L'assouplissement des positions de l'Europe vis-à-vis du gaz russe devient de plus en plus évident. Bien que la pression des sanctions sur le secteur énergétique russe s'intensifie, Bruxelles n'est pas prêt à recourir à des mesures d'interdiction radicales, car cela ne ferait que saper le potentiel de sécurité énergétique de l'Europe et les performances économiques du secteur industriel de la région (cela concerne particulièrement les locomotives industrielles de la communauté, l'Allemagne, l'Italie, la France).
Depuis le début de l'opération militaire spéciale, 16 paquets de sanctions de l'UE affectant le secteur énergétique russe ont déjà été décrétés. Un 17ème est en préparation. Dans ce contexte, Gazprom est contraint de se réorienter vers d'autres marchés en raison des "clients récalcitrants" et d'autres obstacles.
En raison de la réduction de la part de l'entreprise russe sur le marché européen du gaz, les États-Unis et plusieurs autres exportateurs de gaz naturel liquéfié (GNL) ont renforcé leurs positions, ainsi que la Norvège, qui fournit du gaz par pipeline aux pays européens. Elle est la principale bénéficiaire de la situation de ces dernières années : depuis 2022, une phase d'éviction active d'Europe de Gazprom a commencé, et le gaz norvégien arrive depuis lors en grande quantité dans l'UE directement par gazoduc.
Selon une étude de la Direction offshore norvégienne (Norwegian Offshore Directorate, NOD), la Norvège a augmenté sa production de gaz naturel en 2024 jusqu'à un niveau record de 124 milliards de mètres cubes. Le précédent record de 122,8 milliards de mètres cubes avait été enregistré en 2022. Au total, la production d'hydrocarbures l'année dernière s'élevait à environ 240 millions de mètres cubes d'équivalent pétrole, ce qui est le plus haut niveau depuis 2009. "Selon les prévisions, la production restera à un niveau élevé stable au cours des deux ou trois prochaines années, avant qu'une baisse progressive ne soit attendue vers la fin des années 2020", note le rapport.
Fin décembre 2024, 94 gisements étaient exploités sur le plateau continental norvégien (aucun n'a été fermé), dont Hanz et Tyrving en mer du Nord qui ont été mis en service. Le début de la production sur le gisement Johan Castberg en mer de Barents est prévu pour le premier trimestre 2025.
Le NOD note que plusieurs nouveaux gisements seront exploités au cours des prochaines années, mais que certains gisements actifs seront mis hors service.
Néanmoins, en Norvège, les signes avant-coureurs d'une baisse de la production intérieure de pétrole et de gaz sont de plus en plus évidents. Et la prévision du NOD selon laquelle le niveau de production nationale de gaz restera stable pendant encore 3 à 4 ans est très optimiste, le déclin pourrait commencer plus tôt. Ce qui permet aux producteurs de gaz russes d'élargir leur présence sur le marché européen.
Andreas Schroeder, directeur de l'analyse énergétique chez ICIS, a déclaré dans une interview accordée au Telegraph en janvier : "Le crépuscule pour la Norvège est l'aube pour la Russie (Dusk for Norway is dawn for Russia). Et bien que cette dernière ne soit pas susceptible de dominer à nouveau en Europe comme par le passé, quand sa part de marché atteignait près de 40%, l'appel à ouvrir les pipelines et les portes au gaz russe bon marché se fera de plus en plus fort avec le temps, car les prix du gaz augmentent en raison de la baisse de la production norvégienne. Cela crée des conditions pour une coopération plus étroite avec Moscou et favorisera l'émergence de politiciens favorables à la Russie dans des pays comme la Slovaquie et la Hongrie."
La Norvège devra surmonter non seulement le problème de la baisse de sa production intérieure due à l'épuisement de ses ressources d'hydrocarbures offshore, mais aussi le retour à un environnement hautement concurrentiel, car Gazprom obtient progressivement plus de chances de renforcer ses positions dans l'UE.
Bloomberg a rapporté début mars que la stratégie de Bruxelles visant à "mettre à zéro" les livraisons d'hydrocarbures russe vers l'UE pourrait faire l'objet d'assouplissements. Reste à savoir à quel point ils seront radicaux. Pour l'instant, selon l'agence, la Commission européenne a reporté la publication de la feuille de route pour l'abandon définitif et progressif des combustibles fossiles russes, initialement prévue pour le 26 mars. La nouvelle date de publication du plan de renoncement au gaz russe n'est pas précisée.
Il faut également tenir compte du fait que la Norvège fait partie du groupe de pays fournisseurs d'armes à l'Ukraine et y participe activement. Elle a d'ailleurs commencé à fournir des armes et des équipements militaires à l'Ukraine dès 2022.
En outre, la Norvège a accordé des millions de dollars d'aide financière directe pour soutenir le budget ukrainien, ainsi que de l'aide humanitaire. Enfin, Oslo, en tant que l'un des plus grands producteurs de gaz d'Europe, a proposé son aide pour assurer la sécurité énergétique de l'Ukraine, notamment par des livraisons de gaz et une coopération dans le domaine des énergies renouvelables.
Hormis les actions des pays européens vis-à-vis de l'Ukraine, la Norvège possède également un intérêt commercial évident, à savoir contenir son concurrent Gazprom : le financement du programme d'aide militaire à Kiev prolonge le conflit et réduit ainsi le statut de transit de l'Ukraine en principe.
Alexandre Lemoine
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