Cependant, ce tableau flatteur cache plusieurs zones d’ombre. Si l’opération a été menée à bien d’un point de vue technique et financier, la Cour des comptes soulève des questions concernant la rémunération d’Enedis et ses engagements initiaux auprès du consommateur. Le rapport salue le « programme industriel au succès reconnu par la plupart des acteurs » mais souligne qu’il n’a pas atteint « les prévisions initiales » de 9,7 milliards d’euros de gains promis aux consommateurs. Ces derniers étaient censés économiser grâce à une gestion optimisée de leur consommation d’énergie - ce que les dispositifs Linky n’ont pas réellement permis. De plus, la filiale d’EDF a perçu de l'État une rémunération additionnelle de 311 millions d’euros entre 2016 et 2023, avec un taux garanti jusqu’en 2041.
La Cour des comptes pointe aussi un dispositif de rémunération particulièrement favorable au gestionnaire Enedis, qui a bénéficié d’un bonus de 407 millions d’euros, entre 2016 et 2022, grâce à des objectifs de performance atteints en matière de coûts et de délais. Enfin, le rapport met en lumière le mécanisme de « différé tarifaire », un système que l’institution du palais Cambon juge « complexe et coûteux », finalement payé par les consommateurs. Un ensemble de pratiques et de mécanismes qui, en fin de compte, semble loin de profiter au public.
Un compteur déjà sous le feu des critiques
Ce n’est pas la première fois que les compteurs Linky ne sont pas à la hauteur des attentes depuis leur déploiement, notamment sur leur coût réel et leurs implications pratiques. Ainsi, en 2018, la Cour des comptes dénonçait déjà un dispositif « coûteux pour le consommateur », en contradiction avec les promesses initiales. En 2011, Enedis avait en effet assuré que les particuliers n’auraient « strictement rien à payer, ni maintenant, ni plus tard » pour l’installation des compteurs. Pourtant, dès 2022, les 90 % de foyers équipés devaient commencer à rembourser le coût de l’installation, soit un total de 130 euros répartis sur les factures pendant plusieurs années.
En parallèle, près de 1,2 million de foyers continuaient, en 2023, à refuser l’installation de Linky, évoquant des inquiétudes sur les coûts, les risques liés au numérique ou encore les dérives possibles en matière de surveillance. Une polémique avait notamment éclaté pendant la crise sanitaire, lorsqu’il avait été suggéré d’utiliser le compteur pour vérifier l’occupation des résidences secondaires. Ceux qui refusent d’informer la filiale d’EDF de leur index de consommation doivent encore à ce jour payer une pénalité annuelle de plus 50 euros pour la relève manuelle. Et d'ici 2025, les réfractaires à la petite boîte verte pourraient, à leur tour, devoir s'acquitter de 41,58 euros tous les deux mois, auxquels s'ajouteraient 25,08 euros pour ceux qui ne transmettent pas eux-mêmes leur relevé de consommation.
Ce rapport, six ans après celui qui appelait à des améliorations en faveur des consommateurs, met surtout en lumière que le programme d’Enedis, censé servir l’intérêt général en tant que gestionnaire d’un service public, a principalement tenu ses promesses… pour le distributeur lui-même.