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[REPORTAGE] Raciste, la fête du cochon ? 15.000 personnes festoient à Hayange

Fête du cochon (Hayange)
Fête du cochon (Hayange)
À votre arrivée à Hayange, les « cathédrales d’acier » vous accueillent. Dans cette commune de Moselle de 16.000 habitants, les hauts-fourneaux étaient le fleuron de la sidérurgie lorraine depuis le XVIIIe siècle. Leur fermeture en 2011 fut un drame que le grand public assimila à la commune voisine de Florange, où se trouvait l’entrée de l’usine, propriété d’ArcelorMittal, et une partie de la production. Désormais, l’ombre de ces géants plane sur la ville qui attend leur démantèlement programmé. C’est dans ce contexte de détresse et de colère sociale qu’en 2014, le Rassemblement national s’empare de la mairie après dix-sept ans de socialisme.

Parmi les mesures prises rapidement par le maire, remettre au goût du jour la fête du cochon était un engagement de campagne. La douzième édition de ce rendez-vous populaire se déroulait ce dimanche 7 septembre. Et le succès était à nouveau au rendez-vous, pour cette grande journée placée sous le signe du porc et de la musique rétro. Ici, le cochon se décline sous toutes ses formes : porchetta, saucisses, cochon de lait à la broche, charcuterie et, parmi elle, le fuseau lorrain, « spécialité fumée à la sciure de hêtre », nous raconte fièrement Frédéric, derrière son stand. Le soleil est de la partie. Sous une cinquantaine de grandes tentes, petits et grands cherchent un peu d’ombre et profitent surtout des longues tables dressées en enfilade pour siroter sodas et bières et déguster convivialement les spécialités cuisinées pour l’occasion. Manèges, sauts à l'élastique, pêche à la ligne : les yeux des plus petits pétillent.

De « la cochonaille, de la bonne bouffe française »

Fierté de la municipalité, la participation des associations de la commune à l’événement, qui tiennent les différents stands et bénéficient de ses recettes. L’amicale des sapeurs-pompiers aux grillades est victime de la popularité des soldats du feu. La bière coule à flots grâce aux bons services des clubs de football et de rugby. À la fête du cochon, fidèlement aux consignes du ministre de la Santé. on n’oublie pas de s’hydrater...

Entre le service de deux pressions, Guillaume se félicite de la réussite de l’événement qui compte parmi « les traditions françaises » et pour lequel « les gens viennent de loin ». Dégustant son jambonneau, Jacky est revenu, cette année encore, pour profiter de « la cochonaille, de la bonne bouffe française »« ras-le-bol des kebabs », précise-t-il, tout en soulignant que cette fête n’exclut pourtant personne, « tout le monde est mélangé ». Dans la foule déambule le député RN de la circonscription, Laurent Jacobelli. « C’est un beau moment de partage où les gens se retrouvent pour faire la fête dans une ambiance conviviale et familiale », s’enthousiasme, auprès de BV, le parlementaire, très à l’aise sur ses terres. Tapes dans le dos, accolades, poignées de mains à ces messieurs, bises à ces dames : l'élu est en terrain conquis. Il fait partie des quatre parlementaires du Rassemblement national que les Mosellans ont envoyés à l’Assemblée nationale, parmi les neufs que compte le département.

Accusations de racisme

Qu’est-ce qui, dans ce décor champêtre, au succès indéniable, peut bien gêner la bien-pensance de gauche ? Car depuis la création de la fête du cochon en 2014, c’est un déferlement de polémiques alimentées par une presse souvent militante. L’année dernière, c’est Jean-Michel Aphatie qui traitait la manifestation de « grossièreté »« Jean-Michel Aphatie est au journalisme ce que mes chansons sont à l'opéra lyrique »lui répondait, un brin caustique, Patrick Sébastien, tête d’affiche de la précédente édition. Cette année, c’est au tour de Thomas Portes de traîner dans la boue l’événement populaire. Le député LFI de Seine-Saint-Denis reprochait, il y a trois jours, à la fête du cochon d’Hayange d’être « au service du racisme et de la haine des musulmans ». Laurent Jacobelli s’indigne : « Il veut séduire un électorat communautarisé. » Et accuse le député insoumis de « diviser la population ». Avant de l’inviter à venir voir « sur place comme les gens échangent et s’amusent ».

