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Roumanie : l’exclusion de Călin Georgescu de la présidentielle…une crise démocratique ?

La Roumanie traverse une tourmente politique sans précédent depuis l’annulation du premier tour de l’élection présidentielle de novembre 2024. Ce scrutin, tenu le 24 novembre, avait vu l’émergence surprise de Călin Georgescu – un candidat jusqu’alors peu connu – qui était arrivé en tête avec environ 23% des suffrages. À la stupéfaction générale, la Cour constitutionnelle roumaine a invalidé les résultats du premier tour début décembre 2024, évoquant un « fait rare dans l’Union européenne » . Cette annulation spectaculaire a interrompu le processus électoral avant même le second tour initialement prévu, plongeant le pays dans une crise politique durable. De nouvelles élections ont été programmées pour mai 2025 dans un climat extrêmement tendu

Les motifs invoqués par la Cour pour justifier cette décision sont graves. Les juges ont retenu de « multiples irrégularités » de nature à avoir faussé le vote.  En particulier, ils suspectent une vaste ingérence étrangère : Călin Georgescu aurait bénéficié d’un « coup de pouce de la Russie » durant la campagne du premier tour

Des enquêtes menées fin 2024 ont mis en lumière une opération d’influence illicite sur les réseaux sociaux – notamment sur la plateforme TikTok – en faveur de ce candidat nationaliste et très critique envers l’UE et l’OTAN. Ces éléments ont conduit les autorités roumaines et les juges à estimer que les conditions d’un scrutin libre et régulier n’étaient pas réunies, justifiant ainsi l’invalidation du vote initial. La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a soutenu l’initiative en déclarant qu’« nous devons protéger nos démocraties de toute forme d’ingérence étrangère »

Dans la foulée, Bruxelles a même ouvert une enquête sur TikTok pour son rôle potentiel dans cette manipulation électorale

Ingérence russe et irrégularités : la justification des autorités

Călin Georgescu, 54 ans, a rapidement été placé au cœur d’une tempête politico-judiciaire. Peu après l’annulation du scrutin, le parquet de Bucarest a lancé des poursuites pénales contre lui. Le 26 février 2025, le candidat arrivé en tête du vote avorté a été formellement inculpé et placé sous contrôle judiciaire. La liste des accusations est longue : fausses déclarations sur le financement de sa campagne électoraleincitation à des actions anticonstitutionnellesincitation à la haine et même « organisation de groupes fascistes » (sic). Les enquêteurs le soupçonnent d’avoir profité de financements et de soutiens occultes liés à la Russie, en violation des lois roumaines. Par exemple, une enquête a révélé qu’il avait bénéficié d’une importante campagne de propagande sur TikTok orchestrée depuis l’étranger. La police roumaine a mené en parallèle des dizaines de perquisitions à travers le pays pour démanteler les réseaux d’influence gravitant autour de Georgescu

Les autorités roumaines défendent bec et ongles la légitimité de ces actions. D’après la commission électorale, Georgescu « ne remplit pas les conditions de légalité » pour concourir à la magistrature suprême, ayant enfreint « les règles démocratiques d’un suffrage honnête et impartial ». En clair, Bucarest affirme protéger l’État de droit : laisser un candidat prétendument alimenté par une puissance étrangère et soupçonné de fraude accéder au pouvoir représenterait un danger pour la souveraineté nationale. « Liberté d’expression muselée ou État de droit préservé ? », titrait ainsi le journal Les Échos pour résumer le dilemme. Aux yeux du gouvernement roumain et de nombreux observateurs en Europe centrale, l’éviction de Călin Georgescu est avant tout une mesure de sauvegarde visant à empêcher une manipulation du vote par Moscou et à garantir des élections libres de toute influence illicite

Partisans de Georgescu en colère : Un « coup d’État électoral » ?

