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Alarmisme climatique : peut-il y avoir vérité scientifique sans libre débat ?

Alarmisme climatique : peut-il y avoir vérité scientifique sans libre débat ?

Le Forum de la Dissidence organisé par Polémia et dédié à l’alarmisme climatique s’est tenu à Paris ce samedi 15 novembre 2025. Devant un auditoire attentif, les divers intervenants ont exposé plusieurs éléments permettant de prendre une saine distance avec le narratif officiel imposé sur la question. Nous publierons dans les jours à venir l’ensemble des interventions. Premier texte, celui d’Olivier Battistini, philosophe et maitre de conférences en histoire grecque. Le thème : « Peut-il y avoir vérité scientifique sans libre débat ? » Une question essentielle à se poser alors que ceux qui critiquent le discours officiel sur le climat se font attaquer sans relâche.

Polémia

« Pour ma part, je t’accorde le droit de définir chaque mot comme tu l’entends, pourvu que tu m’indiques clairement à quoi tu rapportes le mot que tu prononces, quel qu’il soit ! »
Platon, Charmide

Ces mots de Socrate à Critias, par leur superbe injonction à ne pas se tromper d’objet, éclairent un rapport au langage essentiel : c’est l’examen de la chose qui importe plus que le mot. Le nom, la définition sont interchangeables, fluents, à la différence de ce qui est, de l’essence.
Les mots-concepts sont des clés d’accès pour analyser le réel, le dire.

La question est politique, métapolitique. Nécessaire. Avant qu’il ne soit trop tard.

Et en arrière-plan, mais en lien direct avec les objectifs de ce colloque de la dissidence, cette phrase que Rousseau a mise en guise de prolégomènes au Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, 1754 :
« Commençons donc par écarter tous les faits, car ils ne touchent point à la question. »

Pour réfléchir, pour y répondre, pour mettre l’adversaire en situation de zugzwang, pour une maïeutique, et pour le mettre face à ses contradictions, face au réel, il faut affronter la hache des mots et tenter d’approcher ceux pour lesquels je suis ici : « vérité » et « débat ».

Il est nécessaire de leur inventer des frontières, de les définir et de les « travailler », selon l’acception de Dumézil, pour les atteindre au-delà de leur gangue. On songe, en guise de métaphore, à ce fait rapporté par Lucien : Sostrate de Cnide, l’architecte du phare d’Alexandrie, voulait laisser son nom à la postérité, mais le roi Ptolémée II Philadelphe avait exigé que seul son nom royal figurât sur le monument. Il grava dans la pierre, en lettres profondes, cette dédicace : « Sostrate de Cnide, fils de Dexiphanès, aux dieux sauveurs, pour le salut des navigateurs. » Puis, pour obéir au roi, il recouvrit l’inscription de plâtre et fit graver par-dessus : « Du roi Ptolémée. » Avec le temps, le plâtre s’effrita, et le nom de Sostrate réapparut, tandis que celui du roi disparut.
Les choses derrière les choses…

Selon une approche qui pourrait être aujourd’hui nôtre, lire les Grecs, c’est approcher l’extrême-contemporain en étant, selon le programme de Nietzsche, « inactuel », en manière de contre-récits, pour « exercer une influence inactuelle, c’est-à-dire d’agir contre le temps, donc sur le temps, et au bénéfice d’un temps à venir ». Ces étymologies ou ces sens premiers constituent les paysages en arrière-plan des mots d’aujourd’hui qu’il faut débusquer pour voir la propagande, affronter la désinformation, arme de guerre.

En effet, pour résumer un moment de la République de Platon, la perversion de la cité commence par la fraude des mots. La signification ordinaire des mots qui servent à caractériser les faits ou les actions a été arbitrairement changée conformément à de nouveaux codes de justice, à une idéologie diffusée de manière insidieuse dans les discours, dans les médias et même les messages publicitaires, en permanence, pour convaincre, détruire, anéantir : le mal diabolique de la confusion des concepts pour la persuasion de masse.

Et voici la guerre discriminatoire, celle dont parle Carl Schmitt. Voici le viol des foules. Voici les hommes au milieu des ruines dont parle Julius Evola. Voici la reconstruction de l’histoire.

D’une manière générale, les mots grecs cachent des constellations de significations et des sens souvent en opposition, une harmonie souveraine, l’opposition des contraires se suffisant à elle-même. Ainsi le mot stasis, qui désigne la guerre civile et ses bouleversements chez Thucydide, mais dont l’étymon dit la stabilité, révèle la nature même du politique et l’essence de la cité-État, une dialectique suprême : la stasis est principe et achèvement, fin.

