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[REPORTAGE] Dans le Sud-Ouest, au cœur des mobilisations contre les abattages de vaches

Blocage de l'A64 - ©Jean Bexon
Blocage de l'A64 - ©Jean Bexon
Tel un éclaireur, Nicolas nous guide à travers champs. « Il faut passer par là ! », nous explique-t-il, en abaissant une barrière barbelée. Croc-Blanc, son chien, a failli s’y écorcher. Nous nous engouffrons dans une lisière de ronces.

Ce vendredi 12 décembre, le secteur est bouclé à un kilomètre à la ronde. Un hélicoptère sillonne le ciel, des Centaure bloquent les accès routiers. Il ne s’agit pas de créatures mythologiques galopant dans le massif du Plantaurel mais des derniers blindés de la gendarmerie nationale. Ce bijou technologique, conçu par l’entreprise Soframe, est à l’origine destiné à la protection des populations.

Les Abondances de Savoie visées aussi par les abattages ©Jean Bexon

Dans la nuit du 11 au 12 décembre, lors du siège de la place forte tenue par les agriculteurs pour empêcher l’abattage, les capacités de poussée de l’engin (31 tonnes) ont été utilisées pour dégager le barrage de voitures disposé par les éleveurs afin de bloquer les services vétérinaires.

Nicolas nous décrit le pré comme un champ d’honneur. Deux hélicoptères, des drones, des caméras infrarouges et du gaz lacrymogène ont été déployés par les forces de l’ordre pour venir à bout de la détermination des paysans. « Ça tirait de partout : dès que quelqu’un allumait une lampe, on nous envoyait des grenades lacrymogènes », explique le quadragénaire, dont le pantalon de treillis bariolé lui donne des airs de guérillero.

Une population indignée

De quoi indigner Hélène, une retraitée rencontrée quelques heures plus tôt à la gare de Carbonne. « Les moyens utilisés contre les agriculteurs me choquent », confie cette habitante à BV, avant d’affirmer : « Les éleveurs ne sont pas des voyous mais des travailleurs. » Comme de nombreux habitants de l’Ariège ou de la Haute-Garonne que nous avons rencontrés, elle soutient le blocage de l’abattage total des 208 vaches blondes d’Aquitaine.

Dans les Alpes, cet été, des agriculteurs avaient eux aussi bloqué la route avec d’imposants rondins. Disposés en V, à la manière des remparts d’un fort Vauban perché en montagne, ces chicanes permirent à la Confédération paysanne et à la Coordination Rurale de tenir quatre jours. L’intendance des troupes était assurée par la solidarité des paysans voisins : miches de pain généreuses, fromages et vins de Savoie, jambon de pays.

Un gendarme avec fusil anti-drone à la ferme © Jean Bexon

Ici, en Ariège, le sol fume encore. De nombreux déchets de munitions jonchent le sol. « La pollution de ce champ, aujourd’hui, ce n’est pas le nitrate ou le glyphosate, c’est ça », nous indique notre guide, en nous montrant les restes d’une grenade lacrymogène.

Arrivés à proximité de la ferme, Nicolas ne pourra plus nous suivre. « On se connaît bien, on a passé la nuit ensemble », s’amuse-t-il, à l’approche des gendarmes qui lui demanderont courtoisement de quitter les lieux.

Sur la petite route de Camparol, des dizaines de cars de gendarmes mobiles, équipés de boucliers anti-émeute, sont déployés. Une centaine de représentants des forces de l’ordre est présente. L’un d’eux est muni d’une arme aux allures futuristes : un fusil brouilleur de drones, pointé vers le ciel.

Panneau sur l'A64 - Photo Jean Bexon

Chaque camion d’équarrissage est escorté par les militaires. Une grue nous permet d’apercevoir régulièrement une carcasse de vache suspendue avant d’être jetée à la benne. De faux bouviers en tenue sanitaire emmènent une vache et son veau dans un hangar. Ce sera la dernière fois que nous les verrons.

La stratégie gouvernementale en question

Le gouvernement, de son côté, déclare ne pas prendre la décision d’un abattage total de gaieté de cœur. Les autorités sanitaires assurent qu’il s’agit de la seule mesure permettant d’éradiquer le foyer de dermatose nodulaire contagieuse (DNC). Cette maladie vectorielle, transmise par les mouches et les taons, présente un temps d’incubation très long (15 jours) et une morbidité variable (20 % à 30 %). Comme le résume le compte d’un vétérinaire vulgarisateur, sur X, le docteur Toudou, « les quarantaines et les analyses sanguines ne servent strictement à rien. La maladie évolue lentement et a le temps d’infecter tout le monde avant d’être visible. »

Un agriculteur constate les déchets de Lacrymo - © Jean Bexon

Un discours que le monde paysan peine à entendre, estimant qu’un abattage partiel pourrait suffire. Ce week-end, ces agriculteurs sont descendus de leurs fermes et ont pris possession d’une portion de l’A64 (sortie 27), au niveau de la commune de Carbonne (Haute-Garonne). En quelques minutes, une véritable base de vie s’improvise sous nos yeux. De grandes tentes blanches sont dressées, des bottes de paille forment les murs du nouveau QG et des braseros sont allumés. Un oppidum sur autoroute, surveillé au loin par des cars de la police nationale. Avec sa pancarte « Pas de pays sans paysans », Marie nous alerte : « Il y a de moins en moins d’agriculteurs ; un jour, on ne pourra plus nourrir la France. » La jeune femme nous explique ses motivations : « Je suis fille d’agriculteur. J’avais besoin de soutenir mon père, de soutenir les éleveurs, surtout que je souhaite reprendre la ferme. »

© Jean Bexon

Arrive alors un aréopage d’élus en écharpe. Des députés de La France insoumise déambulent sur les lieux. « Qu’est-ce qu’ils viennent foutre ici ? », grommelle un agriculteur, moustache soignée et béret vissé sur la tête.

À grand renfort de publications sur leurs réseaux sociaux et de déclarations de leurs représentants, comme Jean-Luc Mélenchon, la gauche annonce soutenir le mouvement de lutte des agriculteurs. Une posture que dénonce à notre micro Gaëtan Inard, élu municipal et secrétaire général adjoint du groupe UDI. « LFI ne cesse de vouloir tuer notre agriculture ! Ils ont voté contre la loi Duplomb et veulent mettre toujours plus de normes et de bâtons dans les roues de nos agriculteurs. C’est d’une hypocrisie totale ! »

Jean Bexon

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