
En France, on cause. On n’agit plus. C’est le propre des époques de déclin. Les Byzantins, nous dit-on, spéculaient sur le sexe des anges pendant que les mahométans les encerclaient. Mais Byzance avait quand même duré 1 000 ans. Il n’est pas sûr que nous fassions aussi bien désormais pendant que nous dissertons, nous, sur la réalité du sexe des hommes. Car nous sommes descendus en dessous de la ceinture.
La France macrone
La France cause car elle sort de l’histoire. Elle s’enivre de mots, de bruits et d’images pour tenter d’oublier qu’elle est devenue la risée et le paillasson du monde.
L’exemple, il est vrai, vient de haut.
Les Ukrainiens ont inventé un verbe pour désigner cette impuissance verbeuse : macroner. C’est-à-dire faire comme Emmanuel Macron : parler, communiquer, causer en permanence sur tous les sujets possibles, gesticuler, voyager et embrasser tout le monde, tout en ne faisant rien de concret et surtout rien de positif.
C’est la différence entre le verbe gaullien et le verbe français actuel : le verbe gaullien anticipait ou accompagnait l’action.
Le verbe français actuel, lui, entend se substituer à l’action. Comme si les mots pouvaient changer la réalité des rapports de force. Comme si la com’ pouvait transformer en paradis l’horrible déclin français.
Mais cela ne marche plus.
Le serpent médiatique qui se mord la queue
Tout le monde cause : dans les médias, devant les caméras, lors des conférences de presse, lors des commémorations, sur Internet et sur son portable.
Aujourd’hui, même les écrivains doivent communiquer, et malheur à celui que l’on n’invite pas dans un média : ses livres seront invisibilisés.
La palme revient évidemment à notre classe médiatique qui glose à longueur d’antenne sur des propos des politiques : donc qui se borne à commenter des mots, en boucle. Comme dans ces horribles débats où l’on s’efforce de nous faire croire que la réalité n’existerait finalement que sous forme de points de vue divergents. « Qu’est-ce que la vérité ? », disait Pilate…
Ces débats médiatiques sont un peu l’équivalent de la crème à la crème, le plat préféré des Vikings dans les bandes dessinées de Goscinny. C’est l’ouroboros, le serpent médiatique qui se mord la queue en se regardant le nombril.
La classe discutante
La gauche, c’est-à-dire en France la bourgeoisie, ne cesse de jacasser depuis 1789. Ce n’est pas pour rien que l’écrivain conservateur espagnol Juan Donoso Cortés l’appelait, au XIXᵉ siècle, la classe discutante.
La gauche a en effet imposé le monopole de sa parole pour tenter de faire accepter ses folies, la plupart du temps sanguinaires, pour un incontestable progrès. Tel Robespierre, elle doit croire ce qu’elle dit et donc nier la réalité la plus évidente. Et malheur à ceux qui ne partagent pas ses mots : hier, direction la guillotine ; aujourd’hui, la censure, le tribunal et la fermeture du compte bancaire.
Mais c’est vrai aussi, hélas, d’une certaine droite qui, dans les médias alternatifs, commente d’autant plus doctement ce qu’il faudrait faire qu’elle ne l’a pas fait hier ou qu’elle n’est pas en mesure de le faire aujourd’hui, sinon demain, de toute façon.
Arrêtez de parler ! Agissez
« Tu causes, tu causes », disait Zazie dans le métro.
En France, tout le monde cause mais plus personne ne croit la parole publique, tellement galvaudée. Pas plus que la parole médiatique, trop compromise.
Les Français n’écoutent plus les bavards. A fortiori quand ils mentent.
Ils ne veulent plus que l’on communique ou qu’on leur fasse de la pédagogie, comme disent les oligarques. Ils en ont assez des éléments de langage et des leçons de morale des nantis de la mondialisation heureuse.
Ils n’attendent pas qu’on leur explique pourquoi cela n’a pas marché : ils veulent des politiques qui agissent pour que cela marche.
Ils veulent des résultats, pas des mots.
Michel Geoffroy
27/12/2028