Les mots grecs derrière les nôtres, « vérité » et « débat », sont alètheia et agôn, « dévoilement » et « joute oratoire » dans un espace géométrique, donc politique, où la parole et la puissance ont été placées, symboliquement, au centre, comme cela a été le cas dans les conseils des Mycéniens et les assemblées des Athéniens, par exemple, où les questions de guerre ou de société sont débattues pour être l’objet d’un vote et d’un choix, au nom d’une abstraction, de l’idée de la cité-État, c’est-à-dire l’ensemble des citoyens, qui de ce fait, puisqu’on s’en réclame, est.

En correspondance avec le logos, la parole qui « recueille du sens » et qui dit le cosmos, l’ordre des choses, la physis, par la géométrie, discipline grecque par essence, et donc la parole politique.
La polis est l’ensemble des citoyens agissant dans un monde défini par un logos nécessaire à « l’être-en-commun », condition d’un espace civique homogène parce qu’en relation privilégiée avec le centre. Le logos, parole révélant l’ordre du monde, son cosmos, est un élément essentiel du débat politique, « l’outil politique par excellence ».

« Quand Aristote définit l’homme un “animal politique”, il souligne ce qui sépare la raison grecque de celle d’aujourd’hui. Si l’homo sapiens est à ses yeux un homo politicus, c’est que la raison elle-même, dans son essence, est politique. De fait, c’est sur le plan politique que la raison, en Grèce, s’est tout d’abord exprimée, constituée, formée. L’expérience sociale a pu devenir chez les Grecs l’objet d’une réflexion positive parce qu’elle se prêtait, dans la cité, à un débat public d’arguments. »

Cela fait imaginer une dialectique subtile qui ne tardera pas à être cause de ruine.

Pour Platon, la démocratie se transforme en tyrannie parce que le démagogue se fait nécessairement tyran. On peut rappeler que, pour Platon, le démagogue est sur le même plan que le sophiste : de la même manière que le sophiste n’est que l’ombre du philosophe, le démagogue est la perversion du véritable homme politique.

La rhétorique, celle de Platon, à la différence de celle d’Aristote qui est à la hauteur de la dialectique, est d’inspiration sophistique, donc suspecte parce qu’inclinant du côté de la flatterie en devenant jeu sur les apparences, comprise comme ne s’occupant que de l’accessoire, c’est-à-dire de « l’extérieur de la question », procédé des argumentateurs, ruse des démagogues, des meneurs de peuple, des flatteurs du « gros animal », méthode de persuasion et de mensonge, artifice du pouvoir et moyen de séduction du plaideur pour influencer ou tromper les juges, un art que le maître de l’Académie combat, l’opposant à la droite philosophie seule capable de justice et de vérité.

Progressant sur des rythmes ternaires, d’aporie en aporie, et de raisonnements binaires contradictoires en élargissements successifs, les premiers sophistes, comme Protagoras, Gorgias, sont comme Priam et les Anciens sous les remparts de Troie, émerveillés par la beauté d’Hélène : devant la beauté de l’être et sous la fascination du logos, portés par leur passion dialectique, ils chuchotent des paroles ailées et stridulent sans trêve, comme les cigales à la voix couleur de lys sous les feux du soleil méditerranéen.

En revanche, les sophistes de la seconde génération, comme Polos et Thrasymaque, remarquant l’influence de la parole sur les imaginations, cultivent l’art de bien dire, d’émouvoir et d’étonner le peuple, non pas dans l’intérêt de la philosophie, de la morale et de la liberté, mais dans un intérêt démagogique et mercantile. Méprisant la vertu, ils faussent l’esprit public, déplacent l’objet des investigations philosophiques et enseignent à confondre le vrai avec le faux, le juste avec l’injuste. Ce sont ces rhéteurs, ces sophistes de cette espèce que Socrate et ses deux disciples les plus célèbres, Xénophon et Platon, combattent avec force et acharnement.

Platon dénonce la rhétorique, celle des sophistes et des démagogues, comme une forme d’apatè, une tromperie par le discours, une illusion, opposée à la vérité philosophique : « La rhétorique n’est qu’une forme de flatterie, une tromperie de l’âme. » Il accuse les sophistes de borner leurs instructions « aux moyens de flatter l’oreille par d’agréables sons et par des phrases bien cadencées ».

Seule la dialectique, un art de discuter par questions et réponses, une façon de raisonner, permet de cheminer vers le vrai sans se laisser piéger par les artifices de la rhétorique, de s’élever des connaissances sensibles aux connaissances intelligibles, aux Idées. C’est le moyen de connaître ce qui est, ce qui se distingue de l’ignorance et de l’opinion.
Il faut relire La Démocratie comme violence de Luciano Canfora…

Dans les Politiques, Aristote expose comment les « chefs populaires », en petit nombre, sont apparus, ont conquis et conservent le pouvoir réel en flattant, achetant et corrompant le peuple, et montre comment ces derniers sont à l’origine d’une déviation de la politie.

