Interview de Nikolaï Patrouchev, assistant du président de la Fédération russienne et membre permanent du Conseil de sécurité de la Russie, à Andreï Baranov, journal Komsomolskaïa Pravda, 14 janvier 2025
Andreï Baranov : Nikolaï Platonovitch, depuis de nombreuses années, vous avez été et continuez d’être étroitement impliqué dans la géopolitique et de participer à la prise de décision dans la sphère de la sécurité internationale. Ne pensez-vous pas que le monde demeure tapi dans l’attente de sérieux changements au seuil de l’investiture de Donald Trump ?
Nikolaï Patrouchev : Une partie importante du monde a encore les yeux rivés sur l’Amérique. Pourtant l’élite américaine elle-même est scindée et n’a pas d’idée commune sur la manière de construire une politique dans le monde comme dedans le pays.
Le principal slogan de Trump est qu’il est censé avoir un plan pour ramener les États-Unis à une politique pragmatique qui serait bénéfique à l’État comme à ses citoyens. Il reste à voir comment cela se raccrochera avec les intérêts d’autres pays et d’autres peuples.
D’une manière ou d’une autre, nous assistons aujourd’hui à de sérieux changements dans le monde. Je ne parle pas seulement de la situation géopolitique, mais aussi de l’état de l’économie, de la sphère technologique, des processus sociaux et culturels. La dernière fois que de tels changements tectoniques se sont produits, c’était après la dissolution de l’URSS. À l’époque l’Occident n’est pas arrivé à s’adapter aux nouvelles réalités et continuait à vivre comme pendant la guerre froide, à la recherche constante d’ennemis.
Andreï Baranov : Les déclarations quotidiennes de Trump ne peuvent être qualifiées que de révolutionnaires : aversion pour tout ce que faisait l’administration Biden, déclaration d’idées radicalement nouvelles…
Nikolaï Patrouchev : La présidence de Biden a montré que les priorités de la Maison-Blanche et des citoyens ordinaires différaient considérablement. Les mots familiers à chaque Américain depuis les manuels scolaires, selon lesquels en Amérique ce serait le peuple qui gouvernerait pour le peuple et au nom du peuple, sont en contradiction avec la réalité. Par conséquent, les Américains ordinaires accepteront toute idée susceptible de contribuer à leur bien-être. Ils accueilleront favorablement des mesures visant à soutenir les valeurs familiales, à améliorer les soins de santé, à lutter contre les incendies et l’immigration illégale.
Bien entendu, l’avenir nous dira si Trump sera en mesure de réaliser pleinement ses intentions. Comme l’a montré son premier mandat, le fameux État profond des États-Unis est très puissant. Il pourrait ne pas le laisser se déployer pleinement. Et l’expérience de la campagne électorale avec des attentats contre lui a montré qu’il fallait être prêt à affronter les scénarios les plus impensables.
Il est clair que les positions de Trump sont loin d’être partagées par toutes les élites des États-Unis. Ses points de vue divergent considérablement des projets des représentants du parti démocrate, de certains propriétaires de géants industriels et des sociétés transnationales. Il est donc extrêmement important que la sécurité de Trump et de son entourage soit assurée avant sa prise de fonction en tant que chef d’État comme pendant sa présidence.
Andreï Baranov : Donald Trump a déjà exposé ses intérêts concernant le Groenland, le canal de Panama, le Mexique, le Canada, d’autres États de divers continents. Pourquoi, contrairement à Biden, ne parle-t-il pas aussi souvent de l’avenir de l’Ukraine ?
Nikolaï Patrouchev : Pour l’administration Biden l’Ukraine était une priorité absolue. Il est clair que la relation entre Trump et Biden est antagoniste. Par conséquent, l’Ukraine ne fera pas partie des priorités de Trump. Il est plus préoccupé par la Chine.
En outre, comme vous l’avez dit, il a exposé ses intérêts en ce qui concerne le Groenland, le canal de Panama, le Mexique et le Canada. C’est une tradition américaine de redessiner la carte du monde en fonction de ses intérêts et de s’ingérer dans les affaires de pays situés sur divers continents.
Dans le même temps, on peut difficilement qualifier de fondé le discours selon lequel Trump enverra les forces armées à la conquête de nouveaux États pour les États-Unis. Néanmoins, il ne fait aucun doute que dans tous ces domaines, la nouvelle administration défendra ses propres intérêts avec beaucoup d’entêtement.
