Les effets secondaires du poison inoculé en 2008
Est-ce à dire que la société française, à défaut d’être euthanasiée, serait fatiguée, lassée, anesthésiée ? Il est vrai que l’on peut avoir le sentiment qu’après tout, toutes ces manifs, finalement, ça ne sert à rien, que tout est déjà décidé d’avance. Ce sont peut-être les effets secondaires – et peut-être pas seulement secondaires – du poison inoculé dans le corps politique français par le détournement de la volonté populaire qui avait rejeté la Constitution européenne en 2005 : en 2008, Nicolas Sarkozy, avec la complicité d’une grande partie de la classe politique, décida de s’asseoir sur cette volonté. Du reste, il fallait entendre Jean-Pierre Raffarin, la semaine dernière sur Sud Radio, expliquer que Nicolas Sarkozy avait bien dit, dans sa campagne de 2007, qu’il modifierait le texte et qu’il le présenterait au Parlement : « Il l’a dit, il a été élu, donc, il n’a pas trahi. » « Je suis désolé, mais fallait bien tout lire le contrat et les clauses écrites en tout petit tout en bas », semble nous dire l’ancien Premier ministre, sur le ton patelin d’un vendeur d’assurances faisant face à des clients mécontents. De toute façon, la Constitution ne reconnaît pas le mandat impératif. À tort ou à raison.
De mandat impératif, les députés, qui débattent sur ce nouveau « droit de l’aide à mourir » n’en ont d’ailleurs pas sur ce sujet ô combien sensible, car il concerne, de près ou de loin, chacun de nous. Rappelons qu’il s’agit d’une proposition de loi poussée par le député MoDem, ancien socialiste, Olivier Falorni, qui semble avoir fait du rentre-dedans auprès de la présidente Yaël Braun-Pivet pour que ce sujet vienne sur le haut de la pile des textes à débattre à l’Assemblée. L’auteur de ces lignes n’exprimera pas d’opinion sur le fond de ce texte, mais il voudrait interpeller le lecteur sur ce qui est en train de se passer au palais Bourbon.
Lorsque la loi appelait les choses par leur nom
Autrefois, sur les questions essentielles, la loi était nette, concise, sans faux-semblants. Ainsi, lorsque l’Assemblée nationale législative, le 6 octobre 1791, vota le premier Code pénal, l’article 2 précisait que « la peine de mort consistera dans la simple privation de la vie, sans qu'il puisse jamais être exercé aucune torture envers les condamnés ». Une définition de la peine de mort on ne peut plus claire, sans interprétations possibles. Quant à l’article 3, bien connu des écoliers qui étudiaient jadis Topaze, il tenait en six mots : « Tout condamné aura la tête tranchée. » Le mode opératoire n’était pas précisé, mais l’article 2 précisait bien qu’il ne pouvait y avoir de torture du condamné. La loi, dans son extrême précision et concision, appelait la mort « mort », et pas autrement. Et lorsqu’en 1981, Robert Badinter monta à la tribune de l’Assemblée nationale pour présenter le projet de loi portant abolition de la peine de mort, c’est encore un texte d’une extrême précision et concision qu’il vint défendre devant la représentation nationale : « La peine de mort est abolie. » Comme l’article 3 de la loi de 1791, six mots, pas un de plus. Des mots qui disaient la chose.
« Euthanasie » : le mot qu'il ne faut pas dire
Or, la loi qui sera votée mardi n’appelle pas la chose par son nom. La chose, c’est évidemment l’euthanasie. Car c’est bien de cela qu'il s’agit. Le mot tabou est remplacé par des mots-valises. Il fallait entendre Sandrine Rousseau s’insurger, samedi matin, contre le fait que le député LR Hetzel employait le mot « euthanasie » et « suicide » (parce que, aussi, c’est bien de cela qu'il s’agit, dans cette loi). « Vous faites partie du problème ! », lui lança-t-elle, avec une certaine indécence. Ce seul habillage de la réalité par des circonlocutions, des périphrases, devrait interroger, interpeller, interloquer le citoyen éclairé, quelle que soit sa position personnelle sur ce sujet terrible de la souffrance et de la fin de vie. Il fallait entendre encore, il y a quelques jours, le robespierriste Antoine Léaument en appeler à la liberté de l’homme et aux grands principes de la République pour défendre ce texte. Mais il n’y a pas de liberté sans vérité. Et la vérité commence par appeler les choses par leur nom. Reste à savoir si les représentants de la nation voteront une loi qui repose sur un mensonge. On connaissait la loi du silence. Aurons-nous la loi du mensonge ?