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Notre seule menace existentielle, c’est l’Europe

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L’éditorial de François Marcilhac

Les fédéralistes européens pensent assister à un véritable alignement des planètes : un Donald Trump erratique qui afficherait la volonté d’un retrait américain de l’Europe, un Poutine toujours plus dangereux que ce même retrait américain et une paix bâclée (par les États-Unis) avec l’Ukraine rendraient toujours plus arrogant, la Russie devenant une « menace existentielle » pour l’ensemble du continent européen, la prise de conscience subséquente par les États de l’Union européenne de la nécessité de se prendre en main au plan de leur défense, pour faire face à cette « menace existentielle », une Commission européenne, enfin, prête à des révisions déchirantes en matière tant militaire que budgétaire, afin de donner un peu de corps à cet ectoplasme qu’a été jusqu’à présent la défense européenne — nous pensons évidemment au vrai-faux plan de 800 milliards, dont 150 milliards de prêts, présenté le 4 mars par Ursula von der Leyen destiné à renforcer ladite défense européenne et à soutenir l’Ukraine : « L’avenir d’une Ukraine libre et souveraine, d’une Europe en sécurité et prospère, est en jeu », a-t-elle alors assuré.

Annonçant aussi sa volonté d’encourager les États-membres à dépenser plus pour leur défense, sans souci du respect des règles budgétaires qui les obligent à limiter leur déficit public à 3% de leur produit intérieur brut : « Cela permettra aux États-membres d’augmenter de manière significative leurs dépenses de défense sans déclencher la procédure de déficit excessif », a-t-elle déclaré. Sans compter une Allemagne dont le futur chancelier semble décidé à refaire de son pays une grande puissance militaire, là aussi en se disant prêt à des révisions déchirantes en matière tant militaire que budgétaire — ce qui, il est vrai, n’est pas du goût de tous ses éventuels partenaires de sa future große Koalition. Qu’importe ? Merz a le soutien d’Emmanuel Macron, manifestement prêt à tous les lâchages au nom de son rêve de « souveraineté européenne ».

Une défense européenne illusoire mais des dangers réels

Car le danger est là : non tant dans la construction réelle d’une éventuelle défense européenne que dans les renoncements réels que cet objectif pour l’heure inaccessible imposera à une France dont les dirigeants ont renoncé à jouer un rôle dans l’histoire. Car en l’absence de nation européenne et d’État européen, comment concevoir une défense européenne, puisque se posera toujours la question de celui qui en prendra la direction. Or, la guerre en Ukraine, loin de faire éclore un bien commun européen, montre au contraire que tous les États membres de l’UE n’ont ni les mêmes intérêts ni les mêmes objectifs ni la même vision de l’Europe elle-même. La prétendue menace existentielle russe ne pèse pas de la même façon sur l’Espagne ou le Portugal que sur les pays Baltes et il est maintenant clair que la solidarité avec l’Ukraine de l’Italie de Meloni est fonction de son tropisme américain : « Il est inimaginable de construire des garanties de sécurité efficaces et durables en creusant un fossé entre l’Europe et les États-Unis », a-t-elle affirmé devant le Sénat le mardi 18 mars, tout en saluant les efforts de Donald Trump pour mettre fin à la guerre en Ukraine — des efforts que conteste et même condamne Emmanuel Macron. Bref, parce que l’Italie est, depuis 1945, un État vassal des États-Unis, il est clair que, de même que Churchill pour le Royaume-Uni, Meloni choisira toujours pour l’Italie le grand large de préférence à l’Europe ou, du moins, à une Europe qui s’affranchirait de l’Oncle Sam. Comment lui donner tort si elle pense que réside là l’intérêt vital, existentiel de l’Italie ?

Imaginer une défense européenne, c’est imaginer la collaboration d’États européens ayant les mêmes intérêts et prêts à se ranger derrière l’État le plus performant de l’alliance à construire. Les États-Unis s’imposaient en 1949, à la création de l’OTAN, face à l’Union soviétique, en raison de leur suprématie à la fois monétaire (le dollar), économique et militaire. En Europe, si la France possède elle seule une arme atomique indépendante, a une industrie militaire à la pointe et est membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, elle n’a en revanche aucun suprématie en matière économique, ni industrielle (l’euro lui portant préjudice), son endettement obérant, de plus, ses capacités à réarmer. C’est la raison pour laquelle l’Allemagne se permet d’avoir les dents longues et de prôner une défense européenne qui reposerait notamment sur un partenariat accru de l’industrie militaire française avec l’allemande, voire la britannique, bien que le Royaume-Uni ne fasse plus partie de l’Union européenne, et sans que soit réglée au niveau européen la question de savoir si l’argent européen doit continuer de servir à acheter de l’armement américain — un armement que les Européens ne sont pas libres d’employer à leur guise. Bref, une défense européenne indépendante des États-Unis n’est pas prête de voir le jour. En revanche, il est clair que l’Allemagne souhaite, en raison de sa situation géopolitique, de sa santé budgétaire (l’euro ayant été fait pour elle) et de son poids démographique avoir le leadership en Europe, la France abandonnant définitivement au nom d’une illusoire « souveraineté européenne » toute indépendance stratégique avec l’abandon de toute performance propre en matière militaire — c’est déjà commencé —, voire son siège permanent au Conseil de sécurité de l’ONU. Macron y est prêt.

