Il y a une époque, pas si lointaine, où l’Abbé Pierre était vénéré. Par ceux-là même qui, aujourd’hui, cherchent à effacer son nom des rues et des places de France. Hier, ces bien-pensants de gauche, ces prophètes de la vertu, élevaient cet homme au rang de saint laïc, faisant de lui l’icône intouchable de la charité chrétienne. Aujourd’hui, ces mêmes gauchistes, dans une contradiction criante et dans un retournement grotesque, s’acharnent à vouloir le faire disparaître de la mémoire collective. Pourquoi ? Parce que l’air du temps l’exige. Parce que nous vivons dans une époque où l’accusation vaut condamnation.
L’Abbé Pierre, on le sait, est accusé d’agressions sexuelles. Des accusations, soit dit en passant, qui n’ont jamais été jugées, jamais été prouvées devant un tribunal, et encore moins condamnées. Mais qu’importe pour ces nouveaux inquisiteurs modernes ! Dans ce climat de puritanisme délirant, la présomption d’innocence, même dans la mort, n’a plus aucune valeur. Ceux qui, hier, encensaient cet homme pour son combat en faveur des plus démunis, sont aujourd’hui ceux qui hurlent avec la meute, exigeant que son nom soit rayé de l’histoire.
Plus incroyable encore, voilà que l’association Emmaüs, cette œuvre caritative fondée par l’Abbé Pierre lui-même, rejoint cette curée collective. L’association, au lieu de défendre la mémoire de son fondateur, se tait lâchement ou, pire encore, participe à ce lynchage posthume. Mais si Emmaüs est si outré par les actions présumées de son créateur, pourquoi ne va-t-il pas jusqu’au bout de sa logique ? Pourquoi ne pas dissoudre l’association elle-même ? Vider les comptes, distribuer les fonds aux autres associations plus « vertueuses » et, en bons puritains, tirer un trait définitif sur cette œuvre héritée d’un homme qu’ils renient aujourd’hui. Hypocrisie, toujours ! Ils ne peuvent pas, car ce serait se priver des subsides et de l’aura médiatique que le nom de l’Abbé Pierre leur a légués. Ils se contentent alors d’effacer le nom tout en capitalisant sur l’héritage.
Ce que nous voyons ici, c’est bien plus qu’un simple réajustement moral ou un éclair de justice. Non, c’est la manifestation la plus hideuse du “du passé, faisons table rase”, cette idéologie mortifère qui pousse à raser tout ce qui pourrait heurter la sensibilité puritaine contemporaine. Cette logique, rappelons-le, a mené directement aux goulags, aux camps de rééducation et aux purges. Elle a tué des millions de personnes dans les pays communistes au nom d’une pureté idéologique. Les crimes du passé ne sont pas loin, et c’est vers ce précipice que nous marchons à nouveau.
Le lynchage médiatique est devenu la norme dans une société où la foule hystérique juge avant tout tribunal. L’indignation virtuelle, la chasse aux sorcières numérique, tout cela se déverse aujourd’hui sur l’Abbé Pierre. On ne juge plus un homme pour ce qu’il a accompli, mais pour des accusations non prouvées, relayées dans une tempête médiatique où chacun se sent moralement supérieur en participant à la curée. Ceux qui réclament la débaptisation des rues à son nom, ceux qui veulent effacer jusqu’à sa mémoire, ne sont que les exécutants modernes d’une purification idéologique absurde. Le tribunal de l’histoire les jugera à leur tour.
Mais ce qui est le plus déplorable dans cette affaire, c’est que ce sont ceux-là mêmes qui ont fait de l’Abbé Pierre un héros qui le crucifient aujourd’hui. Hier, ils l’élevaient au rang de prophète, le mettaient en tête de leurs manifestations contre les injustices sociales, le brandissaient comme une icône de la lutte contre la pauvreté. Aujourd’hui, ils retournent leur veste avec une indignation feinte, toujours prompts à s’aligner sur la dernière mode idéologique. Quelle farce !
La France devient peu à peu un pays où l’on gomme les noms, où l’on efface les visages de ceux qui ont façonné notre histoire, parce qu’ils ne correspondent plus aux canons moraux du moment. Mais que restera-t-il de notre civilisation si nous continuons ainsi à sacrifier nos figures historiques sur l’autel de la rectitude morale ? Aujourd’hui l’Abbé Pierre, demain qui ? Victor Hugo ? Jeanne d’Arc ? Les révolutionnaires de 1789 eux-mêmes ?
Il est temps de dire non à cette hystérie collective qui nous pousse vers un nouveau totalitarisme, cette folie qui croit que l’on peut réécrire l’histoire à coup de débaptisations et de condamnations sans procès. Défendre la mémoire de l’Abbé Pierre, ce n’est pas cautionner ce qu’il aurait pu faire (et qui encore une fois n’a jamais été ni jugé, ni condamné). Ce n’est pas seulement rendre justice à un homme. C’est aussi protéger notre société des dérives d’une époque où la raison s’efface au profit du tribunal de l’opinion, où les accusations valent condamnation. Défendons donc l’héritage de cet homme, et dénonçons l’hypocrisie de ceux qui veulent sa disparition tout en profitant de son œuvre.
Julien Dir
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