Si, en janvier dernier, le soutien de l'opinion a été acquis aux agriculteurs comme jamais par le passé, ils le doivent à plusieurs raisons de fond. D'abord, la prise de conscience, confuse mais bien réelle, que l'agriculteur est en charge de l'essentiel, matériel et immatériel : la nourriture évidemment, mais aussi la nature, les paysages, le pays, dans sa beauté, son identité et son passé. Le vieux slogan « pas de pays sans paysan » n'a jamais sonné aussi juste. Et cette popularité inattendue s'est paradoxalement manifestée au moment où l'agriculteur se fait rare, même dans les zones rurales : dans ce village des Pyrénées, il n'y a plus qu'un seule agricultrice. La dernière. La France a soudain touché du doigt l'angoisse de la disparition.
Ensuite, la population s'est retrouvée immédiatement solidaire de ces révoltés qui, par bien des côtés, prolongeaient l'action des gilets jaunes à ses débuts : même France périphérique, mêmes fins de mois difficiles, même exaspération devant des contrôles et des contraintes sans fin, même attention extrême au coût des carburants, de l'énergie, indispensables pour faire tourner une exploitation. Même sentiment d'abandon et de colère vis-à-vis d'élites politiques et médiatiques qui ne jurent que par la mondialisation (ce traité Mercosur qui les menace), l'écologie punitive et taxatrice, la valorisation de minorités woke et de l'immigration. Or les agriculteurs sont devenus, en quarante ans, une minorité et une minorité en proie à une souffrance extrême qu'attestent l'isolement, le célibat, le taux de suicide : « un risque de mortalité par suicide supérieur de 43,2 % à celui des assurés tous régimes », selon les chiffres de la MSA (Mutualité sociale agricole). Une souffrance invisibilisée.
Conscients de l'atout que représente ce soutien de la population, les agriculteurs, à partir de ce lundi, vont lancer dans tous les départements des opérations nouvelles, intelligentes, destinées à renforcer cette communauté de destin avec la population. Les panneaux retournés, les « feux de détresse » sur des ronds-points, comme dans l'Aveyron, mais aussi les radars « végétalisés » comme dans l'Eure ou couverts de pneus, comme dans l'Oise. Nul doute que les automobilistes, eux-mêmes ulcérés par cet impôt exorbitant que constituent les milliards d'euros ramassés pour un dépassement de 5km/h, se montreront solidaires de ces actions. C'est donc une nouvelle révolte qui commence ce lundi : six ans après les Gilets jaunes, moins d'un an après un premier round des agriculteurs, le pouvoir devrait la prendre très au sérieux.