« Je ne vous trahirai pas, je ne vous mentirai pas, je ne vous décevrai pas », promettait le 6 mai 2007 un président français tout fraîchement élu. Depuis, trahisons (sur l'Afghanistan par exemple d'où devait être retiré notre contingent, si malmené), mensonges et déceptions se sont accumulés au point que, selon un sondage publié le 23 août dans Libération, le chef de l'État obtiendrait 24 % des voix lors de la présidentielle de 2012. À peine plus que le socialiste François Hollande (21 %), le centriste François Bayrou (18 %) et la Verte Eva Joly (16 %), très loin derrière Martine Aubry (31 %) et surtout Dominique Strauss-Kahn (44 %), personnage d'ailleurs aussi ambigu et corrompu que le sortant.
Certes, il ne s'agit là que d'un sondage pour une échéance encore lointaine, mais la chute persistante de la popularité présidentielle a aiguisé les dents des rivaux de l'Élyséen dans le camp majoritaire, et notamment des trois anciens Premiers ministres de Jacques Chirac.
Pour se dépêtrer de la vénéneuse affaire Bettencourt-Woerth (voir EdP d'août-septembre) et affronter le mieux possible début septembre la difficile réforme des retraites - tâche d'autant plus ardue que le combat devait être mené par un Eric Woerth plombé par ses casseroles financières -, Nicolas Sarkozy avait très classiquement décidé de s'agiter sur le terrain sécuritaire. En pillant une nouvelle fois, sans avoir bien sûr l'intention de l'appliquer, le programme du Front national, notamment sur la dénaturalisation des voyous avérés. De plus, comme il eût été incongru à l'approche puis pendant la durée du ramadan de manifester la moindre hostilité aux musulmans, il avait concentré son offensive sur une autre communauté également mal vue, celle des Roms. En oubliant, comme le lui a aussitôt rappelé Bruno Gollnisch, que « c'est lui qui, en promouvant le traité de Lisbonne, a ouvert les frontières à tous les ressortissants venant d'Europe Centrale », si bien que « les millions de Roms originaires de Roumanie, Hongrie, Tchéquie, Slovaquie, Slovénie, ont, comme les autres citoyens de ces pays, acquis en vertu de ces traités le droit d'entrer en France sans visa et sans autorisation, tout comme les Belges, les Italiens, etc. Et ce que nous voyons n'est que le début de cette transhumance. »
Transhumance encouragée par toutes les belles âmes pullulant dans les nomenklaturas politique, ecclésiastique ou médiatique. Le 18 août, Alain Juppé assurait ainsi que « parfois le gouvernement dérape » de manière « complètement absurde » en ce qui concerne la sécurité. Prenant le relais le 24 août, Jean-Pierre Raffarin dénonçait la « dérive droitière » du parti présidentiel et pressait le Premier ministre de rappeler â la majorité qu'elle « doit avancer avec son cerveau droit mais aussi son cerveau gauche », Et Dominique de Villepin se distinguait bien sûr dans l'outrance en s'indignant dans Le Monde du même 24 août de la « tache de honte » laissée selon lui sur le drapeau tricolore par la politique sécuritaire de Nicolas Sarkozy, notamment à l'encontre des Roms, de la « faute morale collective commise en notre nom à tous, contre la République et contre la France ». Et l'hagiographe de Napoléon de préciser sans crainte du ridicule le « devoir à remplir pour tous les républicains de France, face à l'hydre qu'un président et ses courtisans voudraient réveiller au fond de chacun de nous... Un devoir de refus. Un devoir de rassemblement (...) pour préparer l'alternative républicaine qui s'impose » (autour de lui, cela va de soi) afin de réagir contre « l'indignité nationale ».
Tout ce qui est exagéré étant insignifiant, on doute que cette diatribe nuise beaucoup au successeur de Chirac auprès de son « cœur de cible » électoral, bien au contraire. Le fait même qu'elle ait pu être prononcée par un encarté de l'UMP témoigne néanmoins de la fragilisation de Sarkozy, qui comptait beaucoup sur le sommet financier qu'il avait convoqué fin août â Brégançon pour se "représidentialiser", Mais l'annonce de la suppression dès cet automne de "niches" fiscales et surtout sociales (aides au logement, à la personne, etc.) à concurrence de 10 milliards d'euros a été ressentie comme une douche froide par beaucoup d'entreprises mais aussi de foyers des classes moyennes, de même que la révision à la baisse de la croissance dont le taux atteindra au mieux 2 % en 2011, un demi-point de moins que ce que faisait miroiter le gouvernement depuis des mois. Si l'on ajoute â cela la disparition de près de 300 000 emplois en 2009, l'activisme des syndicats revigorés par le relèvement de l'âge de la retraite, le marasme s'aggravant dans l'agriculture... et une criminalité en hausse malgré les postures et les déclarations martiales, la reconduction de l'Elyséen n'est nullement acquise.
