◊ Lorenzo Papini, Radici del pensiero della Nuova Destra : La riflessione politica di Alain de Benoist, Giardini, Pisa, 1995.
Étude fouillée sur la trajectoire d'Alain de Benoist depuis Europe-Action, les Cahiers Universitaires et Défense de l'Occident. Pour Lorenzo Papini, docteur en sciences politiques formé à Pise, enseignant à Rome, le fondement de la pensée de Benoist, d'après ses écrits de jeunesse, est un « racisme grand-européen », puisé chez Renan, Gobineau et Chamberlain, visant la défense de la “race blanche” et la création, à terme, d'un “Empire blanc”, qu'il appelait le “Witland”, entité mythique à laquelle il rêvait, à l'époque, avec les racialistes américains (Ku-Klux-Klan, etc.) et sud-africains (White suprematists). À cette époque, l'orientation du futur chef de file de la "nouvelle droite" est encore radicalement occidentaliste : De Gaulle est accusé d'avoir « trahi la race » (Europe-Action, 20 déc. 1965), d'être un « imposteur communiste » et d'avoir « brisé l'Alliance Atlantique » (ibid., juil. 1967). Tels étaient les péchés de jeunesse que de Benoist ne cessera plus de renier, en exprimant parfois des remords pathétiques, à partir de la création du GRECE, où il opte pour une stratégie “métapolitique”, qui débouchera sur la formulation d'un anti-racisme différentialiste et sur une réfutation du prométhéisme initial de ce mouvement. Il faut reconnaître que, de ce point de vue, l'évolution d'A. de Benoist est intéressante, constitue une évolution étonnante et positive. Papini retrace clairement cette trajectoire, comme Taguieff l'avait fait en France, dans son livre intitulé Sur la nouvelle droite. L'étude de Papini permet à l'étudiant, à celui qui ne connaît pas la ND ou n'en a entendu que vaguement parler, d'avoir un fil d'Ariane pour la découvrir. À signaler dans ce livre : l'excellent chapitre, clair et concis, sur la réception de Nietzsche par de Benoist (RS).
Les huit questions auxquelles Alain de Benoist n’a jamais voulu répondre
Fin 1990, début 1991, Alain Benoist me convoque et me soumet un projet. Il voulait que je l’interviewe pour Vouloir ou Orientations, afin de mettre en exergue, par le biais d’un tel entretien, les nouvelles pistes que la Nouvelle Droite était sur le point d’emprunter. A. de Benoist m’explique que la situation politique et intellectuelle de la France et les mentalités en général ont considérablement changé depuis la naissance de la Nouvelle Droite, plus exactement du GRECE et de la revue Nouvelle école en 1968-69. Dès lors, ajoutait-il, le GRECE ne peut plus véhiculer certains idéologèmes, devenus obsolètes au fil du temps. En revanche, il s’avère impératif d’explorer de nouvelles pistes. Mais cette nouveauté risque de provoquer le désarroi chez d’anciens militants, encore trop prisonniers de schémas dépassés, m’a-t-il précisé. Vouloir ou Orientations sont des revues extérieures au mouvement, elles sont publiées hors de France : elles sont donc le tremplin idéal pour lancer ces nouvelles pistes. Les arguments d’Alain de Benoist me semblaient judicieux et correspondaient effectivement à mon analyse depuis 1989, où, en juin de cette année, par ma première conférence officielle au GRECE depuis mon retour (1), j’avais réclamé (en vain !) une ouverture aux nouvelles recherches prospectives et fondamentales de la philosophie française. En réclamant cette ouverture, je suivais un conseil d’Armin Mohler, engageant les lecteurs de Criticón à lire les post-modernes français à travers l’analyse de leurs œuvres que proposait, avec un remarquable esprit de synthèse, le professeur allemand Wolfgang Welsch, spécialiste incontesté de ces problématiques. A. de Benoist a souvent écouté Armin Mohler, recopié ce qu’il disait, béatement paraphrasé ce qu’il énonçait dans le contexte allemand, sauf en ce qui concerne les post-modernes et les synthèses de Welsch, où il n’a pas été le bon petit élève obéissant, mais plutôt le cancre, sourd à tout bon conseil. J’ai donc, à la demande explicite de de Benoist, composé les questions ci-dessous que je lui ai faxées 5 jours plus tard. Mon objectif en posant ces questions : pouvoir expliciter les mutations idéologiques qui avaient jalonné l’itinéraire intellectuel du GRECE et de son animateur principal. Quand de Benoist a reçu ces questions, il les a tout de suite contestées en montrant une nervosité incompréhensible, il a critiqué des détails sans importance (le fait d’utiliser le