Élégance féminine 2.0
« Comment nouer un foulard », « Agenda des événements élégants », « Comment choisir les couverts et les verres appropriés ? », « Comment marcher avec des talons ? » ou bien même quelques « réels » d’exemples de « Bonnes manières en société » : @celine_debussy aux quelques 52,6K abonnés sur Instagram et @carmelassak, forte de ses 366K abonnés Instagram, sont des figures de proue de cet engouement pour un art de vivre et de s’habiller bien français, tout comme @shlaikovaelena (143K abonnés sur Instagram) ou encore @maeelegance (133K abonnés sur Instagram) et l'académie des bienséances (23,1K abonnés sur Instagram). Le spectre de ces influenceuses est large et les tendances élégantes qu’elles promeuvent sont vastes : Aude de Vathaire (@frenchelegance.and.more et ses 386K abonnés sur Instagram) dispense à la fois des cours de savoir-vivre et d’élégance : parce que tout est là, justement : bien se vêtir est la première forme de respect dans une société. Suivent ensuite les « bonnes manières », sorte d’élégance sociale qu’on appelle aussi « civilités » parce qu’elles permettent, justement, de vivre en société (du latin civilitas).
Ce genre de contenu prônant l’élégance du vêtement et des relations sociales n’est pas nouveau, aux États-Unis, mais en France, le phénomène est plus récent puisqu'il s'observe depuis un peu moins de deux ans. Et pourtant, autrefois, c’est bien l’élégance qui faisait toute la réputation de la culture française : « J’adore la France, comme la plupart des Américains. Les Français savent respecter la culture et l’élégance », affirmait Robert De Niro. Ainsi, des dizaines de milliers d’abonnés suivent ces petites vidéos ou consomment ces photos représentatives d’un patrimoine culturel et social à l’occidentale que certains aimeraient voir disparaître. Un patrimoine immatériel de savoir-vivre et de savoir-être policé par des siècles de civilisation. D’aucuns pensent que ces codes de la vie en société sont désuets, obsolètes et renvoient à un passé ténébreux faits de diktats et de normes que Mai 68 a bien fait de lapider sous les pavés. Pour Joseph Godefroy, sociologue spécialisé dans l’influence sur les réseaux sociaux, ces codes sociaux seraient autant de cases et de normes bonnes à jeter : « Dans le cas des influenceurs élégance, on a aussi des contenus très explicites sur la volonté de prescrire des normes : comment bien se comporter, qu’est-ce que l’élégance à la française, le chic, et montrent un style de vie qui tient plutôt à des valeurs conservatrices françaises. » Horreur ! « Ces comptes semblent laisser peu de place au progressisme et à la diversité. » Tout est dit, fermez le ban… Pourtant, l’audience de ces influenceuses est jeune : une majorité de femmes âgées de 16 à 35 ans.
Marion Mayer, dans un article de Télérama datant du 24 janvier dernier, se désole : « C’est à désespérer : le dernier état des lieux du sexisme en France, établi par le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCE), dresse un constat encore plus alarmant que l’année dernière. Parmi les sujets d’inquiétude : les "plateformes numériques", qui "constituent une véritable caisse de résonance des stéréotypes de genre". En plus de favoriser les violences sexistes et sexuelles […], les réseaux sociaux participent à la culture sexiste. » En effet, ces jeunes élégantes « rabâche[raient] à l’envi les bons vieux diktats : "sois élégante", "sois féminine". » Ô Rage ! Ô désespoir !
Parce qu’elles auraient l’outrecuidance de promouvoir la féminité élégante et les bonnes manières, ces jeunes influenceuse seraient « une des causes de régression de certaines femmes vers des valeurs plus traditionnelles », selon Sylvie Pierre-Brossolette, présidente du HCE.
Pourtant, les concernées s’en défendent bien ! Pour Céline Debussy, l’élégance est « un facteur d’intégration sociale » et, selon Carmel Assak, « l’élégance […] démontre que les femmes peuvent être fortes, indépendantes et élégantes simultanément », en paraphrasant presque Elie Saab qui pensait que « les femmes élégantes sont des femmes de caractère avec confiance ». L’élégance féminine utilisée comme instrument de pouvoir… et pourtant, cela hérisse le poil des féministes de gauche ! C’est à n’y rien comprendre ! Mais il est vrai qu’« il est très mal vu d’être élégant dans les bons milieux intellectuels. Être propre, c’est déjà une audace », disait le scénariste Marcel Mithois…
La galanterie, « un contre-pouvoir » féminin ?
Et pourtant, dans une émission de France Culture datant du 14 septembre dernier, deux femmes, professeurs de littérature et auteurs, s’interrogent : « Le romantisme, la galanterie, les contes de fées : et si nous n’avions rien compris ? » Ah… mais encore ?
Jennifer Tamas, auteur de Peut-on encore être galant ? (Seuil), répond : « La galanterie naît d’un rejet de la violence, surtout dans l’intimité. À travers les œuvres de Scudéry, Sévigné ou Madame d’Aulnoy s’exprime un refus des viols conjugaux et une quête de consentement. Elle se présente ainsi comme un contre-pouvoir, prônant respect et délicatesse dans les relations. » Les « bonnes manières » et #MeToo, même combat ? On n'a donc pas attendu les grandes révolutions féministes du XXIe siècle pour avoir de la considération à l'endroit du sexe faible ? La galanterie, « un contre-pouvoir » féminin ?
Taxées de « bourgeoises » et de « conservatrices », l’élégance vestimentaire et la politesse, l’élégance des mots et des gestes, n’ont pas la cote chez les nouveaux bien-pensants ! Pourtant, elle n’a rien d’élitiste et est bien à l’opposé du mépris de classe que l’on peut constater chez certains insoumis… Ces codes, justement, sont accessibles à tous et appartiennent à notre culture commune. Grâce à ces influenceuses, ils sont largement diffusés.
Sybille Riquetti
https://www.bvoltaire.fr/elegance-et-savoir-vivre-des-influenceuses-transgressives/