En ce qui concerne les relations entre les États-Unis et la Chine, je pense que les désaccords entre Washington et Pékin vont s’aggraver et que les Américains vont les gonfler, y compris artificiellement. Pour nous, la Chine a été et reste notre partenaire le plus important, avec lequel nous avons des relations de coopération stratégique particulièrement privilégiée. Ces relations ne sont soumises à aucune conjoncture, elles sont préservées quel que soit l’occupant du Bureau ovale.
Andreï Baranov : Nos intérêts ne sont pas limités par notre partenariat avec la Chine. Nous devons les défendre dans d’autres régions. Que diriez-vous des relations avec les États baltes et la Moldavie ?
Nikolaï Patrouchev : La principale priorité pour nous est la protection et le bien-être de nos citoyens et de nos compatriotes dans le monde entier. Si nous parlons de l’aspect international, la discrimination à l’encontre de la population russe dans tout un nombre de pays, notamment dans les États baltes et en Moldavie, doit prendre fin. Les autorités de ces États continuent de s’enfoncer elles-mêmes dans la crise la plus profonde par leurs actions irréfléchies tout en s’entêtant dans leur russophobie insipide. La crise énergétique en est particulièrement révélatrice, la faute en incombant à 100% aux autorités moldaves, qui suivent docilement les ordres de Bruxelles de réduire la dépendance gazière à l’égard de la Russie.
Par conséquent, Chisinau ne doit se tromper elle-même ni tromper son peuple. Les autorités moldaves ne devraient pas chercher des ennemis à l’intérieur du pays ou en Transnistrie, mais reconnaître leurs erreurs et commencer à corriger la situation.
Je n’exclus pas que la politique anti-russe agressive de Chisinau conduise à ce que la Moldavie fasse partie d’un autre État ou voire cesse d’exister. Dans cette situation, on peut regarder l’exemple de l’Ukraine, où le néonazisme et la russophobie ont conduit le pays à l’effondrement, et ce bien avant l’opération militaire spéciale.
Andreï Baranov : Les représentants de la nouvelle administration américaine, en particulier les conseillers nommés par Trump, reconnaissent dans certaines de leurs déclarations que la Russie ne cédera en aucun cas à l’Ukraine ni à qui que ce soit d’autre les territoires qui font déjà partie de la Fédération russienne…
Nikolaï Patrouchev : Ceci n’est même pas à discuter. Les territoires qui étaient autrefois gouvernés par Kiev sont devenus partie intégrante de la Russie par la volonté des citoyens, conformément au droit international, aux lois de la Fédération russienne et à la législation de ces régions.
Quant à la position de la Russie envers l’Ukraine, elle reste inchangée. Il est important pour nous que les tâches de l’OMS soient accomplies. Elles sont connues et n’ont pas changé. Le président de la Russie Vladimir Poutine les a nommées à plusieurs reprises.
Il est également important que le monde reconnaisse l’intégration dans la Fédération russienne de la RPD, de la RPL, des oblasts Zaporojien et Khersonien, de la République de Crimée et de Sébastopol, qui font partie intégrante de notre pays conformément à la Constitution.
Je tiens à souligner une fois de plus que le peuple ukrainien reste pour nous proche, fraternel et lié à la Russie par des liens séculaires, même si les propagandistes de Kiev, obsédés par l’«ukrainité», prétendent le contraire. Nous ne sommes pas indifférents à ce qui se passe en Ukraine.
Il est particulièrement inquiétant que l’application violente de l’idéologie néonazie et la russophobie ardente détruisent les villes jadis prospères de l’Ukraine, notamment Kharkov, Odessa, Nikolaïev et Dnepropetrovsk.
Il n’est pas exclu que dans le courant de l’année l’Ukraine cesse d’exister pour de bon.
Si nous parlons de perspectives spécifiques d’évolution en tenant compte du facteur Trump, nous respectons ses déclarations. Je pense que les négociations sur l’Ukraine devraient être menées entre la Russie et les États-Unis sans la participation d’autres pays occidentaux.
Nous n’avons rien à discuter avec Londres ni Bruxelles. Ainsi, les dirigeants de l’UE n’ont déjà depuis longtemps aucun droit de parler au nom de plusieurs de leurs membres tels que la Hongrie, la Slovaquie, l’Autriche, la Roumanie et certains autres pays européens intéressés par la stabilité en Europe et adoptant une position équilibrée à l’égard de la Russie.
source : Komsomolskaya Pravda
traduit par Valerik Orlov https://russophile.boris-vian.net