On n'est jamais mieux servi que par soi-même, affirme le dicton. Cette vérité première se vérifie aussi en matière de retraites, comme le montrent celles dont bénéficient les parlementaires et les syndicalistes.
À tout seigneur, tout honneur, il ressort de deux études de l'association Sauvegarde Retraites que nos élus se sont concoctés un régime aux petits oignons, caractérisé par un taux de remplacement, un délai de rentabilité et un rendement qui laissent loin derrière ceux de n'importe quel autre régime spécial.
Le taux de remplacement, qui correspond au montant de la pension comparé au dernier salaire, atteint pour les sénateurs 117,6 % pour une carrière complète, et pour les députés 114,8 %. Ce qui signifie que les uns comme les autres toucheront une retraite supérieure à leur dernière indemnité. En comparaison, les fonctionnaires, dont le sort est déjà plus favorable que celui des salariés du privé, bénéficient d'un taux de remplacement de 75 % - les trois quarts de leur dernier traitement.
Le délai de rentabilité, c'est-à-dire la durée au bout de laquelle le montant des prestations perçues couvre la totalité des cotisations versées, ne dépasse pas trois ans pour les sénateurs, trois ans et sept mois pour un député. Au-delà, c'est tout bénéfice.
Les voyages forment la vieillesse
Quant au rendement, c'est-à-dire le rapport entre les prestations reçues et les cotisations versées, il atteint 7,40 euros pour 1 euro cotisé. À comparer avec le rendement des retraites du privé : 1,32 euro pour 1 euro cotisé à l'Arrco.
Au bout d'une carrière pleine (40 annuités cotisées), un sénateur percevait en 2009 une pension de 6440 euros nets par mois, et un député sensiblement autant. Les uns comme les autres ayant la possibilité de cotiser double pendant les 15 premières années de leur mandat, ils peuvent percevoir leur retraite à taux plein au bout de 23 ans de «carrière» seulement. Et au bout d'un seul mandat (six ans) un sénateur sera assuré de toucher 1932 euros nets de retraite mensuelle, soit 30 % de plus que la retraite moyenne perçue par un salarié du privé au terme d'une carrière complète.
Aussi confortable que paraisse leur sort, tous les élus ne s'en contentent pas : presque tous, au contraire, cumulent leur pension de sénateur avec une retraite d'élu local, dans la limite du plafond légal : une fois et demi l'indemnité parlementaire de base, soit 8314 euros en 2009. En outre, les sénateurs issus de la fonction publique peuvent cumuler leur retraite parlementaire avec une retraite de fonctionnaire à taux plein, et cette fois sans plafond.
Nul n'étant immortel, nos élus, sénateurs ou députés, ont également veillé à ne pas laisser dans l'embarras leur veuve et leurs orphelins s'il devait leur arriver quelque accident malheureux : en cas de décès le conjoint survivant continuera à percevoir les 2/3 de la retraite, sans plafond ni conditions de ressources, et chaque enfant touchera 10 % de la pension jusqu'à l'âge de 25 ans. La comparaison s'impose encore une fois, non seulement avec le secteur privé, mais aussi avec le public.
Pour la bonne bouche, les anciens sénateurs bénéficient de facilités de transport : s'ils se déplacent en avion, ils peuvent se faire rembourser par le Sénat la moitié du prix de leur billet (et de celui de leur conjoint s'il les accompagne) dans la limite de 12 déplacements sur les lignes métropolitaines. Le Sénat prend aussi en charge l'attribution à ses vétérans d'une carte de circulation « forfait France entière 1ère classe » qui leur donne droit à voyager gratuitement (billets et réservations, hors supplément - rien n'est parfait... ) sur le réseau SNCF. C'est sans doute ce qu'on appelle un train de sénateur...
Le beau fromage des syndicalistes
Si les élus sont bien lotis, les syndicalistes ne s'en tirent pas mal non plus. Leur «truc» consiste à appartenir quelque temps au Conseil économique, social et environnemental (CESE), l'un des plus beaux fromages de la République, dont le régime de retraite est calqué sur... celui des parlementaires, bien sûr.
Pour un seul mandat de cinq ans, le conseiller économique et social perçoit près de 800 euros par mois (soit l'équivalent de la pension des artisans et des commerçants après une carrière complète, remarque encore l'association Sauvegarde Retraites).
Il suffit d'avoir cotisé 30 années et demie pour atteindre le taux plein, soit 75 % de l'indemnité totale brute.
Côté rendement, 1 euro cotisé en rapporte 6,18 à la retraite. Les cotisations des conseillers ne couvrent au demeurant que 13 % des dépenses du régime. le reste étant payé par l'État. Il importe donc peu que ce régime spécial soit largement déficitaire : « Le vote de la loi de financement 2010 le montre : ces champions de la revendication ont "négocié une rallonge" pour garantir le niveau de leurs retraites », souligne le bulletin de Sauvegarde Retraites. « Grâce à quoi, la subvention d'État est passée de 4,57 millions d'euros en 2008 à 6,26 millions en 2010. Ainsi, pendant qu'ils baissent nos retraites, les syndicalistes garantissent les leurs.»
On croise en effet au CESE, où toutes les organisations professionnelles et les trois principales organisations patronales disposent d'un groupe, de nombreuses personnalités marquantes du petit monde syndical, comme le secrétaire général de la CFTC, Philippe Louis ; celui de la CFE-CGC, Gérard Labrune ; le secrétaire général adjoint de l'UNSA, Jean Grosset... Beaucoup d'autres y sont passées et ont acquis des droits à cette retraite dorée, comme l'actuel secrétaire général de Force Ouvrière, Jean-Claude Mailly, qui en fut membre de 1994 à 1999. Et les spécialistes syndicaux des retraites ne dédaignent pas du tout d'y séjourner eux aussi quelque temps : Jean-Christophe Le Guigou pour la CGT ou Jean-Marie Toulisse pour la CFDT, qui y ont eu leur rond de serviette jusqu'en 2004. Ils y siégeaient encore en 2003, lorsqu'ils représentèrent leurs syndicats lors de la négociation sur la réforme des retraites...
Jean-Pierre Nomen monde & vie. 24 avril 2010