« Vendredi 7, au soir, je donnais une conférence au Grand Hotel de Tours, à l’invitation du Cercle Jean Royer. Le thème central en était la liberté d’expression. J’avais d’ailleurs été précédé par Robert Ménard. La rencontre du nom de Jean Royer et du thème me motivaient fortement.
J’ai toujours ressenti beaucoup d’admiration pour cet homme, solide, indépendant, courageux et volontaire. Gaulliste par les idées et non par les calculs, il avait été délégué du RPF en Indre-et-loire, et Ministre de Georges Pompidou, sous les gouvernements Mesmer. Il n’avait pas, après le RPF, appartenu aux partis qui se réclamaient du gaullisme mais avait soutenu en 1999 et en 2002 Philippe de Villiers et Jean-Pierre Chevènement : un gaulliste de conviction, défenseur d’une Nation souveraine, plutôt qu’un utilisateur cynique de la Croix de Lorraine, prêt à faire le contraire de ce que ce symbole exige à l’évidence. J’avais eu l’occasion de travailler à ses côtés durant mon premier mandat parlementaire. Il présidait un groupe consacré à la défense du commerce indépendant, lequel avait joué un rôle déterminant dans l’élaboration de la loi Raffarin pour accroître les contraintes, notamment urbanistiques, liées à l’ouverture des grandes surfaces, dans la ligne de la loi Royer de 1973. Certaines biographies soulignent son profil conservateur, voire réactionnaire : un homme bien, en somme, et aujourd’hui, un visionnaire. Je me souviens de sa difficile campagne de 1974, alors qu’il défendait l’idée d’un redressement moral, dans le climat délétère d’après 1968, et qu’il dénonçait les dérives d’une pornographie envahissante. C’était l’époque où un certain nombre d’hommes politiques, et de têtes vides du show-bizz revendiquaient la prétendue libération à outrance, et, par exemple celle de la pédophilie. Stigmatisé comme partisan de l’Ordre Moral, ses réunions étaient violemment chahutées par les troupes de choc du désordre immoral. Il y a toujours des imbéciles, qui, de peur de rater une mode, vont trouver que c’est mieux. Il avait donc droit aux « femen » de ce temps. L’intolérance des prétendus tolérants est une malheureuse et pesante tradition française.
C’était le fil conducteur de mon intervention. Je rappelais en introduction la grande illusion des Français sur eux-mêmes. Ils se croient le pays fondateur des Droits de l’Homme, celui de la liberté de pensée, le pays voltairien par excellence. Les Droits de l’Homme sont essentiellement d’origine anglo-saxonne, et la déclaration de 1789 reprend les idées inscrites auparavant dans les constitutions des Etats Américains qui se sont libérés grâce à l’intervention de la Monarchie française. Elle a simplement le mérite de les systématiser et de leur donner un caractère universel. Trois remarques s’imposent toutefois. D’abord, en matière de liberté d’expression, le premier amendement à la Constitution Fédérale des Etats-Unis instaure une liberté d’expression absolue quand la française évoque les abus qui peuvent être réprimés, ouvrant la boîte de Pandore des restrictions. En second lieu, Burke, dans ses réflexions sur la Révolution a, dés le début de celle-ci, mis en garde contre ses dérapages. La violence, les massacres, la terreur ont, certes connu leur apogée en 1792-1794, mais étaient présents dès l’origine avec les meurtres de Juillet et d’Octobre 1789. Enfin, la fameuse formule de Saint-Just, selon laquelle, « il n’y a pas de liberté pour les ennemis de la liberté » annonce la dérive totalitaire de la Révolution qui servira de modèle aux marxistes, et qui consiste à penser et à accomplir le schéma suivant lequel la démocratie n’est pas l’alternance d’une diversité politique reconnue, mais la marche à gauche, le sinistrisme inéluctable, non par la victoire intellectuelle des idées, mais par l’élimination des adversaires.
Cette dérive typiquement française est toujours à l’oeuvre dans un pays marqué par la présence d’une droite de plus en plus décérébrée, et d’une gauche ancrée dans une idéologie marxisante dans la forme sinon dans le contenu. C’est ainsi que malgré l’apparente alternance se sont développées des législations restrictives de la liberté d’opinion. Avec le soutien d’une presse qui vote au moins à 80% à gauche, et qui trahit à l’évidence sa mission, une pensée unique a déterminé un politiquement correct, qui permet de disqualifier et d’exclure ceux qui ne s’y soumettent pas ou de les faire taire sous la pression du terrorisme intellectuel. On ne discute pas les idées, on « flingue » les hommes qui les portent. Les moyens employés sont ceux du totalitarisme : on oblige à parler une certaine langue pour contraindre à penser d’une certaine manière. Orwell et Klemperer ont analysé tous deux ce procédé. On passe de la langue novatrice qui est le privilège de l’humanité à une utilisation réflexe du langage suscitant réactions et amalgames. Le « crime-pensée » d’Orwell, c’est-à-dire l’hérésie de l’Inquisition ou le déviationnisme des tribunaux politiques,sont devenus aujourd’hui successivement le fascisme, englobant toute la vraie droite, puis le racisme ou xénophobie, stigmatisant le moindre patriote, et maintenant l’homophobie désignant à la vindicte publique celui qui ose défendre une idée conservatrice de la famille. Les tribunaux chargés de la répression ne sont pas exceptionnels, ce sont ceux de la République. Leurs armes sont les lois liberticides qui ont instauré une lecture unique de l’histoire sous peine de poursuites et une discrimination positive en faveur de de certaines « communautés », de leurs membres et des lobbys activistes qui prétendent défendre leurs intérêts : lois mémorielles donc et lois créant paradoxalement une inégalité entre les Français au nom de leur dignité qu’on croyait par définition égale entre tous les hommes et tous les citoyens. Certes, ces lois sont apparemment différentes : la loi Gayssot réprime la contestation d’une décision judiciaire quand la loi Taubira demande qu’on enseigne une vision pour le moins parcellaire et univoque de l’histoire avec le risque de se retrouver devant les tribunaux, si on la conteste. La protection du handicap, de l’appartenance religieuse ou de l’orientation sexuelle se présente comme une intention unique : elle ne l’est pas dans la mesure même où un état objectif, un comportement intime et une pensée qui, éventuellement condamne sévèrement ce dernier, ne peuvent être envisagés de la même manière. J’observe que ma Proposition de Loi sur la reconnaissance de l’Holodomor, le génocide par la faim que Staline a fait subir aux Ukrainiens n’a pas reçu le soutien de l’Assemblée, ni même celui du groupe UMP. C’est normal, les victimes de la gauche, comme les Vendéens, par exemple, sont réputés de droite et sont donc, de fait, dans le camp des coupables. La logique est totalement absente dans cette course folle en sens unique vers un mur, celui de la prison où l’on veut enfermer la réflexion, le bon sens, le goût de la vérité et ce pilier central de la dignité humaine qui est la liberté de penser et d’exprimer son opinion. Il est inutile de préciser que la presse locale n’a pas jugé bon de couvrir ma conférence et qu’une poignée d’opposants manifestait pour contester le droit à la parole du « facho », double preuve involontaire de la justesse de mes propos. »