Comme souvent dans les périodes politiques "troublées" on peut toucher du doigt certains éléments qui restent habituellement dans l’ombre et qui permettent de saisir ce qu’on ne retient jamais. Les affaires judiciaires des politiques nous offrent un témoignage majeur du fonctionnement de la machine politique française. Elles permettent également de s’interroger sur la réception par les citoyens et les médias de celles ci.
I- Les hommes et femmes politiques ont une propension inquiétante à se trouver confrontés à la justice.
Chaque nouvelle affaire semble être une découverte, un "choc". Rappelons qu’un choc, dans son sens figuré renvoie à l’idée de l’affliction stupéfaite provoquée par l’atteinte à une norme, une valeur, un objet, un corps, une institution... Ainsi le choc politique résulte de la stupéfaction provoquée par l’atteinte à l’institution publique de l’État, du parti, au gouvernement. Est-ce de surprise dont on peut parler quand plus d’une centaine d’hommes et femmes politiques ont été poursuivis et condamnés par la justice ? Je ne le pense pas. Chaque semaine apporte son nouveau lot : Guérini, Woerth, Chirac, Cahuzac, Lamblin etc...
Avant de nous attacher à tenter d’expliquer certaines causes et de pointer certains dysfonctionnements, on peut déjà s’étonner que les médias ne s’interrogent pas sur cette lame de fond que constitue la judiciarisation constante de la vie politique française. Il ne se passe plus un mois sans que plusieurs affaires surgissent comme autant de piqures de moustiques sur une personne déjà bien amochée.
Après recoupement de plusieurs listes recensant les condamnations des dirigeants politiques et vérification j’arrive à environ 300 condamnations ou mises en examen (plus quelques situations litigieuses (les motards de Morano qui renversent le piéton...)), toutes tendances confondues et tous postes confondus sur une période qui comprends en gros les 15 dernières années. Il en manque sans doute, on ne va pas chercher le maire de village... La nature des infractions est assez révélatrice, selon moi, des mœurs des politiques (il faudrait évidemment élargir cela) On trouve pêle-mêle 2 catégories : Les excusables sur le plan du rapport à la vie publique // Les inexcusables.
* Les excusables : (ceci est une classification subjective, on peut librement considérer que le casier d’un homme politique doit être vierge)
- Certaines condamnations dans le cadre de marchés publics : pour avoir travaillé moi même sur la question, il est très aisé de se faire condamner en tant que responsable d’une collectivité pour de tels délits. Il faut évidemment distinguer les cas selon les circonstances (marchés truqués et corruption, de même que "favorisme" ont en droit une signification bien plus forte que "l’atteinte à l’égalité entre les candidats" (selon l’intention)).
- Les mises en examen pour diffamation non suivies de condamnation : La joute politique fait parfois aller trop loin, néanmoins si la diffamation n’est pas reconnue on peut tout au plus considérer cela comme une méthode abusive.
- Les infractions routières etc...
- Ruptures de contrats (selon les circonstances).
On a une zone grise sur les affaires pendantes selon la gravité du soupçon qui pèse... Mais par définition une mise en examen est nécessairement motivée par de fortes suspicions.
* Les inexcusables : On voit ici poindre ce que j’analyserai ensuite concernant la réalisation de l’ambition personnelle.
Au regard des fonctions exercées il est totalement inexcusable de commettre de tels actes et inadmissible de laisser des personnes en ayant commis exercer la moindre responsabilité que l’argent ou les relations leurs permettent d’obtenir. Il y a une intention malveillante, pleinement coupable, la manifestation d’une perfidie, la révélation d’une perversion du but d’intérêt général qui doit tendre l’action politique.
- La corruption
- Le financement illégal de campagne
- L’abus de confiance
- La prise illégale d’intérêts
- Le détournements de fonds publics
- Le blanchiment
- Le trafic d’influence
- Le recel
- Les manœuvres frauduleuses lors d’élections.
- Faux et usages de faux.
