter les faits à la manière des conteurs. En effet, pour que l’élève garde le souvenir de ce qui lui est enseigné, le maître doit schématiser. Tout ceci conduit à des approximations ou à des vues complètement erronées.
C’est d’ailleurs le but recherché : taire les diversités, ignorer les infinies variétés des conditions humaines et, surtout,énoncer des jugements d’ensemble et des condamnations sans appel. L’Histoire devient un tribunal et il faut tout enfermer sous des vocables plutôt que d’évoquer un passé qui ne fut jamais immuable. Il faut parler d’ères et de ruptures, celles-ci au sens dialectique du terme, ce qui permet de les opposer les unes aux autres. Ce fut dans les années 1960 la promotion d’une Histoire qui transcenderait les siècles. Les programmes concoctés par les inspecteurs généraux ou départementaux, qui depuis longtemps avaient perdu contact avec la réalité, ont imposé, d’abord pour une ou deux classes du secondaire, des manuels où les auteurs présentaient, selon l’expression de Jacques Heers, « d’ahurissants modèles, de leçons auxdiscours, quelque peu échevelés ».
Devant ces extravagances, on est revenu bien partiellement à la chronologie, mais on a continué à juxtaposer les époques sans lien de continuité.
Si l’Histoire se mêle de juger et de condamner, elle n’est plus libre, plus sincère, plus crédible. L’école républicaine n’a jamais cessé, jusqu’aux années 1960, de promouvoir le culte des héros, à la manière antique, mais avec des intentions surtout idéologiques. L’élan avait d’ailleurs été donné avant Jules Ferry par la phraséologie révolutionnaire. Le culte des « soldats enfants », Bara et Viala a été loué dans le chant du départ composé en 1794 par Marie-Joseph Chénier, long poème d’une désolante niaiserie et dont on fit tirer 18 000 exemplaires, distribués aux soldats des 14 armées de la République. Dans les deux cas, les faits étaient inexacts et avaient été instrumentés par le Comité de Salut public.
Les maîtres d’école de Jules Ferry n’ont rien perdu de cet héritage révolutionnaire, mais l’ont enrichi. On a vu ce paradoxe : les « hussards noirs » acceptant, sans aucun esprit critique, ce que Joinville avait écrit pour le procès de canonisation de Louis IX. Du Roi-chevalier, dans toute la plénitude du terme, hardi guerrier, vainqueur de Taillebourg, politique à poigne qui sut s’imposer et en particulier liquider le reliquat du catharisme, on fit un bigot à « préoccupations sociales ». On est passé, bien sûr, à côté de la réalité, un grand roi, qui fut un grand saint et un grand politique. Les exemples sont nombreux.
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