Après la Grèce, l'Irlande, le Portugal et l'Espagne, c'est au tour de Chypre d'être menacée par la faillite... et par les plans de « sauvetage » concoctés par l'Union européenne et le FMI.
Chypre, maillon faible. Chypre, nouvel homme malade de l'Europe. À Bruxelles et dans certaines capitales européennes, on n'en démord pas : l'île partagée entre les frères ennemis grec et turc est un paradis fiscal, champion du blanchiment, une lessiveuse pour faire court, et son économie n'est plus viable.
Pour être péremptoire, l’affirmation semble cependant loin d'être justifiée. Ou, du moins, mérite-t-elle d'être nuancée. En effet, si l'on en croit le dernier classement publié par le Basel Institute on Governance en matière de lutte contre le blanchiment, le classement de Chypre serait bien supérieur, en la matière, à celui de... l'Allemagne.
Il convient d'observer, par ailleurs, que Chypre a intégré l'Union européenne en 2004, et la zone euro en 2008. On peut raisonnablement supposer qu'à l'époque, les négociateurs européens n'ignoraient rien des difficultés structurelles économiques de l'île qu'ils dénoncent aujourd'hui.
Mieux ! si l'on peut dire. L'ONU avait alors mis en place un plan, dit plan Kofi Annan, approuvé d'ailleurs par les instances européennes, pour organiser la réunification de l'île avant son entrée dans l'Union européenne.
Comme on le sait, Chypre est cependant toujours divisée, mais cette difficulté n'a pas empêché son intégration dans la grande famille européenne.
La réalité est qu'à l'époque, les difficultés structurelles, qui sont d'abord celles de l'Union européenne avant d'être celles de ses États-membres, n'avaient pas encore atteint le point de rupture que nous connaissons aujourd'hui. Et qu'il convenait de répondre toujours davantage au dogme qui voulait - et qui veut encore... - que plus d'Europe soit un bien pour l'Europe. D'où des élargissements répétitifs où Chypre n'est pas le seul pays à poser problème...
Patatras ! Aujourd'hui, à la limite de l'implosion, on ne peut plus fermer les yeux. Il convient donc de mettre à l'amende, sous le fallacieux prétexte de pouvoir ainsi les aider, les pays en difficultés, au motif qu'ils grèvent l'Union européenne qui leur apporte ses bienfaits. Nous ne grossissons pas le trait: regardez donc l'exemple de la Grèce.
À Chypre cependant, l'Union européenne, en partenariat intensif avec le FMI, est passée au niveau supérieur, pour contrôler plus sûrement le système bancaire. Au motif que la dette chypriote atteint un niveau qu'on n'entend aucunement couvrir de part et d'autre de l'Atlantique, nos deux larrons, U.E. et FMI, se sont mis d'accord pour ne couvrir qu'une partie des 17 milliards nécessaires à Nicosie. Le complément (quelque 7 milliards) devant être obtenu par le prélèvement d'une taxe sur les dépôts bancaires, soit 6,75 % sur tous les dépôts bancaires en deçà de 100000 euros, et 9,9 % au-delà de ce seuil. La proposition se doublait, en outre, d'une hausse de l'impôt sur les sociétés.
Le plan B n'est qu'un toilettage du plan A
On imagine sans peine la colère qui a submergé Chypriotes et résidents étrangers - et notamment russes, dont les avoirs à Chypre sont particulièrement importants. Partagé entre psychologie locale et pression européenne, le président Nicos Anastasiades s'est en outre risqué à évoquer une option « la moins douloureuse », face au risque d'une cessation de paiement.
La réaction ne s'est guère fait attendre face à cette légalisation d'un racket européen. À l'appel de son président, Yiannakis Omirou, le parlement chypriote a voté contre le « chantage », forçant ses dirigeants à proposer un plan B à Bruxelles. Ce que le président pince-sans-rire de l'Eurogroupe, Jeroen Dijsselbloem, appelle laisser « une certaine liberté » à Chypre...
Pendant quelques heures, quelques jours, les Chypriotes ont pu croire au miracle. « Chypre appartient à son peuple », hurlait la foule. Un optimisme rapidement douché par Bruxelles, qui indiquait la direction à prendre : « Présenter un plan B crédible et viable pour remplacer le plan de sauvetage rejeté par le Parlement, instaurer un blocage, sur une longue période, des capitaux placés dans les banques et préparer la fusion entre les deux principales banques en difficulté. »
En définitive, le plan B, comme il était imaginable, n'était qu'un toilettage. Certes, les plus petits dépôts seraient épargnés par la taxe, mais, en attendant, les comptes étaient bloqués. Et les banques resteraient fermées aussi longtemps qu'il le faudrait.
Face à ce qu'il faut bien appeler un blocus, l'accord n'a pas tardé. À des conditions - il suffit de les relire... - qui sont forcément désavantageuses pour Chypre, et dont on a du mal à penser qu'elles puissent favoriser un retour de son économie.
L'important étant bien sûr, mais on ne l'a dit qu'en petit comité, que cette mini-crise chypriote soit une sorte de laboratoire d'où sortira la fameuse union bancaire, dont José Manuel Barroso, le président de la Commission européenne, regrette que l'arrivée soit retardée par ce genre d'incidents. Union bancaire à partir de laquelle, promis, juré, la croissance renaîtra...
Par magie, sans doute ?
Quoi qu'il en soit, Haris Georgiades, le nouveau ministre chypriote des Finances -l’ancien a servi de bouc émissaire - a assuré que son pays appliquerait « entièrement » toutes les mesures prévues par le plan de sauvetage européen.
Est-ce une solution ? Le chef de l’Église orthodoxe locale, Mgr Chrysostomos, n'en est pas sûr. S'il dénonce le « péché » qui a consisté à vivre au-dessus de ses moyens, il estime aussi qu'à terme, l'euro n'est pas viable, et qu'il convient d'en sortir : « Avec de tels comportements, l'euro ne peut pas tenir, je ne dis pas qu'il va s'effondrer demain, mais avec les cerveaux qu'ils ont à Bruxelles, il est certain qu'à long terme il ne tiendra pas, et le mieux est de réfléchir au moyen d'y échapper. »
En attendant, Aphrodite boude son île...
Olivier Figueras monde & vie 9 avril 2013