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« A vouloir se faire, l'Europe se défait. »

« Qu'est-il possible, alors ? »

« Ce qui serait possible, c'est le développement des souverainetés nationales et leur entente par mise en évidence de leur intérêt commun sur un très petit nombre de thèmes. Par exemple, leur sécurité intérieure et extérieure, mais qui n'irait pas jusqu'à supposer une défense commune...

« Vous ne sauvez même pas le projet de défense européenne? »

« Bien sûr que non. Soyons réalistes. Le mot « défense » suppose d'abord qu'il y ait un adversaire contre lequel on se défend. Pour l'instant, personne ne sait où il est. Deuxièmement, il faudrait que cet adversaire soit reconnu communément par un ensemble de peuples qui se croient menacés par lui. Je vois mal comment un adversaire pourrait aujourd'hui menacer simultanément le Portugal, la Suède, la Grèce, l'Irlande. Ce n'est pas imaginable. Troisièmement, je ne vois pas pourquoi des peuples aussi différents que les Anglais, les Portugais ou les Italiens trouveraient des raisons communes pour envoyer leurs militaires se faire tuer là ou les intérêts français seraient menacés. Ce n'est pas tenable.
La seule chose qui est immuable sur cette terre, c'est le temps. Tout peut être modifié sauf le passage du temps. On ne peut pas revenir en arrière. C'est un mystère peut-être, mais c'est comme ça. Or la création politique dont nous rêvons suppose la suppression du passage du temps, donc quelque chose
d'inhumain, de suprahumain, d'étranger. »

« C'est donc voué à l'échec? »

« A l'échec ou pour le moins à la sortie de l'Europe hors de l'histoire. L'Europe n'aura plus d'autre solution que de se mettre dans la mouvance américaine, ou bien dans la mouvance du tiers-monde, mais elle ne le fera pas parce qu'elle appartient au camp des riches. Du fait de son association avec le clan des riches, elle aura à subir la vengeance des 4 milliards de sacrifiés actuels, alors que traditionnellement, de par son histoire, rien ne la désignait à un tel destin. »

« Voulez-vous dire que l'Europe faussement unie sera incapable de faire face à l'immigration et à la pauvreté, qu'elle ne pourra endiguer la fracture économique entre les nantis conduits par les États-Unis et les déshérités de la planète? »

« Effectivement. L'Europe unie est un mythe. La fracture, la fissure s'accroît entre le monde nanti et environ 4 milliards d'êtres humains installés dans la zone Asie Pacifique pour la plupart (la Chine, l'Inde, le Pakistan, l'Indonésie, la presqu'île du Sud-Est asiatique), notamment par les différences de niveau de vie, elles-mêmes conséquences de la « marchandisation » du monde dont les États-Unis sont le fer de lance.

Avant la dislocation de l'URSS, l'humanité vivait avec deux perspectives: celle de l'économie de marché à l'américaine, avec son brio, ses succès mais ses difficultés aussi, et la perspective socialiste, marxiste-léniniste. Les peuples avaient le choix entre une perspective ou une autre, mais les plus miséreux pouvaient patienter en ayant l'espoir de pouvoir, un jour, s'associer soit à l'une soit à l'autre de ces deux options. La destruction de l'Union soviétique, la disparition de l'espérance marxiste-léniniste ne laisse plus comme seule hypothèse que celle de l'économie de marché et de l'économie libérale. Aussitôt, le monde a commencé à regarder cette économie libérale et à la scruter avec un intérêt redoublé parce qu'elle était devenue son seul avenir, en essayant de distinguer ce qu'elle a de bien et ce qu'elle a de mal. Les réalisations de l'économie de marché sont certaines, évidentes, mais la fracture socio-économique s'est considérablement agrandie depuis trente ans, depuis qu'il n'y a plus compétition entre les deux systèmes, depuis que celui qui l'a emporté peut agir avec plus de liberté, plus d'arrogance, plus de fermeté et pousser son système à bout sans avoir à redouter la compétition d'un autre système. Le résultat se résume par quelques chiffres : environ 1,2 à 1,3 milliard d'individus vivent actuellement dans le monde avec moins d'un dollar à dépenser par jour.

