Saez serait-il devenu politiquement incorrect ? Identitaire, même ? Ce serait une révolution, car Damien Saez, c’est d’abord la chanson Fils de France. Sortie le 22 avril 2002, elle était devenue immédiatement l’hymne quasi officiel des manifestations contre Le Pen. Écrit en une nuit, le texte était faiblard mais valait brevet d’antifascisme en or massif ad vitam aeternam.
Le chanteur qui n’aimait personne
Trois ans plus tard, dans Anti communautaire, certaines paroles vont contre l’air du temps. Celles citées ci-dessus. Ou celles-là : « Moi, j'dis qu'Mozart est dieu, tu vois/Et que ton rap à bobos, c'est quoi ?/Des Blancs suceurs de banlieusards/Des p'tits babtous qui rêvent d'être noirs. » En fait, Saez envoie tout le monde aux pelotes : « J'aime pas les Noirs, j'aime pas les Blancs/Les cathos ou les musulmans. » Soit sincérité, soit façon d’éviter l’accusation d’islamophobie ou d’homophobie. « J'aime pas les CRS SS/J’aime pas les mosquées, ni la messe. ». Noyé, le poisson.
Le procédé n’est pas neuf, Saez l’avait utilisé dans Burka (2019). Comme si la burka avait à voir avec les cathos ! Même présentation truquée dans Anti communautaire : « Paraît qu'il faut être fier d'être gay/Être fier d'être Blanc, être fier d'être Noir » - alors que les Blancs doivent sans cesse s’excuser de leur histoire et de leur culture, et que le racisme à leur égard n'est pas reconnu.
Les gilets jaunes et le Covid-19
Damien Saez est-il en train de se « houellebecquiser »? En 2019, Manu dans l’cul s’en prend au Président et à la répression des gilets jaunes - sous l’angle anti-banquier. En 2022, Saez écrit La Chanson du vieux réac. Incroyable titre, de la part de la tête d’affiche anti-extrême droite vingt ans auparavant ! Il s’y dit « Blanc hétéro non vacciné/Qui vous emmerde ». Se matérialise un ras-le-bol du conformisme imposé. « Tu prends ta caisse mais tu pollues/Tu manges d'la viande, t'es l’assassin/Tu dragues les filles, t'es qu'un violeur. »
Entre autres choses, La Chanson du vieux réac rejette la gestion sécuritaire du Covid-19, non sans talent. « Cochez cochez les p'tits papiers/Pour pouvoir aller se promener/Fichées fichées nos libertés/Faut un code barre pour s’embrasser. » Le complotisme s’y fait chantant : « Piquez piquez les p'tites mémés/Dans les globules faut la 5G. » À l’extrême gauche, le complotisme est toléré - comme Marion Cotillard avec le 11 septembre.
Vieux et fou ?
On peut se permettre beaucoup de choses, quand on est de gauche. La misogynie, l’antirépublicanisme, comme dans Anti communautaire : « Quand la démocratie est morte/Il faut tuer le Président/La République des enculés/Faut la prendre, la mettre au bûcher » - je vous passe la suite. Idem contre les influenceuses à qui seul conviendrait une balle dans la tête. Imaginez si un chanteur de droite s’amusait à cela… Alors, non, Damien Saez n’est pas devenu identitaire. Il s’en prend aux particularismes qui fracturent notre société, il regrette que la province troque la terrine contre du tofu, mais il rejette toutes les identités à la fois, selon le rêve mondialiste.
« Puisqu'on est jeune et con/Puisqu’ils sont vieux et fous », chantait-il, en 1999. Est-il passé de l’une à l’autre catégorie ? Il a, en tout cas, pris acte d’une évolution sociétale qu’il exprime en termes crus : « Si tu veux pas qu'ton gosse finisse/Un gode dans l'cul à chanter Gims/Entre deux prières aux mosquées »… Ou encore, qui renvoie à des faits pas si divers : « Ce peuple de trous du cul/Qui aime bien laisser violer ses filles. » Damien Saez portera-t-il, un jour, les pancartes de Némésis ? Ne lui en demandons pas tant. Juste de rompre enfin les dernières chaînes qui le rattachent au conformisme.