Cela pouvait paraître, sur le papier et sur le moment, une habile manœuvre politique en l'absence de majorité parlementaire. Le 14 janvier, le Premier ministre, nommé un mois plus tôt le 13 décembre, prononçait sa déclaration de politique générale. Or, dans ce cadre, le roué François Bayrou annonçait l'organisation d'une conférence sociale consacrée aux retraites.
Dès le 19 décembre, il avait proposé aux partis de participer à son gouvernement. Les intentions du nouveau titulaire de l'Hôtel Matignon tendraient dans un tel contexte à « reprendre sans suspendre » - formule étant rapportée auprès de l’Agence France-Presse par plusieurs participants - la réforme des retraites. Celle-ci ayant été adoptée en 2023, tant la gauche que le RN entendent l'abroger. L'objectif déclaré serait d'aboutir « d’ici septembre [2025] » à des « solutions nouvelles ».
« Et si on n’aboutit pas, on revient à la réforme de 2023 » qui, centralement, a décalé l’âge de départ à 64 ans, a-t-il été précisé.
Cela pouvait sembler presque clair au départ. Et, surtout, pour le chef du gouvernement, discret candidat à la présidence d'une république qui ressemblerait beaucoup à la Quatrième, cela permettrait de gagner du temps...
On a pu s'étonner que de telles réunions fussent baptisées conclave. L'appellation était mensongère puisque ce mot, appliqué à la procédure d'élection du Pape, suppose le huis clos, la discrétion et la recherche impérative d'un consensus. On n'en connaît que l'aboutissement, salué par une fumée blanche, sans rien savoir des débats : seule synthèse, le choix d'un homme s'en dégage.
La démarche inédite proposée s'inscrit au contraire dans un flot de vœux contradictoires, difficilement conciliables et supposant l'intervention d'organisations concurrentes et antagonistes, peu guidées par le Saint-Esprit.
Sur la base des chiffrages de la Cour des comptes, réunie en conclave, les participants disposerait de trois mois pour trouver « un accord d’équilibre et de meilleure justice » qui pourra être transcrit dans la prochaine loi de financement de la sécurité sociale. Sans accord, c’est la réforme actuelle qui continuera de s’appliquer.
Dès la première réunion, le 27 février, le représentant de Force ouvrière, chef de la délégation, Michel Beaugas faisait connaître son retrait.
Une semaine plus tôt en effet les limites de l'épure, redéfinies par la juridiction financière, avaient imposé un objectif d'équilibre comptable jugé inacceptable par la centrale syndicale.
À son tour le cartel corporatif U2P, peu connu du grand public quoique théoriquement représentatif de 3,5 millions d'entreprises indépendantes, de l'artisanat, du commerce et des professions libérales se retirait, lui aussi, jugeant que seul le point de vue du MEDEF gouverné par le grand patronat était pris en compte. « Le bateau France est en train de prendre l’eau et l’orchestre des partenaires sociaux continuerait de jouer comme si de rien n’était ? L’U2P s’y refuse », ajoute dans le communiqué son président, Michel Picon, manifestement inspiré par le naufrage du Titanic. L’U2P estime que l’équilibre du régime des retraites « imposera de repousser l’âge légal de départ au-delà de 64 ans », sauf pour les métiers difficiles. L’organisation considère « qu’on ne pourra pas échapper » à une indexation des pensions inférieure à l’inflation, sauf pour les retraités les plus modestes
En annonçant, enfin, ce 19 mars, devant les caméras du Journal de 20 heures sur France 2, son retrait des discussions sur les retraites, Sophie Binet secrétaire générale de la bonne vieille CGT a-t-elle donc sonné l'hallali ?
Avec une mauvaise foi, à vrai dire peu surprenante de la part de cette ancienne journaliste de l'Huma, issue de la JOC et de l'UNEF, elle déforme les propos de François Bayrou. Celui-ci avait osé déclarer le 16 mars sur France Inter que « les partenaires sociaux savent très bien qu'il est impossible de revenir à 62 ans », car ils « se sont engagés, ou en tout cas ont été engagés, à ne pas dégrader l’équilibre financier du système de retraites »... ce qu'on présente comme un « refus » de la part du gouvernement, « fermant la porte aux 62 ans, suscitant l’indignation des syndicats et de la gauche… » [cf. Le Monde en ligne le 17 mars].
Ajoutons que la ministre des comptes publics, Amélie de Montchalin donnait le 17 mars un argument supplémentaire à cette protestation, situant l'impossibilité d’un retour à 62 ans dans le contexte de l'indispensable effort militaire, annoncé le 5 mars par le chef de l'État, qui appelle à faire passer de 2 % à 3,5 % du PIB l'investissement du pays dans la défense nationale.
Sur les 9 partenaires sociaux, comme on appelle pompeusement les bureaucraties syndicales, seuls 6 continuent ainsi à ce jour de jouer encore aux géomètres, faisant semblant de raisonner sur les figures fausses de la technocratie et de la démagogie. Et encore la CFDT, le plus gros morceau restant en lice, conteste la démarche proposée. Quant au président du MEDEF, Patrick Martin, il avait, dès le départ, fait connaître son scepticisme...
Tout cela, à vrai dire, ne semble soluble qu'au gré de nouvelles élections, d'une nouvelle présidence et sans doute d'une nouvelle constitution.
JG Malliarakis
https://www.insolent.fr/2025/03/le-naufrage-du-conclave.html