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Il y a quarante ans environ, les 20% des plus riches dans le monde avaient un revenu 30 fois supérieur à celui des 20% les plus pauvres. Aujourd'hui, l'écart n'est plus de 30 mais de 85. Les plus riches sont 85 fois plus riches que les plus pauvres. Le fossé s'est multiplié par trois. Au regard de ce bilan, on est en droit de se poser la question de savoir si le système ne bénéficie qu'à une minorité en laissant les autres dans la misère. Cette minorité étant justement celle dont nous parlions précédemment, c'est-à-dire celle qui, en se référant aux lois de la nature, s'estime être la plus forte, la plus intelligente, la plus habile, la plus travailleuse au détriment de l'autre qui se trouve délibérément marginalisée. Comme les dons humains sont inégalement répartis, cette sélection s'opère d'une manière de plus en plus étroite, sur une pointe de plus en plus aiguë alors que la base, misérable, s'accroît. Autres chiffres: actuellement, à peu près un habitant sur trois de la planète n'a pratiquement pas accès à l'énergie. Les pays les plus riches consomment environ 25 fois plus d'énergie que les pays les plus pauvres, et les pays les plus riches comptent à peu près 1 à 1,2 milliard d'habitant sur les 6 milliards de la planète.

L'énergie étant un facteur de développement, les 4,5 milliards restant commencent à se rendre compte qu'ils son condamnés à la médiocrité, sinon à la misère.

Le phénomène qui semble nouveau, c'est qu'on commence à scruter avec avidité le développement de l'économie de marché et à élever des critiques contre ce qu'elle entraîne: on conteste le privilège d'une minorité - les gens que la nature aurait favorisés - et on souligne les appétits de tous les autres de plus en plus nombreux. Car, en plus, il faut tenir compte de l'accroissement de la population, du fait qu'on va passer de 5 à 6 milliards à 7,5 milliards dans vingt ans. Ce milliard et demi de plus, à 90%, appartiendra à la partie pauvre. Le nombre de « revendicateurs » sera de plus en plus grand et la minorité de plus en plus étroite, et, donc, les conditions d'existence seront de plus en plus difficiles.

C'est pourquoi si l'Europe veut équilibrer cette fuite en avant, elle ne peut le faire qu'en tenant compte de son histoire, et non en s'alignant sur le modèle américain qui, à tout prendre, est trop élitiste, marginalisant trop d'êtres humains. »

« Comment expliquez-vous que le ministre des Affaires étrangères, Hubert Védrine, affirme que la France dispose de plusieurs atouts pour affermir sa position dans le monde, le conseil de sécurité de l'Onu, la force de dissuasion, ses alliances, l'appartenance au G8, l'influence diplomatique, la force économique et la vitalité de ses entreprises ? Comment expliquez-vous cette réponse ? »

« La réalité est tout autre. Hubert Védrine est membre du gouvernement et il a été le conseiller de François Mitterrand pendant des années. Il est au courant de tout ce qui s'est fait en France, mais les résultats sont décevants. Dans le domaine de la dissuasion nucléaire, il oublie que nous avons parié sur la « simulation » (alors que les États-Unis ne lui font pas confiance et entendent poursuivre leurs expérimentations atomiques) et commis l'irrémédiable.
Nous avons détruit notre centre d'essai du Pacifique et dispersé ses équipes de scientifiques; nous avons fermé Pierrelatte, centre de fabrication d'uranium enrichi; nous avons fermé Marcoule; nous venons de renoncer à Super-Phénix; nous avons fermé l'un des arsenaux fabriquant des sous-marins nucléaires.
Maintenant nous ne sommes plus capables de fabriquer qu'un sous-marin nucléaire tous les dix ans à peu près, nous avons une force de dissuasion réduite au minimum. Nous avons abandonné le plateau d'Albion qui était notre seule possibilité d'installer des missiles capables en trente minutes de dissuader, demain, les missiles chinois, par exemple. Toute l'Europe est donc devenue ouverte aux futures menaces dont les Américains se protègent le plus.
On l'a vu récemment lorsqu'il s'est agi du bouclier spatial du président Bush, invoquant notre propre protection nous nous mettrons sous la coupe américaine.