- Subornation de témoins (j’ai bien écrit subornation)
- Emploi dissimulé.
- Discrimination (encore que je mettrais une grosse nuance).
- Association de malfaiteurs
- Les crimes...
Dans n’importe quel emploi, dans toute autre responsabilité on pourrait envisager que la réalisation de telles infractions soient lourdement punies et éloignent la personne en question de l’emploi ou de la responsabilité susvisée. Mais ici non... Il y a une tolérance médiatique derrière les apparences et il y a une résilience de la société civile qui est entretenue par l’exutoire temporaire offert par les médias à chaque affaire. Exutoire qui n’est évidemment pas propice à une réflexion d’ensemble sur les causes, les moteurs de celle ci.
J’identifie 2 causes majeures dans tout ce processus exposé dans la première partie : La puissance des relations pécuniaires et relationnelles et l’ambition personnelle attachée à la conquête de responsabilité. Les 2 se complétent.
II- La combinaison des relations de pouvoir et de l’ambition personnelle : une force motrice et destructrice
Il est important de comprendre ici que le processus d’accession à une responsabilité politique implique un processus d’autocontrôle, d’autodiscipline, de modelage de l’esprit, de redéfinition des objectifs, de stratégies. La concentration des moyens politiques dans le giron des deux principaux partis et les tentatives d’affirmation des autres sont des constantes dans la vie politique de la Veme République.
- Les partis sont structurés en vastes machines, en vaste appareils de conquête du pouvoir, l’objectif est d’être en situation d’être présent en situation dominante dans toutes les sphères de la vie publique, à tous les échelons, dans tous les pôles de décisions et d’influence. Cette bataille nécessite des hommes et des femmes qui ont des convictions, ou plus précisément qui adhèrent suffisamment dans les objectifs de leur mouvement, pour se donner entièrement à la réalisation de ceux ci.
- Néanmoins les partis sont structurés de telle manière qu’il y a également une bataille interne pour accéder aux postes à responsabilité au sein du parti. Peu importe la manière dont celle ci se fait (grimper les échelons, jeunes loups...), elle aboutit toujours à la constitution de réseaux multiformes (soutiens, conseillers spécialisés, relais locaux, alliés...).
- Cette double bataille est mue par l’ambition : ambition partisane de réalisation des objectifs de sa famille politique et ambition personnelle que celle ci soit orientée à son avantage.
- L’ambition est ici entendue comme le désir ardent de réussir quelque chose, mais également d’obtenir une réussite sociale, d’arriver aux sommets. C’est ainsi le moteur (désir) et le moyen (la prétention de) de parvenir aux objectifs de l’invidu.
- Il y a donc une puissance motrice dans cette ambition qui s’autoentretient quand les réseaux se développent. En effet, l’accroissement des moyens humains, financiers, permet à l’ambition comme volonté de toucher son but, et quand elle touche son but, qu’elle se situe en position favorable, elle entretient ses réseaux, elle ne souhaite pas redescendre. C’est un peu cela l’ivresse du pouvoir.
Je lance des hypothèses ici ; Les risques de dérapage apparaissent :
1° quand l’ambition personnelle surpasse l’ambition légitime et partisane d’arriver aux responsabilités pour les exercer avec un minimum de sens commun. La volonté de réussir à titre individuel surpasse l’ambition partisane (ou s’en sert comme prétexte). Il y a donc dilution du reste de sens commun dans l’ambition individuelle qui risque de faire perdre la mesure.
2° quand c’est la volonté de réussite sociale qui prime ou qui reste sous-jacente de manière trop importante. Si elle prime il y aura une tendance à favoriser ses intérêts. Si elle reste trop sous-jacente il y aura des tentations, des volontés de ne pas se soumettre aux exigences déontologiques d’un poste public à responsabilité. Il y a alors la tentation de préserver son train de vie, de faire prévaloir ses intérêts personnels sur le reste. (DSK et Cahuzac sont le parfait exemple je pense, de cette tension, de cette contradiction...).