terme “dada” pour désigner des engouements philosophiques), il n’a abordé aucune des thématiques de fond, soulevées par mes questions. Lors d’une entrevue quelques semaines plus tard, il a réitéré ces critiques sans me donner d’explications satisfaisantes. De Benoist était dans un état de nervosité bizarre, ses paroles étaient ponctuées de drôles de rictus, ses doigts se cramponnaient à ses longues cigarettes, dont il aspirait la fumée à grosses bouffées. Inutile de préciser qu’il n’a JAMAIS répondu à cette proposition d’entretien, qu’il avait lui-même réclamé ! Pourtant, une brochure avec des réponses claires aurait permis de clarifier les positions de la Nouvelle Droite, d’orienter les militants et les sympathisants de ce courant de pensée. Je soumets aujourd’hui ces questions aux lecteurs de Vouloir. A eux de juger comme il se doit le silence du gourou de la Nouvelle Droite. Un silence plus révélateur que tous ses discours et écrits…
HUIT QUESTIONS A ALAIN DE BENOIST
La Nouvelle Droite : histoire, destin, évolution, ruptures
◊ 1. Quand vous avez fondé avec quelques-uns de vos amis les structures qui allaient donner naissance à Nouvelle école puis au GRECE et à la mouvance “Nouvelle Droite”, vous étiez animé par un désir de rupture. Une rupture qui tournait le dos à l'agitation politique groupusculaire pour approfondir les fondements, non seulement des sciences politiques, mais de toutes les disciplines humaines. Près de 25 ans après, comment jugez-vous cette rupture qui a décidé de votre destin de “journaliste métapolitique”, de “maître-à-penser” d'une génération hostile à bien des compromissions ?
◊ 2. Il serait peut-être utile aussi que vous nous rappeliez le contexte global de cette époque où vous avez amorcé votre rupture, tant sur le plan philosophique, avec la vogue existentialiste, que sur le plan politique, avec les guerres de décolonisation et du Vietnam. En effet, les jeunes gens des années 70 et 80, a fortiori ceux qui seront la génération des années 90, ont baigné dans des atmosphères intellectuelles et politiques très différentes et certains d'entre eux m'ont déjà exprimé le souhait de connaître les motivations et les sentiments qui accompagnaient les premiers balbutiements de ce qui allait devenir la “Nouvelle Droite” ?
◊ 3. Votre “démarche rupturale initiale” est contemporaine de mai '68. Dans l'université d'alors, sur le terrain politique, dans les débats intellectuels, quels ont été les facteurs qui ont déterminé vos options, quels sont les clivages qui vous semblaient incontournables et empêchaient tout dialogue avec les “contestataires d'en face”. Je pose cette question en sachant très bien qu'il existe aujourd'hui chez beaucoup d'ex-soixante-huitards une volonté très nette de brûler ce qu'ils ont adoré et de dénoncer “l'anti-humanisme” de leur jeunesse. Dans certains de vos écrits récents, vous soulignez, à rebours des “renégats de 68”, le grand intérêt intellectuel de certains linéaments philosophiques de cette époque contestataire. Quel jugement pose l'Alain de Benoist d'aujourd'hui ?
◊ 4. Vous avez posé un pari faustien et prométhéen au début de votre aventure intellectuelle, assorti d'une critique de la sinistrose et du mythe du bon sauvage (notamment dans la forme que celui-ci prenait chez Claude Lévi-Strauss) et d'une apologie du “génie européen”. De ce fait, vous avez été accusé de “racisme” par quelques adversaires manichéens, dont les héritiers sévissent encore aujourd'hui. Vous étiez sur la même longueur d'onde qu'un André Reszler lorsqu'il écrivait L'intellectuel contre l'Europe (PUF, 1976). Par la suite, votre pensée semble avoir connu une sorte de retournement : la linéarité quantitativiste du matérialisme occidental, vous avez commencé à la considérer comme un avatar matérialiste de la linéarité judéo-chrétienne. Ipso facto, cette linéarité est devenue en quelque sorte votre “ennemi principal”, auquel vous opposez les essences identitaires qu'elles soient européennes ou extra-européennes. Mais dans ce cheminement philosophique, qui est le vôtre, on assiste à une mutation dans votre définition de l'identité européenne : celle-ci ne serait plus exclusivement de nature faustienne / prométhéenne mais autre, c'est-à-dire moins vectorielle, moins progressiste, moins marquée par les linéarités du judéo-christianisme et de ces avatars laïcisés. Pouvez-vous nous préciser cette nouvelle définition de l'identité européenne ?