Du côté de Călin Georgescu et de ses partisans, la lecture des événements est radicalement opposée. Dès l’annonce de l’annulation du premier tour, des dizaines de milliers de manifestants sont descendues dans les rues pour exprimer leur indignation. La décision de la commission électorale, le 9 mars 2025, de rejeter définitivement la candidature de Georgescu à la nouvelle élection de mai a mis le feu aux poudres. Le soir même, des manifestations ont éclaté à Bucarest. Environ 300 protestataires ont tenté de forcer le cordon de police devant le siège du Bureau électoral central en scandant « Liberté ! ». Les gendarmes ont dû faire usage de gaz lacrymogènes pour disperser une foule en colère qui dénonçait un « vol du vote ». Deux officiers de police ont été blessés dans ces heurts

Călin Georgescu lui-même fustige ce qu’il considère être une injustice flagrante. À sa sortie d’un interrogatoire au parquet fin février, il a déclaré que les procureurs « n’ont d’autre but que de bloquer [sa] candidature » au scrutin à venir. Sur les réseaux sociaux, il a accusé le « système communiste-bolchevique » roumain de perpétrer des « abus odieux » contre lui . Ses soutiens qualifient l’annulation de l’élection et son éviction de « coup d’État électoral », estimant que l’establishment pro-européen a renversé par la force judiciaire une volonté populaire qui s’était exprimée en sa faveur. « On invente des preuves pour justifier le vol des élections », s’est insurgé Georgescu, dénonçant un scrutin présidentiel « volé » par les élites. Convaincus que leur champion est victime d’une élimination politique arbitraire, ses partisans promettent de maintenir la pression dans la rue. Des dizaines de milliers d’entre eux ont déjà manifesté ces dernières semaines dans tout le pays, brandissant des pancartes proclamant « Georgescu président – élection volée ». L’instabilité née de cette contestation populaire fait redouter de nouveaux troubles à l’approche de l’échéance électorale de mai.

Implications pour la démocratie en Roumanie et en Europe

Cette crise politique soulève de lourdes interrogations quant à l’état de la démocratie en Roumanie, et par extension en Europe. Il est exceptionnel qu’un État membre de l’UE annule un scrutin démocratique pour cause d’ingérence étrangère : c’est une première dans l’histoire récente de l’Union. Pour les défenseurs de la décision roumaine, il en va de la souveraineté nationale et de la protection de l’intégrité du vote. À leurs yeux, ignorer les indices de fraude massive et d’intervention de Moscou aurait constitué une abdication face aux menaces hybrides qui pèsent sur les démocraties occidentales. Mieux vaut, estiment-ils, des mesures exceptionnelles – annulation, enquêtes, interdiction de candidature – pour préserver la sincérité du scrutin, plutôt que de laisser triompher un résultat vicié par des manipulations invisibles. D’ailleurs, l’Union européenne semble cautionner cette fermeté : l’enquête ouverte sur TikTok et les déclarations d’Ursula von der Leyen signalent la volonté de Bruxelles de « protéger nos démocraties » à tout prix

Cependant, d’autres voix en Europe et au-delà s’alarment des dérives potentielles d’une telle situation. L’exclusion de Călin Georgescu, qui caracolait en tête des sondages avec environ 40% d’intentions de vote, pose la question de la liberté du choix des électeurs. Peut-on évincer un candidat plébiscité par une partie significative de la population au motif d’une ingérence encore en cours de vérification? Des analystes redoutent qu’en voulant combattre une manipulation étrangère, les autorités roumaines aient porté atteinte au principe même d’expression de la volonté populaire. Pour le vice-président américain J.D. Vance, proche de la nouvelle administration Trump, les dirigeants de Bucarest « annulent des élections dont ils n’aiment pas les résultats », trahissant ainsi la démocratie. De même, Elon Musk – conseiller du président Donald Trump – a qualifié de « folie » la décision de barrer la route à Georgescu. Ces critiques soulignent le risque de précédent : un gouvernement pourrait, sous couvert de contrer une influence étrangère, écarter un opposant devenu trop dérangeant. Une telle manoeuvre brouille la frontière entre la défense de l’État de droit et la suppression d’une alternative politique.

En définitive, l’affaire Georgescu confronte la Roumanie – et l’ensemble des démocraties européennes – à un choix épineux : comment se prémunir efficacement contre les ingérences et manipulations venues de l’étranger tout en respectant scrupuleusement la souveraineté du vote populaire ? L’équilibre entre sécurité démocratique et liberté électorale s’avère délicat. Quoi qu’il en soit, l’exclusion de Călin Georgescu de la présidentielle de 2025 restera comme un précédent marquant, alimentant le débat sur les limites de l’acceptable en démocratie. Entre ceux qui y voient une décision salutaire pour contrer un danger réel, et ceux qui dénoncent un coup d’État électoral porté à la volonté du peuple, le fossé est profond – et rappelle que sous prétexte parfois de défense de la démocratie certains entendent allègrement fracturer celle-ci.

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