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Comme nous l'avons déjà fait pendant la guerre du Golfe en menant une guerre où nous avions tout à perdre et rien à gagner et comme nous l'avons fait en acceptant la destruction des Balkans à quoi nous n'avions absolument rien à gagner non plus. »

« La politique de défense européenne est donc un leurre? »

« Oui. Elle est un leurre parce que, pour qu'il y ait une politique de défense européenne, il faudrait d'abord qu'il y ait une politique européenne, une stratégie européenne, un gouvernement européen, un état-major européen. Tout cela n'existe pas.
Ensuite, cette politique, si elle veut être effective ne peut avoir que des visées universelles, comme la politique américaine. Depuis un siècle l'Amérique combat sur des lignes extérieures. Elle combat au-delà des océans. Elle a combattu en Indochine, elle a combattu en Europe. Elle a un concept d'emploi des forces à distance. Nous, nous avons combattu sur ce qu'on appelle, dans notre métier, des lignes intérieures, c'est-à-dire que nous combattons sur 300 ou 400 kilomètres, eux, sur 4 000. Pendant un siècle, leur mentalité, leurs armements, leurs études ont été orientées vers la projection de la force à distance. Parce qu'ils ont craint la Russie, ils ont dépensé des milliards pour créer l'instrument d'intervention à distance qu'ils possèdent aujourd'hui, ce que  l'Europe n'a pas fait. Nous sommes à un quart de siècle d'écart, au moins, Par rapport à eux. »

« Mais alors quels sont aujourd'hui les atouts de l'armée française? C'est une armée fantoche ? »

« Une guerre intereuropéenne paraît monstrueuse, et envisager la force à distance comme le voulait Léotard dans sa programmation de 1994, en projetant des dizaines de milliers d'hommes jusqu'à des milliers de kilomètres de distance, est une ambition démesurée. Pour cela, il faut des cargos aériens et maritimes dont nous ne disposons pas.
Au moment où il formulait ce projet, la France était riche de 22 avions « Transall ».

Or, il faut des cargos maritimes - que les Américains appellent des
RO-RO (roll in roll out) - pour l'embarquement et le débarquement, il faut aussi des bateaux rapides qui emportent des milliers de tonnes de ravitaillement, il faut des avions de protection du point où l'on débarque, donc avec un long rayon d'action, il faut des batteries d'engins balistiques mobiles de manière que l'adversaire ne commence pas à vous détruire balistiquement à l'endroit où vous débarquez. Nous avions des engins balistiques modernes, c'était l'Hadès, on l'a arrêté. »

 

« Et le porte-avions, le Charles-de-Gaulle? »

« Le « Charles-de-Gaulle » fait hélas partie des fiascos de la Ve République à côté du sang contaminé, de l'alimentation carnée des herbivores, de l'hépatite B, de l'hôpital Pompidou... Ils sont nombreux et tous ont pour origine l'inadéquation entre l'ambition et les moyens. Il aurait fallu ne pas lancer la construction d'un porte-avions sans s'être assuré d'avoir assez de moyens pour le construire dans un délai normal. Comme sa construction s'est étalée sur quatorze ans, bien évidemment, les ingénieurs qui ont eu la possibilité d'être embauchés ailleurs sont partis. »

« L'autre phénomène du même genre, c'est le Rafale. »

« Bien immérité est cet autre fiasco, assez exemplaire. En voilà l'histoire. Au départ, il s'agit d'une réalité technique incomprise. Depuis 1960, date à partir de laquelle on vole à deux fois la vitesse du son, soit à Mach 2, on se heurte au mur de la chaleur. Non plus au mur du son que l'on franchit, mais au mur de la chaleur que l'on ne franchit pas, parce que les métaux de revêtement des avions résistent mal à la chaleur. Tous les avions au monde piétinent devant le mur de la chaleur. Ils font tous Mach 2, Mach 2.2, Mach 2.3, Mach 2.4, etc. Or pourquoi auparavant un avion se démodait-il?
C'était à cause de la vitesse. Il y a cinquante ans on gagnait 20 ou 30 kilomètres par an. Au début de la guerre de 1939-1945, les chasseurs volaient à 450 kilomètres à l'heure, ils étaient démodés par rapport à un avion qui atteignait 600 kilomètres à l'heure, et puis 700... Quand on est arrivé à 1 200 kilomètres à l'heure, la vitesse du son, on a piétiné un petit peu, puis on a franchi le mur du son. (Dans l'air aux températures habituelles, elle vaut environ 340 m.s ou 1 224 km/h. Cette vitesse varie cependant en fonction de l'altitude et de la température.)

On est arrivé à 2000, 2400 kilomètres l'heure. Là, c'est l'arrêt. La conséquence, c'est que les avions ne se démodent plus : leur cellule n'a plus qu’à être transformée puisqu'elle se heurtera de toute façon au mur de la chaleur.

