Mépris de classe
Cet extrait, que Jordan Bardella a posté sur ses réseaux sociaux, lui a valu un tombereau de railleries. On le met au défi d’en citer une seule ligne, on l’accuse d’inventer, on prétend qu'il récite une leçon apprise sur ChatGPT.
Le socialiste André Vallini fait montre d’une commisération méprisante, parle de « ce pauvre Jordan Bardella », qui « essaie de faire illusion » mais dont « l'inculture le trahit à chaque fois ». « Comment la politique a-t-elle pu tomber à ce niveau ? », se désole-t-il. Venant, d'un ancien ministre de François Hollande, la question ne manque pas de sel.
Étienne Klein, philosophe et physicien sévissant sur France Culture, se gausse également, d’un ton très supérieur : « Monsieur, j’aurais aimé que vous nous expliquiez, même de façon brève, ce que vous avez personnelle retenu de votre lecture des Mémoires d’outre-tombe. »
Claude Weill, ancien directeur de la rédaction du Nouvel Observateur et chroniqueur sur le service public, telle une institutrice revêche de la IIIe République, corrige sèchement la copie du cancre : « Toujours cette impression pénible qu’il récite des fiches mal digérées. » Selon lui, Bardella n'aurait pas assez souligné la détestation de Bonaparte par Chateaubriand, preuve de sa Méconnaissance des Mémoires d'Outre-tombe.
Frantz Laurent, docteur en histoire de la Sorbonne, chercheur en histoire politique et sociale, traite le président du RN de « cuistre » et l’accuse de ne pas maitriser la concordance des temps.
Le journaliste José Biosca, ex-directeur de l’Info de La Dépêche du Midi, et administrateur de l’École de Journalisme de Toulouse, se prend, smiley explicite à l'appui, la tête dans les mains de désespoir : « Tout cela me semble d’une banalité affligeante, lisse à en mourir et d’une platitude désespérante. Un exercice convenu, poli jusqu’à la stérilité, vide de toute substance… et ça vous met en tête des sondages. »
On continue ?
Marqueur politique
En revanche, quand Emmanuel Macron chante les louanges d’Aya Nakamura et qu’il la propulse comme LA star des JO, quand le normalien Bruno Le Maire trouve que ce choix « montre de l’audace et du panache » et même « l'esprit français », quand Amélie Oudéa-Castéra, aussi rougissante qu’une Valérie Lemercier joignant sa voix pointue de soprano à celle de Jacquouille la fripouille pour entonner Le bailli du limousin, chante « Oh djadja ! » en dodelinant de la tête, c'est merveilleux.
Que Jordan Bardella n’ait pas la culture d’un Villiers ou d’un Zemmour est plus que probable. Sa jeunesse en est une raison. Son cursus universitaire peut en être une autre, encore qu’il y ait dans ce domaine bien des autodidactes. Mais peut-on sérieusement lui reprocher de citer en exemple de grands personnages historiques français et des monuments de notre littérature ? Comment ne pas voir dans sa supposée illégitimité du mépris de classe ? Le même que nourrit le bobo dépenaillé - l’antifa du VIIe arrondissement à capuche noire déguisé en émeutier du 9-3 - à l’endroit de l’apprenti pâtissier endimanché dont la cravate achetée chez Leclerc est trop luisante. C'est la caractéristique de la gauche : faire croire qu'elle est en bas de l'échelle sociale quand elle est tout en haut et empêcher quiconque de la grimper.
Dans le même registre, sur X, il y a quelques jours, la macronie (ou ce qu'il en reste) se moquait des nouvelles dorures bling-bling à la Maison Blanche choisies par Donald Trump, raillant avec dédain cette grossière contrefaçon du style Louis XVI. Mais elle se pâme devant les atroces er criards aménagements « contemporains » des salons de l’Élysée.
Faut-il être normalien ou agrégé de lettres pour avoir le droit de parler de Chateaubriand ? Il fut un temps où la culture française classique était le bien commun de tous. Le prix Nobel de littérature Annie Ernaux était fille de cafetier, et témoigne dans La Place (Gallimard) que son père l’aidait, pourtant, quand elle était enfant, en latin (il l'avait appris à la messe, il n’avait sans doute pas le niveau d’un chartiste). Georges Marchais, qui parlait un français châtié, était mécanicien. Quant à Bérégovoy, ajusteur fraiseur, il fut Premier ministre, sans que nul ne lui ait jamais reproché un manque de maîtrise de la langue française.
Peut-être Jordan Bardella ne connaît-il pas si bien qu’il le prétend toutes ces figures de notre Histoire et les livres qu’il cite. Mais ce sont eux qu’il met en avant. Ce sont les références qu’il a choisies. Et ce n'est pas anecdotique, c'est même un marqueur politique.