Il surprend la contradiction entre la théorie et la pratique, la différence entre l’idéal d’une mise en commun de la parole et de la décision, le paradigme d’un gouvernement de tous par tous, et la réalité d’un pouvoir confisqué par une élite qui a pris le contrôle d’un « peuple privé de bon sens » : la loi d’airain d’une oligarchie. Depuis la politie, la démocratie et la démagogie, l’ochlocratie…

« La société est toujours gouvernée par un petit nombre d’hommes, par une élite, alors même qu’elle semble avoir une constitution absolument démocratique… Dans la démocratie athénienne, il y avait les démagogues, c’est-à-dire les “conducteurs du peuple” et Aristophane, dans ses Cavaliers, nous les montre se rendant maîtres d’un peuple privé de bon sens. » (V. Pareto, Manuel d’économie politique, 1966)

La démagogie signifie, en effet, « conduite du peuple » et, également, le fait de mener le peuple à sa volonté en le flattant. La démagogie est alors caractérisée par le déchaînement des passions, par un peuple qui abdique.

Aristote condamne lui aussi la démocratie de son temps : elle appartient, avec la tyrannie et l’oligarchie, à la catégorie des constitutions déviées, le pouvoir étant exercé non en vue de l’intérêt de tous et du « bien vivre » mais au profit de ceux qui l’ont.

Aujourd’hui, les oligarques au pouvoir et les conditionneurs, les démagogues maîtres du « gros animal » dont a parlé jadis Platon, sont les étranges et tristes successeurs des fascinants membres du Conseil Nocturne apparus si brièvement dans les Lois.
Ils sont les maîtres des mystifications politiques, des affirmations présentées comme des « vérités scientifiques ».

Et voici la « peur des peurs » de Julien Freund, le « temps des paniques » de Gaston Bouthoul et le « temps des peurs » de Michel Maffesoli.

Il s’agit de soumettre le peuple qui est souverain selon les principes du débat et de le maintenir dans une sujétion ignorante, à ses dépens, en lui promettant satisfaction de ses désirs.

On est loin de l’homme politique qui a l’aptitude à porter un jugement sûr, à estimer une situation et à se fonder sur les règles de la raison et du bon sens, à connaître et à organiser le réel.

L’abolition de l’homme dont il est question chez C.S. Lewis. Un sursaut ?

Ne pas oublier le fameux Plato amicus sed magis amica veritas repris par Nietzsche. Redécouvrir la sôphrosunè, c’est-à-dire « avoir tout son esprit à propos de soi-même », la connaissance de soi pour juger les choses les plus importantes…

Se rappeler le Tryzus d’August Meissner dans l’Alcibiade qu’avait lu Bonaparte.

« Tryzus, voulant prévenir les complots secrets et les conspirations, défendit à ses sujets, par une loi expresse, de parler ensemble, en particulier ou en public : ordre barbare, tyrannique et capable de révolter. On éluda sa loi par un artifice innocent, en substituant aux paroles les gestes, les coups d’œil, les signes de tête ; on se regardait tantôt avec un air farouche, tantôt avec un air serein, et chacun en fronçant le sourcil témoignait sensiblement aux autres la vive indignation que lui causaient les malheurs de la patrie. Ainsi tous les sentiments de l’âme se peignaient sur les visages. Tryzus, craignant encore que ce silence éloquent, ces gestes expressifs et variés ne produisissent quelque funeste effet, fit une autre loi pour les défendre. Alors un citoyen, indigné de ce raffinement de tyrannie et brûlant du désir de délivrer sa patrie, s’avance au milieu de la place publique, y reste immobile, puis tout à coup verse des larmes abondantes et accompagnées de sanglots. Le peuple se rassemble en foule autour de lui et, à son exemple, gémit et fond en pleurs. On court annoncer au tyran qu’à la vérité on ne se permet aucun geste, mais que les larmes coulent de tous les yeux. À cette nouvelle, non content d’avoir enchaîné la langue et captivé les mouvements du corps, il veut encore ôter aux yeux la liberté qu’ils ont reçue de la nature ; il accourt à pied, avec ses satellites, pour tarir les larmes ; mais du plus loin qu’on l’aperçoit, on fond sur ses gardes, on leur arrache leurs armes et l’on met le tyran à mort. »

Olivier Battistini
Intervention lors du Forum de la Dissidence du 15 novembre 2025 – Publiée sur notre site le 16/11/2025

https://www.polemia.com/alarmisme-climatique-peut-il-y-avoir-verite-scientifique-sans-libre-debat/

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