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Nicolas peut toutefois se consoler en songeant qu'à l'approche des élections de mi-mandat, le 2 novembre, l'horizon est tout aussi sombre pour « son copain » Barack, lui aussi embourbé dans une crise économique dont beaucoup redoutent l'aggravation. En moins d'une semaine, à la mi-août, quatre nouvelles banques régionales ont fait faillite aux États-Unis, y compris la ShoreBank de Chicago, fief du couple Obama et, en raison de la récession et donc de la baisse des rentrées fiscales alors que le chômage en constante augmentation accroît l'ampleur des dépenses publiques, les 50 États fédérés font face â un déficit budgétaire cumulé de près de 120 milliards de dollars malgré un dégraissage sévère de la fonction publique - 250 000 postes supprimés ... et autant de mécontents.
Autre sujet de préoccupation pour celui que les media présentaient en 2008 comme un "messie", les doutes exprimés par un nombre croissant de ses compatriotes sur sa personnalité, son origine raciale et géographique, sa religion réelle, son cursus scolaire et universitaire. Doutes que la Maison-Blanche est incapable de dissiper, faute depuis deux ans maintenant d'avoir produit les documents permettant d'apporter la lumière nécessaire.
Or, l'échéance du 2 novembre est cruciale puisque seront alors renouvelés un tiers du Sénat, la totalité de la Chambre des Représentants et des milliers d'"offices" dont trente postes de gouverneur. Pour reprendre la main, Barack Husseyn Obama a donc misé sur la politique étrangère.
Le 1er septembre, il saluait ainsi « un moment historique » : celui du départ d'Irak, comme il s'y était engagé quand il était candidat, des dernières forces combattantes américaines... dont une bonne partie simplement repliée au Koweït voisin. D'où il leur sera facile de revenir pour renforcer les 50 000 GIs encore stationnés en Irak où, comme l'a reconnu Philip Crawley, porte-parole du département d'État, s'accélère le recrutement des mercenaires ou "contractors" étrangers déjà si nombreux dans un pays qui ressent durement la présence de ces incontrôlables armées privées. Surtout depuis la récente relaxe par la justice américaine de gardes de la firme Blackwater Worldwide, accusés d'avoir abattu 14 civils bagdadis en 2007.
Ce "retrait" après une guerre aussi coûteuse (mille milliards de dollars, près de 5000 GIs et près d'un million d'Irakiens tués) qu'absurde, puisqu'elle n'aura apporté que massacres ethnico-religieux et chaos politique, est donc en trompe-l'œil. Tout comme l'autre gros "coup" diplomatique d'Obama convoquant début septembre Israéliens et Palestiniens à Washington pour y relancer un processus de paix moribond depuis la reprise des implantations juives en Cisjordanie et la meurtrière opération Plomb durci contre Gaza. Offensive dont le généralissime, Yoav Galant, vient justement d'être promu chef d'état-major de Tsahal, au grand scandale des Palestiniens qui y voient â juste titre une nouvelle provocation israélienne, â laquelle a répondu celle de la branche militaire du Hamas (à l'origine financé par Tel Aviv) abattant quatre colons juifs le matin même du sommet de Washington.
Dans ces conditions et même si la Maison-Blanche parle de « grand espoir » - que feint de partager Benyamin Netanyahou -, les négociations sont très mal parties et l'on voit mal le profit que pourra en tirer Obama. Lequel, pour éviter de perdre la majorité au Congrès, compte d'ailleurs avant tout sur l'appui quasiment inconditionnel aux démocrates du syndicat AFL-ClO qu'il a appelé à la mobilisation, et surtout sur les divisions du camp républicain, éclaté depuis la défaite de la candidature McCain-Palin en 2008 et l'émergence du mouvement des "Tea-Parties".
Si l'équipe Obama limite les dégâts le mois prochain, ce sera donc moins en raison de ses réussites que des faiblesses du camp adverse. Un suprême recours sur lequel avait compté Sarkozy pour assurer sa reconduction, d'où ses coups de pouce successifs â Olivier Besancenot, à Daniel Cohn-Bendit... et à Dominique Strauss-Kahn. Dont la popularité (avant tout médiatique) acquise â la direction du FMI lui revient aujourd'hui comme un boomerang.
Camille GALIC. Écrits de Paris octobre 2010