◊ 5. Des auteurs comme Robert Muchembled (avec sa distinction entre la “culture des élites” et la “culture du peuple”) ou Carlo Ginzburg (avec son analyse des propos d'un meunier frioulan promis au bûcher de l'Inquisition) ont-ils joué un rôle dans l'évolution de votre pensée, partie d'un prométhéisme assez techniciste et quantitativiste ?
◊ 6. Toujours dans la même optique, vous êtes passé d'un dada philosophique à un autre : en l'occurrence de l'empirisme logique anglo-saxon, introduit en France par l'un de vos maîtres-à-penser, Louis Rougier, pour aboutir à un discours anti-techniciste très marqué par Heidegger. Beaucoup de vos lecteurs n'ont pas compris cette évolution. Généralement, quand ils m'en parlent, je réponds que le “chaînon manquant” dans cette évolution, est peut-être une réflexion sur la pensée de Wittgenstein, qui, au-delà de sa logique rigoureuse, de sa critique des ambiguïtés du langage, n'est pas dépourvue de mysticisme. Réflexion qui, de surcroît, n'a pas été consignée dans un texte majeur de vous-même ou de l'un de vos collaborateurs. Quelle est votre explication ? Y a-t-il un lien entre le mysticisme de Wittgenstein et votre engouement pour Heidegger ?
◊ 7. La “nouvelle droite” est souvent cataloguée dans la mouvance d'un néo-paganisme. Votre critique de la linéarité judéo-chrétienne vous a induit à ouvrir une réflexion sur le temps et l'histoire. En opérant cette réflexion, vous deviez nécessairement aborder les façons non linéaires de saisir temps et histoire notamment les théories cycliques de l'histoire, propres aux cultures traditionnelles. Par ailleurs, à la suite d'Armin Mohler, vous avez parlé de la sphéricité du temps : en clair, dans cette optique, le temps est une sphère et n'est pas vectoriel mais, en revanche, le cycle qu'il parcourt n'est pas répétitif ; à tout moment, une direction nouvelle peut être impulsée par la volonté d'un peuple, d'un chef, d'une personnalité charismatique, d'un génie de la pensée, etc. Aujourd'hui, dans vos écrits les plus récents, on aperçoit une influence croissante des auteurs traditionalistes comme Guénon, Evola, Schuon ou Coomaraswamy. Avez-vous renoncé à la théorie sphérique de l'histoire, abandonné l’amor fati de Nietzsche, pour retrouver le silence immobile de la tradition ? Votre approche païenne, approche basée sur une option pour le devenir et non pas pour l'être, s'estompe-t-elle, passe-t-elle au second plan ?
◊ 8. Sigrid Hunke, dans son célèbre ouvrage Europas andere Religion, dont vous avez patronné la traduction française aux éditions Le Labyrinthe, a démontré que l'essence de la religiosité européenne était l'unité du monde, l'unité fondamentale de toutes les choses qui s'exprime la plupart du temps par la mystique. Dans Comment peut-on être païen ?, vous embrayé dans ce sens, en critiquant systématiquement les théologies et les pensées de la “césure”, des dualismes qui opèrent précisément une césure, en valorisant certaines catégories de choses et de faits et en en rejetant d'autres dans une géhenne d'opprobre, instaurant de la sorte la désacralisation d'une bonne partie du monde, notamment de la vie, de la sexualité, des énergies sourdes qui irriguent les cultures de l'humanité. À la critique hunkienne du dualisme métaphysique, vous avez quelques fois ajouté des éléments très féconds puisés dans la physique non dualiste, dans la logique du tiers-inclus de Stéphane Lupasco et de son disciple Basarab Nicolescu. Aujourd'hui, Jean-Jacques Wunenburger, qui vient de collaborer à votre nouvelle revue Krisis, a élaboré une “raison contradictoire”. Comment Alain de Benoist relie-t-il aujourd'hui son option païenne anti-dualiste à la logique lupascienne du tiers-inclus voire à la “raison contradictoire” de Wunenburger ?
