Un septième texte de notre rubrique « Souvenez-vous de nos doctrines » est à retrouver aujourd’hui, de Jules Lemaître cette fois…
Voilà donc un des ouvrages les plus fameux du XVIIIe siècle ; celui qui a définitivement fondé la gloire de Rousseau et qui, quarante ans après, a peut-être le plus agi (avec le Contrat social) sur la sensibilité et l’imagination des hommes.
Quelle pauvreté, pourtant, sous son apparente insolence ! Toute la thèse est fondée sur l’opposition de la nature, qui serait le bien, et de la société, qui serait le mal : et l’auteur ne définit même pas ce mot de nature. Dieu sait si, pourtant, il a besoin d’être défini ! Pour Buffon, la nature paraît être l’ensemble des forces dont se compose la vie de l’univers. Pour Diderot, la nature est l’athéisme, c’est le contraire des institutions et des lois et c’est, finalement, le plaisir. Pour Rousseau, il semble bien que la nature ce soient les instincts et les sentiments avec lesquels l’homme vient au monde. Or, le désir de durer, celui de ne pas souffrir, celui de vivre en société, celui même d’étendre son être, de posséder, de se distinguer et de dominer sont apparemment et ont été de tout temps parmi ces instincts. Mais, aux yeux de Rousseau, l’invention même de la hache et de la fronde, celle de l’agriculture et de la navigation sont autant de déchéances ; le choix dans l’amour est une déchéance ; la formation de la famille est une déchéance ; la famille sociale est une déchéance ; la notion du bien et du mal est une déchéance. Il nous accorde, il est vrai, que le meilleur moment de l’humanité ç’a été le commencement de la vie en tribu et de la civilisation agricole et patriarcale ; mais, cette concession même, ce qu’il a dit auparavant lui retire le droit de la faire ; et son idéal, c’est, qu’il le veuille ou non (ou alors il a menti auparavant), une humanité composée de sauvages épars dans les forêts, sans habits, sans armes, ni bons ni méchants, solitaires, immuables, et qui ne réfléchissent point. Comme si cela était intéressant, et comme si cela valait même la peine qu’il y eût une humanité sur terre ! C’est cette stagnation dans une vie de demi-brutes qui serait contraire à la nature !
Et pourquoi, dit-il, la préférer ? Parce que, affirme-t-il, l’égalité est mieux sauvegardée dans cet état primitif. D’abord, il n’en sait rien : car l’inégalité des forces musculaires, en un temps où elle ne peut guère être compensée par l’intelligence, pourrait bien être la plus dure de toutes. Comme si, d’ailleurs, l’égalité – et l’égalité dans l’ignorance et l’abrutissement – était nécessairement le bien suprême, auquel tous les autres devraient être sacrifiés ! À vrai dire, ce culte est bien étrange dans un livre qui prétend découvrir et honorer les intentions de la nature, laquelle apparaît si évidemment mère et maîtresse d’inégalité à tous les degrés de l’être.
Notez qu’il n’est guère possible que cette niaise adoration de l’égalité soit sincère chez un homme qui sent sa supériorité intellectuelle et qui en jouit avec un orgueil démesuré. À moins qu’il ne soit dans la disposition d’esprit de ce jeune socialiste qui, dans une réunion politique, répliquait à un de nos amis : « Mais ce que nous voulons, c’est que tout le monde soit aussi malheureux que nous ».
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