Le cercle vicieux est là : Les stratégies mobilisent l’ambition dans ses deux composantes, mais les moyens permettant d’atteindre les objectifs visés offrent des possibilités à l’ambition personnelle de prendre le dessus sur l’ambition partisane légitime du processus de conquête du pouvoir.
Se pose alors la question des réactions du corps social (médiatique, politique, citoyen) face à cela.
III- Exutoire efficace ou résilience illimitée ?
* Le traitement médiatique des affaires est en général le suivant :
1° Soupçons (le plus souvent, facultatif (Cf : Sofitel DSK)) : Ex : Médiapart pour l’affaire Cahuzac.
2° Pression médiatique modérée : Cette étape est indispensable pour "homologuer" les documents issus des sources en 1°.
3° Démentis : L’acteur visé est obligé de se positionner sur la question en niant.
4° Pression médiatique plus intense au fur et à mesure que les moyens sont déployés avec plus de zèle pour vérifier les soupçons.
5° L’étau judiciaire se resserre et c’est la mise en examen.
6° Plusieurs possibilités à ce moment : - La confiance en la justice des amis et ennemis s’ils ont trempé dans les mêmes affaires // - L’appel à la présomption d’innocence // - Le déferlement et l’acharnement médiatique // - La récupération politique.
7° La presse parle d’un choc alors qu’elle a fait des sous entendus appuyés depuis longtemps.
8° L’opinion se déchaine et voilà.
Au final, les médias bien qu’ayant préparé l’opinion depuis de longues semaines restent attachés à présenter cela comme un choc, un séisme etc... Dans une optique probablement très "exploitation économique" de l’évènement. Mais de la part d’acteurs privés (ou alignés sur le privé) cela n’est pas surprenant.
* Les acteurs politiques font ce pour quoi ils sont programmés, distordre des situations, des évènements pour réaliser une ambition personnelle ou partisane. Cela fonctionne dans tous les sens possibles. Le but est de résister, de s’affirmer, de se positionner, d’exister etc... Il y a un nivellement général vers le bas. Les grands partis médiatisés entrainant les autres dans la fosse.
* Face à cela quelle est la place du citoyen : L’indignation souvent, la consternation parfois, un sentiment de lassitude sans doute, une impression diffuse de déjà vu, des mêmes discours, des mêmes réactions, des mêmes reportages... Mais surtout, une perte de confiance dans l’autorité publique, dans la parole du politique... Néanmoins cette perte est généralisée, elle porte sur toute la parole publique. Les habitudes, les comportements ne bougent pas, les méthodes de conquête du pouvoir à tous les échelons et à l’intérieur des partis non plus. Il semblerait qu’il y ait une accoutumance à l’indignation périodique au détriment de l’analyse des structures qui sous-tendent ces affaires et ces scandales.
Que peut on faire ? :
Si on doit agir à la source du "mal politique" que l’on évoque ici il y a plusieurs pistes. L’objectif est de maitriser les mécanismes subversifs décrit au dessus. J’en cite quelques unes pour ouvrir le débat :
- La stochocratie : ou suffrage par tirage au sort permet de limiter drastiquement les effets pervers de l’ambition personnelle. Mais reste à s’assurer d’un "effort" désintéressé.
- La rotation des charges organisée de manière périodique au risque de l’instabilité (cela devrait sans doute être cantonné au niveau local pour favoriser la vie commune).
- Faire émerger le débat et exiger le retrait de la vie politique des personnalités politiques convaincues des infractions inexcusables susvisées.
- Exiger un casier judiciaire vierge (avec des aménagements) pour exercer une responsabilité politique locale ou nationale au lieu du système des incompatibilités qui ne font que prévenir les cas les plus évidents en oubliant tous les réseaux et tout le passé judiciaire des personnalités concernées.
- Casser la logique du bipartisme d’une manière ou d’autre autre et de l’appareil des partis "majoritaires"...
- Se renseigner, s’informer !
- Etc....
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