Autrement dit, le même avion demeure opérationnel, aux équipements électroniques près qui peuvent être adaptés pendant quarante à cinquante ans.

Par exemple, le premier Mirage III qui a volé en novembre 1956 est encore perfectionné et en service, soit plus de quarante ans après. Il faut généralement, à un bureau d'études, cinq ans pour mettre au point un nouvel avion: cinq ans pour étudier le prototype et le construire, puis pour construire l'outillage et démarrer la construction en série. Pour alimenter les bureaux d'études, il faudrait lancer un avion tous les cinq ou dix ans. Mais une telle cadence est devenue inutile. En revanche, si on lance un nouvel avion tous les quarante ans, alors le bureau d'études meurt. »

« Comment peut-on sortir de ce dilemme ? L'industrie aéronautique est florissante ? »

« Ce dilemme s'est manifesté dans les années soixante-dix. C'est ainsi qu'en décembre 1976 Marcel Dassault s'est rendu auprès de Valéry Giscard d'Estaing. Marcel Dassault lui apportait deux projets d'avions: un bimoteur destiné aux grandes distances et un autre avion dérivé de la famille des « Mirage III » que Dassault avait appelé le Mirage 2000 et qui était un avion en delta certes perfectionné, mais dérivé du Mirage ordinaire. Voilà ce qu'il proposait à Giscard d'Estaing: si vous financez le bimoteur, sur mes petites économies, je financerai le mono. Mais Valéry Giscard d'Estaing qui n'était pas auvergnat pour rien lui a proposé l'inverse: le financement par l'État du monoréacteur, lui laissant le financement du biréacteur. Dassault s'est incliné mais en sortant de l'Élysée il savait que le Mirage 4000 ne pourrait être mené à bien parce qu'il n'avait pas les moyens de développer cet avion: c'est-à-dire de l'étudier, de construire le prototype, de l'essayer et d'élaborer l'outillage correspondant. On avait encore un espoir, c'est que l'Irak l'achète, mais on tombait en pleine guerre lrak-Iran.

Donc le Mirage 4000 a été abandonné et l'on s'est tourné vers le Mirage 2000. C'était donc en décembre 1976. On se met au travail, cinq années s'écoulent, l'avion prend forme. A ce moment-là, arrivent au pouvoir François Mitterrand et, au ministère de la Défense, Charles Hernu, qui a voulu attacher son nom à un avion nouveau. Il a donc décidé de lancer un nouvel avion dont il a voulu qu'il soit européen. Nous avons commencé à prendre contact avec les Allemands, les Anglais, les Espagnols, les Italiens...

Les Allemands et les Anglais ont donné leur accord à condition que cet avion soit construit autour d'un moteur qu'ils avaient financé et qui est monté sur les avions « Tornado ».

Mais dans ces conditions, c'était la mort de la Snecma qui, justement pour ce nouvel avion, avait passé licence d'un moteur américain. »

« L'accord ne s'est pas conclu. Le Rafale est un avion français. »

« Oui et nous pouvons en être fiers parce que c'est une réussite remarquable. Mais là intervient la nouvelle donne: tout remarquable soit-il, il y a très peu de commandes. Comme l'argent était rare et que l'on entretenait déjà le 2000 lancé cinq ans plus tôt, et que la coopération avec les Anglais et les Allemands avait échoué, la fabrication du Rafale s'est faite à la petite semaine. Cet avion, qui a été voulu en 1983, entrera en service en 2004 ou 2005, c'est-à-dire un quart de siècle après sa conception.
C'est d'autant plus absurde que les Allemands et les Anglais se sont empressés d'adjoindre à leur projet les Italiens et les Espagnols, si bien qu'aujourd'hui près de 400 de leur avion leur ont été commandés, alors que nous n'avons reçu commande que d'une quarantaine du nôtre.

