J’ai longtemps été très dubitatif vis-à-vis de « La Manif pour tous ». La panoplie festiviste rose bonbon, la reprise – fût-elle détournée – des impostures sémantiques du gouvernement (le « mariage pour tous » n’est ni plus ni moins qu’une offre d’enfants à la demande), et la présence d’élus UMP dans ses rangs me rendaient plus que sceptique.
À la lecture du reportage de Manuel Moreau, je me suis dit que notre ex-cégétiste charriait un peu en imaginant convertir à la charte d’Amiens les foules sentimentales droitières. Mais l’agacement progressiste du bourgeois parisien de la rive gauche me réjouissait et, hormis quelques boutefeux, ces jeunes empêcheurs de déconstruire le cadre anthropologique de la famille m’étaient spontanément sympathiques. Au fond, je leur reprochais surtout leur complaisance face au masque conservateur de la droite parlementaire, qui fait les yeux de Chimène au divin marché tout en s’offusquant de ses ravages sociétaux. Me revenait ainsi une sentence définitive du grand Nicolas Berdiaev contre la posture libérale-conservatrice : « Il n’existe rien de plus lamentable que d’utiliser le christianisme pour la défense du monde bourgeois et capitaliste mourant ».
Dans ma grande magnanimité, je me décidai toutefois à juger la manif sur pièces. Mercredi soir, aux abords des Invalides, le monde renversé se dressait devant nous. Un monde où l’ancien ministre des comptes publics fraude le fisc, où les « socialistes » au pouvoir individualisent contrats de travail et de mariage. Un monde où les rappels à l’ordre se parent des oripeaux de la liberté et où la « lutte contre l’homophobie » justifie toutes les répressions policières. [...]
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