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Huit ans (aujourd'hui, 21 à 22 ans!!!!) plus tard, nous attendons toujours les réponses d’Alain de Benoist…
• Note :
(1) Je ne compte pas mon intervention fortuite lors du Colloque annuel de l’association en novembre 1986, où j’ai été convoqué à mon grand étonnement, vraisemblablement parce qu’on craignait la défection de Faye, qui contestait durement la direction du GRECE, à ce moment ; après cette intervention au colloque de 86, je n’ai plus eu de contacts avec le GRECE jusqu’en mai-juin 1989, période où Charles Champetier m’a demandé de prononcer cet exposé sur la post-modernité de juin 89, à la tribune du Cercle Héraclite. J’avais toutefois reçu une lettre de C. Champetier en juin 1988, me demandant une collection complète de mes publications pour ses archives personnelles. Champetier n’avait pas encore pris contact avec le GRECE. Je l’ai rencontré pour la première fois le 31 juillet 1988 en Suisse, lors d’une assemblée de la Lugnasad, organisée à l’occasion de la fête nationale helvétique. Champetier est ensuite venu à Bruxelles en septembre 88 me demander des conseils sur la voie à suivre. Il a investi la ND, où il n’y avait quasi plus personne, donnant au mouvement d’A. de Benoist un souffle nouveau. C’est dans le cadre de ses nouvelles fonctions au GRECE que Champetier m’a invité en juin 1989, ainsi qu’en mars 1990, pour un colloque sur le futurisme, avec Jean-Marc Vivenza et Omar Vecchio. Alessandra Colla accompagnait ces exégètes du futurisme. Je n’ai en aucune façon influencé Champetier dans le choix des orateurs. C’est ainsi que j’ai fait connaissance avec la future Présidente du Bureau Européen de Synergies Européennes et avec J. M. Vivenza, grâce, je tiens encore à le préciser, à l’entremise de C. Champetier et dans le cadre du GRECE. Mais aussitôt après cette manifestation consacrée au futurisme, derrière le dos de Champetier, une campagne de dénigrement systématique a été habilement orchestrée contre Vivenza (un “fou”) et A. Colla (une “dangereuse extrémiste”) et, partiellement, contre moi-même. Champetier a fini par prendre ces ragots pour argent comptant et par perdre son indépendance d’esprit ; il a acquis les réflexes sectaires de l’apparatchik et perdu toute originalité intellectuelle. Pire : il a abandonné ses propres initiatives, le groupe de réflexion IDEE et, un peu plus tard, sa revue, modeste mais pertinente, Métapo. C. Champetier ne s’est jamais posé de questions sur les raisons pratiques ou psychiatriques qui poussaient son “chef” à colporter des ragots infondés contre certaines personnes (surtout quand elles sont dotées d’un véritable diplôme universitaire ou, même, d’une petite peau d’âne de bachelier !). Un tel comportement empêchait à l’évidence le mouvement de se développer : un tel sabotage systématique est-il le résultat d’une défaillance comportementale ou psychique ou bien, plus subtilement, est-ce une tactique dûment réfléchie et inspirée par certains services ? Trop jeune et finalement fort naïf, C. Champetier ne s’est apparemment jamais rendu compte de la situation… De même, en ne répondant pas aux questions que je posais (à sa propre demande !!!), l’animateur principal du GRECE maintenait son mouvement dans un “flou artistique”, permettant toutes les manipulations. De plus, alors qu’il annonçait vouloir rompre avec certains éléments passéistes de son groupe, on constate, dix ans après, que les mêmes olibrius encombrants et ridicules (un ridicule qui tue !) continuent leurs pitreries druidico-avinées, cucu-nazies et pagano-burlesques en marge des discours doctes de de Benoist et Champetier, qui affirment, avec les trémolos de la vierge effarouchée, qu’ils n’ont rien à voir avec le IIIe Reich (ni avec David Mortimerson).