Le Mouvement initié par la Manif pour tous est difficile à décrypter : pas de mots d'ordre officiels, des consignes qui passent par les réseaux sociaux. Cela veut-il dire que ces manifestants sont des militants de rencontre ? Nous avons souhaité donner la parole à deux jeunes qui participent aux manifestations. Guillaume Lévi, centralien et jeune professionnel, a 25 ans. Carl Moy-Ruifey, 22 ans, est élève à Sciences Po Paris et blogueur sur Le Rouge et le Noir. Leur point commun : ils sont chrétiens.
Guillaume et Carl, j'aurais d'abord envie de vous demander qui vous êtes... D'où parlez-vous ?
Guillaume : Nous sommes des militants de base, ni Printemps français, ni Veilleurs, ni Camping pour tous, ni Hommens, ni « Salopards », ni « Comité d'accueils » pour ministres en déplacements professionnels, mais n'hésitant pas à aider les uns et les autres. Depuis le début de cette affaire de mariage homosexuel, nous essayons d'être présents sur tous les fronts dans une opération qui compte déjà quelques réussites... Nous représentons l'un et l'autre, deux parmi des milliers, un mouvement fondateur qui implique toute une génération de catholiques : les manifestants viennent de partout mais ils se sont regroupés autour de viviers de gens formés, comme l'Institut Albert le Grand (Angers), l'ICES (La Roche sur Yon), l’IPC (Paris), qui fournissent des cadres à notre révolte. Pour la plupart, on pourrait dire que nous relevons de « la jeunesse JMJ ». Au départ, nous sommes des catholiques bisounours qui découvrent l'hostilité des médias et du monde. François Hollande a réussi à transformer ces bisounours en militants politiques engagés... contre lui. Un tour de force !
Carl : Je voudrais ajouter une précision à ce que dit Guillaume sur la génération JMJ. Je crois que c'est plus précisément la génération Benoît XVI. Nous n'avons vu que la fin du pontificat de Jean Paul II et une fin difficile. Nous n'avons vraiment reconnu toute l'importance de ce pape qu'au moment de sa béatification... Mais Benoît XVI est un marqueur beaucoup plus important pour notre jeunesse, un marqueur de résistance. Il nous laisse un enseignement, un héritage intellectuel. Sans son Motu proprio sur la liturgie, je ne connaîtrais pas la liturgie traditionnelle et ne serais pas le chrétien que je suis.
Quelle action envisagez-vous ?
Guillaume : Descendre dans la rue et manifester, c'est déjà une action en soi, qui montre que les jeunes ne se résignent pas à la ghettoïsation et à l'enfermement communautariste dans leur sacristie. Les mots ont leur importance à cet égard : « la manifestation pour tous », cela dit bien ce que cela veut dire. Pour ce qui est d'actions à mener, on parle aussi de listes aux municipales, face à des élus UMP qui auront voté pour le mariage homosexuel ou se seront abstenus. Pourquoi pas tenter d'organiser ces représailles ? Cela peut constituer un tremplin pour que certains se lancent en politique.
Carl : Je ne crois pas que l'avenir soit à chercher du côté de la politique. Je crois plutôt à l'émergence d'une élite culturelle, consciente de son identité chrétienne et qui la revendique, avec ou sans la foi explicite et personnelle. La société rompt en visière avec le droit naturel. On ne peut plus rester indifférent devant cette rupture. Je vois à Sciences Po quelques étudiants qui ne sont pas catholiques, mais suivent avec beaucoup de sympathie les militants qui manifestent...
Guillaume : Pour être plus précis au niveau des actions à soutenir, je dirais d'un point de vue personnel, que je suis 100 % en faveur des actions coups de poing. Les militants que nous sommes constituent une minorité dans la population, donc vouloir faire des sit-in ou une veillée sur l'Esplanade des Invalides, comme les Veilleurs, n'exerce pas de véritable pression sur le Pouvoir. Il y a un côté positif parce qu'ils forment leurs militants par des lectures et une ouverture à la culture. Mais la comparaison avec le mouvement de Gandhi aux Indes ne marche pas ! Gandhi avait avec lui 90 % de la population, c'est pourquoi ses actions non-violentes ont eu un tel retentissement. Il nous faut des modes d'action proportionnels à ce que nous sommes.
Mais nous ne sommes pas non plus pour la violence. Il faut organiser des actions démonstratives, symboliques, « médiatisables » immédiatement. Je crois aussi au harcèlement démocratique, qui ne s'en prend pas aux personnes mais à leur fonction. Les Comités d'accueil qui partout en France saluent à leur manière les personnalités en voyage, ont un impact important. J'en profite pour dire qu'il y a une deuxième comparaison incorrecte, après celle de Gandhi : celle de Mai 68. Les barricades, cela ne fonctionne plus. En Mai 68, les étudiants avaient avec eux la plupart des intellectuels, tous ceux que l'histoire retient autour de la French theory, Foucault, Derrida, Deleuze, etc., qui s'employaient à justifier l'action violente des étudiants. Nous n'avons rien de comparable aujourd'hui.
Carl : Pour nous qui tenons le blog Le Rouge et le Noir, nous pensons que la contre-révolution est culturelle d'abord et intrinsèquement liée à l'évangélisation. Mais on constate une ignorance abyssale de notre génération. Même les connaissances les plus élémentaires manquent...
Quel serait le programme des chrétiens de la Manif pour tous ?
Carl : Un programme éthique, avec en première ligne la défense de la famille, de la vie, de la culture de vie. Cette défense passe par un attachement aux réalités, qui signifie le refus de toute idéologie. Ce qui nous différencie avant tout du PS et de l'UMP, c'est la question des valeurs... Et cette affirmation commune des valeurs chrétiennes, favorise l'unité de tous les catholiques sur le terrain. Il naît un respect mutuel entre jeunes catholiques, une volonté de se comprendre indépendante des mots d'ordre venant du clergé ou des évêques.
Guillaume : Il ne faut pas hésiter à évoquer un véritable retour identitaire.
Les manifestations se terminent en veillées scouts avec une affirmation claire de ce qu'on est... des chrétiens !
Propos recueillis par Claire Thomas monde & vie 30 avril 2013