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CEDH et immigration : l’Italienne Meloni et la Danoise Frederiksen s’allient

Capture d'écran YT Palais Chigi
Capture d'écran YT Palais Chigi
Va-t-on enfin entrer dans le vif du sujet ? Ne nous emballons pas trop vite, mais le site Euractiv vient de relayer une information qui ne passera sans doute pas au JT de 20 heures mais qui est très intéressante : « Le Danemark et l’Italie cherchent à convaincre d’autres pays européens de cosigner une lettre critiquant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) pour être allée "trop loin" dans son interprétation du droit, en particulier sur les questions migratoires. »

Le vif du sujet, c’est évidemment la souveraineté des États, c’est-à-dire leur liberté, notamment sur les questions migratoires. Des « questions » qui ne se résument évidemment pas, comme le pense Emmanuel Macron, à un problème de robinets, mais qui est existentielle pour les nations. Cette liberté des nations, on le sait, est sacrément entravée par toute la jurisprudence de cette instance de justice supranationale née de la Convention européenne des droits de l’homme, traité international datant de 1950.

Une sociale-démocrate et une « post-fasciste » d'accord

Que le Danemark et l’Italie s’associent dans une démarche pour remettre en cause cette vache sacrée qu’est la CEDH, clé de voûte de ce qu’il est convenu d’appeler « l’État de droit » sur le continent européen (et même au-delà : la Turquie et l’Azerbaïdjan, qui sont signataires de cette convention, sont-ils des pays européens ?), est hautement symbolique. D’un côté, un petit pays - à peine six millions d’habitants - du nord et de Scandinavie, marqué par une longue tradition social-démocrate vieille de près d’un siècle, « peuple luthérien », comme l’avait souligné Macron avec la délicatesse qu’on lui connaît, lors de sa visite d’État à Copenhague en 2018 - donc tout le contraire des « Gaulois réfractaires » -, petit peuple par le nombre mais grand par son Histoire et son aspiration à garder son identité. De l’autre, un grand pays du sud de l’Europe, dix fois plus peuplé que le Danemark, marqué par une longue tradition d’instabilité politique, mais aussi profondément attaché, lui aussi, à son identité, elle, catholique. D’un côté, un Premier ministre danois social-démocrate, Mette Frederiksen. De l’autre, une présidente du Conseil italien, « post-fasciste » comme ils disent, Giorgia Meloni. Les deux dames sont nées en 1977, comme Macron d’ailleurs. Une génération aux affaires qui ne voit pas forcément les choses de la même manière.

Un édifice complexe de multiples conventions

La question, maintenant, est de savoir si la démarche des deux chefs de gouvernement va prospérer. Euractiv évoque d’autres pays, comme la République tchèque, la Finlande, la Pologne et les Pays-Bas, pays « préoccupés par la gestion migratoire » qui pourraient s’associer à cette démarche. On a comme un doute que le gouvernement de la France, dans sa configuration actuelle, rejoigne cette démarche que, d’ailleurs, l’on pourrait interpréter comme étant une tentative, à l’échelle supranationale, de la part des pouvoirs exécutifs de s’immiscer dans les décisions d’une autorité judiciaire et donc de violer le sacro-saint principe de séparation des pouvoirs. Après tout (ou plutôt, avant tout !), ces nations ont signé souverainement les conventions qui leur imposent désormais de se soumettre aux décisions de cette justice supranationale. Donc, ne nous emballons pas, mais, néanmoins, comme on dit, la poutre bouge.

Pas au point que l’édifice ne s’effondre. Car il est solide, fondé sur toute une série de conventions, signées au fil des ans par les États signataires, dont la France. Une France, d’ailleurs, qui ne ratifia que vingt-quatre ans après la signature, à Rome, de la Convention européenne des droits de l’homme : précisément le 3 mai 1974, c’est-à-dire sous l’interrègne du centriste Alain Poher, président par intérim de la République française. En quelque sorte, entre deux portes. Tout un symbole.

Lutte contre l'immigration illégale : la CEDH contre les États

Cette lettre, donc, se veut pragmatique et non idéologique : « Ce qui était juste hier ne l’est peut-être plus aujourd’hui. » En clair, la situation migratoire en Europe est telle qu’il est temps que l’on débatte des interprétations faites par la Cour de la convention de 1950, des nombreuses conventions et recommandations qui en découlent (voir la liste longue comme un jour sans pain), interprétations de la Cour qui ont, le plus souvent, pour conséquence de battre en brèche les velléités des États de lutter contre l’immigration clandestine. À titre d’exemple emblématique (on pourrait en écrire de pleines pages), rappelons cette condamnation de l’Italie en 2023. Saisie par quatre Tunisiens qui avaient tenté, en 2017, de traverser la Méditerranée et avaient été secourus par un navire italien, puis conduits à Lampedusa pour être, in fine, reconduits « de force en Tunisie », la Cour européenne des droits de l’homme avait condamné l’Italie, pour « traitements dégradants », à verser 8.500 euros à chaque plaignant. Les magistrats de la CEDH avaient par ailleurs rappelé l’interdiction des expulsions collectives d’étrangers et avaient noté que dans cette affaire, les situations particulières des personnes concernées n’avaient pas été examinées « séparément ». À la lumière de cette décision, on comprend mieux ce que veut dire cette phrase de la lettre italo-danoise : « Ce qui était juste hier ne l’est peut-être plus aujourd’hui. »

En fait, plus fondamentalement, la question qui se pose aujourd’hui est celle de la dénonciation ou pas, par les États signataires, notamment la France, de conventions qui entravent désormais leur souveraineté de manière abusive, particulièrement en matière migratoire. Durant la campagne de 2022, Marine Le Pen avait bien dénoncé, comme le font aujourd’hui Meloni et Frederiksen, une « dérive de la jurisprudence » de la Cour européenne des droits de l’homme, mais elle avait cependant estimé qu’il n’était pas « utile » que la France sorte de la Convention européenne des droits de l’homme. Un revirement par rapport à une prise de position de 2019 lorsqu’elle avait appelé la France à sortir de cette « camisole ». Dénoncer seulement les abus ou carrément dénoncer les conventions : là, en fait, est la question essentielle.

Georges Michel

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