Or, comme pour tout objet de série, le prix d'un avion diminue avec le nombre. Les 30 premiers coûtent trois fois plus chers que le 300e. Les Allemands et les Anglais ont déjà dépassé la barre du 300e alors que nous nous trouvons avec un avion beaucoup trop cher et, donc, inexportable.
Pour parachever le tout, le gouvernement actuel a pratiquement cédé la société Aérospatiale aux Allemands pour former la société EADS qui naturellement va promouvoir l'avion germano-anglais.
Ainsi, une firme française va promouvoir la vente d'un avion rival.
Voilà une série d'erreurs dont le contribuable fait les frais car on a dépensé des milliards pour ce Rafale et la France perd un de ses joyaux avec l'un des meilleurs bureaux d'études d'avions de combat. Domaine où elle a excellé. »

« Et le service militaire ? »

« Encore un exemple d'une politique militaire française discutable. Pendant toute la période de la guerre froide, au moment où nous avions à faire face à 230 divisions russes, ainsi qu'à des dizaines de milliers d'avions et à 54 000 chars d'assaut, que nous ayons en France une armée classique ou non ne servait pas à grand chose. Notre apport à l'alliance Atlantique, 300 ou 400 chars d'assaut, était modeste. A cette époque, nous aurions pu faire l'impasse sur le service militaire avec seulement une petite armée hautement spécialisée mettant en œuvre une force nucléaire qui, elle seule, avait un véritable pouvoir égalisateur et permettait d'écarter toute tentative d'agression soviétique. Nous ne l'avons pas fait. Au contraire, nous avons consacré, pendant quarante ans, 80% des dépenses militaires à des forces classiques.
Aujourd'hui que la puissance soviétique a disparu- nous considérons qu'elle a disparu puisque nous avons stoppé tout effort nucléaire -, nous supprimons le service militaire, oubliant qu'il avait deux avantages.

Le premier est son rôle égalitaire. Puisque nous sommes un pays que nous voulons multiethnique et  multiconfessionnel, un pays devant se préparer à des chocs de civilisations, le service militaire aurait pu être pendant douze ou dix-huit mois un creuset permettant de donner aux nouveaux venus l'assurance d'être traités en égaux avec les  citoyens français, en créant la possibilité d'un  travail en équipe quelle que soit leur origine. Et puis, il remédierait à l'individualisme congénital des Français en leur apprenant à travailler en commun et en complétant leur formation de citoyens. »

« Il ne reste plus que le football? »

« Reste effectivement le football mais pour bien peu de joueurs. L'autre avantage du service militaire était de permettre d'avoir des effectifs suffisamment importants pour quadriller le territoire et maintenir cet ordre qu'implique la multiethnicité dont je parlais tout à l'heure, par une simple politique de présence que l'on demande maintenant à la police.
Au fond, on demande à la police de reconstituer une armée parallèle intérieure. Les propos d'Hubert Védrine correspondent à ce qu'il aurait aimé que fût la situation, mais non à ce qu'elle est. »

« Il n'y a donc pas d'autres manières, selon vous, de faire l'histoire et de s'accomplir dans le temps en dehors de ce trépied que constituent la souveraineté, la puissance et l'indépendance? »

« Tout est lié. L'indépendance d'un État lui permet de mener sa politique financière, sa politique économique, sa politique militaire, sa diplomatie, sa politique sociale. Dès que vous touchez à l'un de ces facteurs, vous mettez tout le système par terre.
Avec l'euro, la France est entrée dans un carcan financier qui avantage certainement les grosses entreprises qui n'ont plus de problèmes de change, mais en contrepartie elle ne peut plus jouer sur la dévaluation de sa  monnaie pour remédier au problèmes de productivité.
En conséquence, si par un miracle quelconque la productivité d'un pays concurrent devenait plus grande, elle serait obligée de baisser les salaires, pour compenser la difficulté de productivité. Cela peut créer des problèmes sociaux, car les répercussions seront bien évidemment sociales. Il est incohérent par exemple d'imposer les trente-cinq heures et en même temps de vouloir un régime libéral.

Si vous êtes libéral à l'américaine, alors vous défendez la liberté du travail, « que le plus fort l'emporte, que le plus faible soit marginalisé », avec une compensation morale consistant à dire que l'enrichissement des plus riches  aidera les plus pauvres à sortir de leurs difficultés s'ils le peuvent. Nous prétendons, à la suite de Maastricht, adopter ces mêmes méthodes du libéralisme tout en mettant un frein sur le travail, ce qui n'est pas très cohérent. Notre idéal devrait être l'égalité des chances. Or le système libéral actuel est
inégalitaire. Nous n'avons pas vécu deux siècles de luttes sociales pour, maintenant, nous rallier à l'ultralibéralisme.
Entre le système américain, inégalitaire, et le système soviétique, irréalisable, l'Europe avait trouvé le juste chemin. Or voici qu'on est sur le point de l'abandonner. »

http://www.lesmanantsduroi.com

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