L’essai de Gérard Hupin, Un grand défenseur de la civilisation, Charles Maurras, a fait l’objet d’une conférence prononcée à la Tribune du Cercle « Septembre » à Bruxelles, le 21 mars 1955. Pour son impression, il a été préfacé par Gustave Thibon, que nous vous proposons de lire ici.
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par Gustave Thibon
J’ai lu avec un profond intérêt – un intérêt auquel ma vieille amitié pour l’homme que fut Maurras, ajoutait une note d’émotion intense – le petit livre que M. Gérard Hupin consacre au plus grand défenseur de la civilisation qui ait paru dans notre époque.
Ces pages, dont la concision lumineuse va droit à l’esprit du lecteur, constituent une excellente initiation pour ceux qui ne connaissent pas l’œuvre de Maurras. Et pour ceux qui ne la connaissent qu’à travers des interprétations déformantes, entretenues par la paraisse d’esprit et la malveillance, elles balaieront une foule de préjugés et d’équivoques.
Défenseur de la civilisation : Maurras a été cela avant tout, et sa vie s’est consumée dans ce combat. Mais qu’est-ce que la civilisation ? C’est un climat où l’individu, en naissant, « trouve plus qu’il n’apporte », un capital de beauté, de vertu et d’harmonie, lentement amassé par le génie lumineux de l’homme en lutte avec les forces obscures de la nature, une victoire du principe immortel qui est en nous sur le chaos et sur la mort. Mais cette victoire reste toujours précaire et menacée ; la nature porte la civilisation comme l’abîme porte l’arche : sur un tombeau entr’ouvert. Le bien gagné reste à défendre, dit Maurras dans son admirable Colloque des morts. Rien n’est définitif en ce monde ; l’œuvre accomplie est toujours à refaire et, par un étrange paradoxe, rien n’a plus besoin d’être défendu contre la mort que ce rayon d’éternité posé sur les choses du temps. Pendant plus de cinquante ans, Maurras, debout à la proue du vaisseau de la civilisation, a été cet homme qui dit non à toutes les formes du naufrage, à la colère des vents, comme aux incantations des sirènes…
Et son message demeure aujourd’hui plus vivant, plus actuel que jamais [et rappelons que Gustave Thibon est mort au début de l’année 2001, il n’a donc pas connu la période déliquescente très actuelle, qui confirme d’autant ses propos-ci]. Je sais bien qu’il comporte des parties caduques : c’est la part inévitable des circonstances dans toute œuvre humaine. Mais sous ses frondaisons fanées, la sève éternelle reste intacte. Au reste, le jaillissement de la pensée de Maurras déborde de tout côté l’opinion philosophique et politique qu’on a encensée ou condamnée sous le nom de maurrassisme. Je n’aime pas les mots en –isme, et celui-là pas plus que les autres. La pensée d’un homme de génie est une source, un système n’est pas qu’un bassin : Maurras est plus grand et plus vrai que tout maurrassisme.
Il est surtout plus universel. Ce qu’on a appelé son étroitesse ou son exclusivisme n’est pas autre chose que le souci de respecter la hiérarchie des valeurs, de ne pas confondre les plans ni brûler les étapes. Écoutons l’invocation qu’adresse à Minerve cet homme qu’on a si souvent traité de doctrinaire fanatique et borné : « que d’autres, moins pieux ou moins réfléchis, t’aient donné pour prison une case de leur pensée, qu’ils t’enferment dans un point du temps ou dans un lieu du monde ! Entends mieux nos propos : c’est la vie, la vie tout entière et non un fragment de la vie, toute la science, tout art, toute morale, toute rêverie, tout amour qui te sont exposés afin que tu leur marques la cadence de l’univers ». En réalité, Maurras nous convie à sauver – chacun à notre place et dans nos limites – tout ce qui dans l’homme est digne de l’homme, tout ce qui fait partie de l »héritage sacré : patrie, beauté, ordre, amour, prière. Faut-il ajouter que la sagesse éternelle, invoquée ici sous le nom de Minerve, a repris peu à peu, dans la pensée et dans le cœur de Maurras, son vrai visage qui est celui du Verbe incarné ?
Le rayonnement de l’œuvre de Maurras subit aujourd’hui une éclipse. Nous le regrettons pour ceux que cette éclipse prive de la lumière, plutôt que pour la lumière elle-même. Car, comme disait Victor Hugo : « Ce n’est pas du côté du soleil que l’éclipse fait de l’ombre ».
Le livre de M. Gérard Hupin vient à son heure : nous ne doutons pas qu’il contribuera efficacement à dissiper les nuées que l’ignorance et la mauvaise foi ont entassées autour de ce foyer de lumière qu’est la pensée de Maurras.
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