par Edouard Husson
L’une des conséquences de l’arrestation arbitraire de Pavel Durov samedi 24 août, c’est le message qu’il envoie aux investisseurs et aux entrepreneurs étrangers. Surtout ne faites aucune affaire avec la France ; ça pourrait se terminer très mal pour vous. Il fut un temps où l’occupant de l’Élysée parlait de faire de la France une «start-up nation» (sans très bien comprendre ce que signifie ce terme forgé par Israël). Comme toujours chez les idéologues, le dénouement est à l’opposé de l’intention initialement affichée.
Rappelez-vous : la STARTEUPNEILLCHONNE ! Avec un président réformateur, jeune, cosmopolite, les métropoles françaises allaient devenir comme autant de phares en Europe et le monde. Au passage, l’occupant de l’Élysée ne perdait pas une occasion de fustiger ceux qui tiraient la France vers le bas : les «gens qui ne sont rien», les «Gaulois réfractaires», les ouvrières «illettrées». Mais quelle importance, puisque le pays serait tiré vers le haut ?
La chute assurée
En réalité, le bilan des années Macron est contrasté : la France a été plusieurs années de suite en tête des investissements directs étrangers en France ; mais il s’est plus agi d’extension de sites ou d’investissements existants que de réalisations nouvelles. L’euro investi produit 30 à 50% d’emplois en moins qu’en Allemagne ou en Grande-Bretagne, du fait du coût supérieur du travail en France et/ou des difficultés du dialogue social.
Un bilan contrasté, honorable mais améliorable. Sauf que l’arrestation de Pavel Durov est une très mauvaise nouvelle.
Mettez-vous à la place de n’importe quel investisseur étranger qui réfléchit à un pays de l’Union européenne où installer un centre de Recherche et Développement, une usine etc.. Il voit soudain qu’un entrepreneur de la Tech qui a développé l’un des réseaux sociaux les plus puissants au monde…. – et qui possède la citoyenneté française, de surcroît! est arrêté en atterrissant à Paris et connaît une garde à vue de 96 heures, c’est-à-dire celles réservées aux individus soupçonnés de terrorisme.
Cela va en faire réfléchir plus d’un. Un investisseur a besoin de prévisibilité. La première de ces prévisibilités, c’est l’état de droit. L’Angleterre a montré la voie, dès le XVIIe siècle, en garantissant, par «l’habeas corpus», qu’un entrepreneur ne serait pas soumis à l’arbitraire d’un pouvoir judiciaire manipulé soit par le pouvoir royal soit par des créanciers peu scrupuleux.
Seule la confiance dans la sécurité juridique régnant sur un territoire donné (c’est le premier objectif de la souveraineté !) permet le développement de l’entrepreneuriat, du système bancaire, des investissements. En arrêtant Durov, Macron tue la poule aux œufs d’or. Il se comporte comme tous ces hauts fonctionnaires américains ou européens qui organisent la confiscation des (intérêts des) actifs russes et qui sont en train de détruire, en retour, la confiance internationale que l’on pouvait avoir dans le dollar ou dans l’euro.
Les progrès du «fascisme gris»
Lorsqu’il a fait référence à la «startup nation», Emmanuel Macron ne savait pas de quoi il parlait. Le concept vient en effet d’un ouvrage de Dan Senor et Paul Singer consacré à l’économie israélienne. Avec une profonde ambiguïté : le modèle israélien de «Troisième Révolution Industrielle», pouvait fonctionner dans un environnement pacifique ; or il est fortement dépendant des investissements de l’armée israélienne et du complexe militaro-industriel américain.
D’une manière générale, le capitalisme occidental actuel est fondé sur la connivence entre la haute fonction publique, l’armée et les acteurs d’un secteur privé de moins en moins entrepreneurial. Il se nourrit largement des besoins en surveillance, contrôle, censure etc.. Le capitalisme occidental est en train de se détruire lui-même, évoluant vers ce que j’appelle «fascisme gris».
Alors que la «startup nation» israélienne est aujourd’hui en grand danger d’être détruite par la guerre prolongée que lui impose Benjamin Netanyahou, on voit qu’aux États-Unis un certain nombre d’acteurs de la vie publique et d’entrepreneurs essaient de résister à la logique du fascisme gris. C’est le moment que choisit Macron pour, lui, s’en prendre à Pavel Durov.
source : Le Courrier des Stratèges