« Allez viens boire un petit coup à la maison. » Gilou et son petit accordéon anime la scène avant que ne se succèdent plusieurs groupes rétro aux tubes emblématiques : Plastic Bertrand (Ça plane pour moi), Boris (Soirée disco) ou encore Partenaire particulier. Lio (Banana Split) s’est, quant à elle, décommandée. La pression aura été trop forte pour son producteur qui, d’après nos informations, craignait que face à la polémique, avoir chanté « pour une ville RN » ne soit un frein. « Encore une fatwa contre les artistes », fustige le député RN, « décidément, LFI adopte tous les codes des islamistes ».

« Plus de cochon, moins de mouton »

Cathy et Laureta sont, pour leur part, ravies de ce « moment de retrouvailles » car aujourd’hui, « les réseaux sociaux, ça coupe ». Alors, quand on évoque le mot « racisme », les deux sexagénaires suffoquent : « N’importe quoi, c’est une fête populaire. » En revanche, face à « l’actualité anxiogène », la première vote RN « depuis l’année dernière » et s’apprête à reprendre ses cours de « self défense » pour se protéger ; la seconde est décidée pour le prochain scrutin : « J’en ai ras le bol », prévient-elle, avec un regard déterminé. Sur une table, une dizaine de jeunes arborent fièrement leur tee-shirt « Plus de cochon, moins de moutons ». À n’en pas douter, nos confrères de Libération n’auraient vu qu’eux. Ils sont, en réalité, une goutte d’eau parmi les « 15.000 personnes présentes », lance Laurent Jacobelli, dans une petite prise de parole précédée par celle de Fabien Engelmann, l’édile de la commune. Lui savoure. Dans son bureau de l’hôtel de ville où il reçoit Boulevard Voltaire, il s’accorde une brève pause dans cette journée marathon. « Plus on nous salit, plus on a de monde. » Il y a dix ans, 2.000 participants osaient braver l’interdit moral. Désormais, « la fête est installée », se félicite le maire RN. Élu en 2014, réélu au premier tour à 63,2 % en 2020, le maire affiche son optimisme avant les municipales de 2026. « Les bobos n’aiment pas notre fête car c’est ringard », s’amuse-t-il. L'homme de 46 ans balaie d’un revers de main les accusations de l’extrême gauche : « Dès que vous êtes contre l’immigration massive et l’islam radical, vous êtes dans son collimateur. » Au micro, devant la foule, en fin d'après-midi, le maire égratigne « les discours moralisateurs des élites déconnectées ».

Le maire Fabien Engelmann et la mascotte

« Les musulmans modérés me soutiennent »

Tous, à la fête du cochon, veulent faire la part des choses entre la politique et la fête. La polémique ne les touche guère. Au stand bière, Guillaume nous avait prévenu, la fête est pour tous, « beaucoup de musulmans viennent »« les gens s’excluent tout seuls ». Même son de cloche à la mairie de la part de Fabien Engelmann : « Les musulmans modérés me soutiennent. »

À la nuit tombante, nous croisons Tayeb et Ahmed sur les marches du parvis de l’imposante église, à quelques mètres des cochons grillés. Algériens arrivés en France en 1957 pour l’un et 1970 pour l’autre, ils ont les traits burinés par l’âge et une canne pour assurer leurs pas. « Nous, on ne mange pas de porc, bien sûr », assurent-ils, mais cette fête ne les « dérange pas ». D’ailleurs, « beaucoup d’amis » s’y rendent sans respecter l’interdit alimentaire musulman. « Il y a bien la fête du mouton à côté, alors… » Le 9 août avait lieu ladite fête à Marspich, ancienne commune désormais quartier rattaché à la ville… d’Hayange.

Yves-Marie Sévillia

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