Quand Mario Draghi révèle le pot aux roses

Ce qui permet de mieux comprendre les propos de Mario Draghi devant le Sénat italien, le mardi 18 mars. Constatant que « l’Europe se retrouve aujourd’hui plus isolée dans les forums internationaux, comme ce fut récemment le cas aux Nations unies, et se demande qui défendra ses frontières en cas d’agression extérieure, et avec quels moyens », il en conclut que la situation lui impose « d’engager un processus qui nous amènera à dépasser les modèles nationaux et à penser à l’échelle continentale », en matière d’énergie, d’assouplissement de la réglementation et… de réarmement du continent. Sur ce dernier point, il conviendrait de concevoir « des plateformes militaires communes (avions, navires, véhicules terrestres, satellites) » au plan européen. « Il serait nécessaire que l’actuel marché public européen de la défense — environ 110 milliards d’euros en 2023 — soit concentré sur quelques plateformes de pointe, plutôt que sur une multitude de plateformes nationales, aucune réellement compétitive car essentiellement conçues pour leurs marchés intérieurs » — ce qui pousse les États à passer commande d’« une grande partie de leurs plateformes militaires aux États-Unis ». Au contraire, « si l’Europe décidait de créer sa propre défense et d’augmenter ses investissements en dépassant l’actuelle fragmentation, plutôt que de recourir massivement aux importations, elle en retirerait sans aucun doute un plus grand bénéfice industriel, ainsi qu’un rapport plus équilibré avec l’allié atlantique, y compris sur le plan économique ».

La condition à tout cela ? Une « chaîne de commandement d’échelle supérieure qui puisse coordonner des armées hétérogènes par leur langue, leurs méthodes, leurs armements », ce qui permettrait de « s’affranchir des priorités nationales en opérant comme un véritable système de défense continental »… Mais non des États-Unis, puisque cette défense européenne devra rester compatible avec les exigences militaires américaines imposées dans le cadre d’une OTAN dont une Europe demeurant sans colonne vertébrale réelle restera membre… et dépendante. Bref, ce serait, en matière de défense, la disparition des souverainetés nationales au profit d’un machin européen restant dans la main des Américains.

Trump ou pas Trump, les États-Unis n’ont pas fini d’imposer leur loi aux Européens, pour la simple et unique raison que ceux-ci ne forment ni un peuple ni une nation. Aussi ont-ils besoin d’un fédérateur extérieur. Plus même : ce fédérateur ferait-il mine de leur faire défaut, qu’ils le supplieraient de demeurer leur suzerain. N’est-ce pas ce qui se passe actuellement ? La politique apparemment erratique de Donald Trump, qui souffle alternativement le froid et le chaud, n’a évidemment pas pour objectif la constitution d’une « puissance européenne » concurrente aux plans militaire, économique et pourquoi pas monétaire (avec l’euro battant en brèche la suprématie du dollar) ! Donald Trump en particulier et les États-Unis en général veulent surtout, de la part des Européens, le beurre (une défense « européenne » restant dans leur giron), l’argent du beurre (des États européens continuant de leur acheter majoritairement leur armement tout en acceptant de jouer les figurants dans l’ordre géopolitique européen) et le sourire de la crémière : la suprématie du dollar qui leur permet, entre autres avantages, d’imposer avant tout aux États européens l’extraterritorialité du droit américain et donc leurs intérêts économiques et politiques.

Dans ce contexte, la seule menace existentielle est et demeure le rêve européen et tous ceux qui le promeuvent, avec pour interface entre l’Europe et les États-Unis une Allemagne désireuse de retrouver toute sa puissance continentale. La France a, en revanche, tout à perdre à ce jeu de dupes : industrie de défense à la pointe, autonomie stratégique, vocation internationale, siège permanent au Conseil de sécurité des Nations unies. La « souveraineté européenne » est un trou noir qui absorberait notre indépendance nationale. Alors que nous sommes présents sur les cinq continents, ce rêve européen, somme toute bien rabougri pour la France, ferait de celle-ci le simple protectorat d’une Europe bruxello-germanique sous domination américaine. Cette vraie menace existentielle que nous avons refusé une première fois, il y a soixante-dix ans, avec le rejet de la CED, ne l’acceptons pas aujourd’hui.

https://www.actionfrancaise.net/2025/03/22/leditorial-de-francois-marcilhac-83/

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