Un symbole terrible
Ce phénomène de rave-party n'a rien de nouveau en soi, pas plus que les violences qu'il génère souvent. Mais outre son caractère totalement illégal, ce rassemblement avait dès le départ fait polémique du fait du lieu de rendez-vous choisi : une plaine agricole située sur la commune de Fontjoncouse, un village viticole du massif des Corbières, comptant 140 habitants. Le site choisi est donc situé au cœur même de la région de l’Aude dévasté par l’incendie estival géant qui avait commencé le 5 août, et venait de ravager 16.000 hectares, de détruire 36 habitations et de nombreuses exploitations agricoles et viticoles, et de provoquer un décès.
Sur les ondes de RMC, le chef étoilé Gilles Goujon, dont le restaurant est installé à Fontjoncouse, a dénoncé « le manque de respect total » des participants, estimant « complètement immoral que les gens viennent danser sur les cendres de gens qui ont tout perdu ». Tout cela n’a visiblement pas ému les quelques 2.500 personnes ayant répondu à l’appel des organisateurs de l’évènement.
Mais très vite, la tension est montée au sein d’une population locale ulcérée. Parmi eux des viticulteurs et agriculteurs dont certains, face au mépris des « teufeurs », s’en sont alors pris à plusieurs voitures garées à proximité par des participants. Et des échauffourées ont eu lieu entre des paysans et les plus énervés des « raveurs ».
Les gendarmes mobiles et CRS dépêchés sur place ont pu empêcher l’arrivée de nouveaux candidats à la rave-party, et limiter les débuts de bagarres, sans pouvoir pour autant déloger ceux qui s’étaient installés, malgré une présence importante et relayée par un hélicoptère.
Une inquiétante montée en tension
Lundi à la mi-journée, un communiqué de la préfecture de l’Aude indiquait que quelque « 1.500 personnes demeurent sur le site ». Appelant les participants à quitter les lieux au plus vite, il prévenait aussi que « l’ensemble des personnes contrôlées seront verbalisées pour le non-respect de l’arrêté préfectoral interdisant l’accès à zone de feu », par des amendes d’un montant de 135 euros. Plus tôt dans la journée, le maire de Fontjoncouse, Christophe Tena, s’inquiétait déjà de la tournure prise par les évènements, observant que « la tension est en train de monter. Après les incendies qu’on a connus, les habitants sont à bout de nerfs, on a des gens qui ont tout perdu, ça va mal finir ».
Mais au-delà du symbole terrible d’une fête sauvage se déroulant sur les cendres encore tièdes d’un incendie traumatisant, le maire tenait aussi à rappeler les dégâts provoqués sur des terrains privés par un rassemblement illégal. « Ils sont sur des propriétés privées, sans autorisation, ils détruisent tout et la préfecture me dit qu’on ne peut rien faire pour les faire partir. On marche sur la tête. Les gens sont en colère. Il y a eu des dégradations de véhicules des teufeurs, garées le long des routes, ça risque de dégénérer ». Désemparé face à une rave-party intervenant en pleines vendanges, Christophe Tena, viticulteur lui-même, craignait alors que cela puisse « durer jusqu’à mardi. Tant qu’ils ont à boire, à manger, à fumer, ils ne s’en vont pas. Je ne sais plus quoi faire ».
L’intervention musclée des habitants, bien qu’illégale elle aussi, a heureusement fini par décourager les derniers participants, qui ont plié bagage dans la matinée du mardi 2 septembre, laissant un champ ravagé et jonché de bouteilles, canettes, seringues et détritus de toutes sortes.
Bruno Retailleau crée la polémique
Lundi soir sur TF1, le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, avait commenté l’évènement. Pour lui, l’organisation de rave parties et la participation à ces évènements doivent devenir « un délit et non pas seulement une contravention ». Il déclare s’inspirer de la « législation très dure » en vigueur en Italie depuis trois ans. Le gouvernement de Georgia Meloni a en effet fait passer en 2022 un « decreto anti-rave », dont le texte stipule, comme le rapporte le site spécialisé en musique électronique Mixmag France, que « tout rassemblement festif non autorisé de plus de 50 personnes, qu’il se tienne dans un lieu public ou privé, est désormais passible de six ans de prison et d’une amende pouvant atteindre 10.000 euros ».
Mais la sortie de Bruno Retailleau sur le sujet n’a pas manqué de faire réagir dès mardi matin Sébastien Chenu, député RN du Nord. Sur BFMTV, il a estimé que « Bruno Retailleau est un hypocrite », oubliant qu’« au début de l’été, Marc Chavent, député UDR de l’Ain, nos alliés, a déposé la proposition de loi 17-21, que des députés du Rassemblement national ont signé, justement pour aligner notre législation sur la législation italienne ». Or, ajoutait Sébastien Chenu, « elle n’a pas été mise à l’ordre du jour, parce qu’en fait cela ne venait pas de leurs bancs ». Et « leur sectarisme, ce sont les Français qui le payent », a-t-il conclu.
Dans un premier temps, silence radio de la place Beauvau. Mais sollicité par BV ce mardi en fin de matinée, le cabinet du ministre de l’Intérieur nous a finalement adressé un communiqué, rappelant tout d’abord que « l’ordre du jour est fixé par Matignon et le ministère des relations avec le Parlement » et donc pas par Beauvau, mais que « le ministre de l’Intérieur a demandé à ce que plusieurs sujets soient traités en urgence ». Et concernant la proposition de loi sur les rave-parties, le cabinet du ministre précise qu’« elle a été déposée le 11 juillet et la session parlementaire s’est terminée le 11 juillet 2025. Elle a donc été déposée trop tard pour être examinée », ajoutant pour conclure qu’il faut « que le RN et l’UDR demandent à Matignon d’inscrire leur texte s’ils le souhaitent ». Autant de choses que le ministre s’est bien gardé de mentionner lundi soir à la télévision.
Mais qu’on considère cet échange comme une inutile joute d’ego, un regrettable mensonge par omission ou un oubli sans réelle importance, il n’en reste pas moins que le fond du sujet est grave, et qu'il a même pris un accent dramatique au cœur de la région audoise, aujourd’hui sinistrée. Et si l'alliance UDR-RN et le ministre LR s'accordent sur une chose, c'est bien sur l'urgente nécessité d'une loi.