Voici, mon François, une certitude : tu ne resteras pas dans l’histoire pour tes innovations économiques et sociales. L’emploi, la justice distributive, la condition des travailleurs, ces dossiers-là, tu ne les sens pas. Moi non plus, Cornefinance ! Ta sphère d’excellence ? Le sociétal, l’anthropologique ! Dans ces domaines, j’admire la plénitude de ton projet rutilant de cohérence.
Avoir débuté par le mariage unisexe, voilà une preuve de ta génialité. En façade, l’acquisition de droits nouveaux. Très tendance, ça, les droits. Autant que les devoirs sont ringards. En réalité, si les zomos sont aussi nombreux à se marier qu’ils l’ont été, depuis 1999, à se pacser, belle rigolade ! L’essentiel, mon petit cachottier, c’est de pulvériser – boum ! – la référence à la nature, au corps, à la différence des sexes. Et de torpiller – définitivement, j’y compte – la pénible idée de famille.
Ça, c’est sur le plan théorique. Mais il y a aussi tes délicieux tripatouillages physcaux et ta politique, présente et à venir, en matière d’allocations. Bref, la Trappe-à-familles s’est mise à fonctionner. Abstraitement et concrètement. Dans le domaine des principes et dans celui du vécu. Tu es implacable, Dictatounet !
Nouvelle étape, aussi pensée que les précédentes : tu charges une de tes ministresses les plus diplômées de déshumaniser juridiquement l’embryon humain (et par une procédure expéditive hautement digne de ta démocrassie, Jarnicoton bleu !). Or, juste avant, tu as commencé de préparer le terrain à une future et sublime loi pour faciliter l’aller simple vers un monde qui ne risque pas d’être meilleur, vu que ni toi ni moi ni tes copains ne pensons qu’il existe !
« Changer la vie », clamaient tes prédécesseurs en 1972, au temps où le PS essayait d’être socialiste. Mais ça, c’est effroyablement compliqué, et tu l’as bien pigé ! Alors, vendre aux gens la mort sous l’étiquette « Dignité », c’est quand même plus simple ! « On achève bien les chevaux », disait l’autre. Et c’était – déjà ! – pendant une grande crise économique. « Vive la mort ! », gueulait jadis un officier franquiste, assez bête pour afficher ses intentions avec cette hallucinante franchise. Toi, Président, tu es plus discret, Cornephysique !
Ainsi, tu joues sur le commencement et sur la fin, et sur le temps entre les deux. Tu t’en prends à l’alpha et à l’oméga, et à tout l’alphabet qui va de l’un à l’autre. Qu’est-ce donc qu’un humain, sous ton régime ? Au début, pas grand-chose. Vers la fin, pas grand-chose. Entre les deux, pas grand-chose non plus, car l’individu ne bénéficiera plus de la dernière structure qui lui aurait donné le sentiment d’être quelqu’un : la famille.
La notion de vie ne vaudra plus un kopeck. L’idée de nature, non plus. Le biologique, c’est fini. Le corps n’a plus aucun sens. Tout est culturel, social, contractuel. Tout repose sur un choix, Cornegidouille ! L’humanité de l’embryon dépend d’une décision des adultes. La survie des malades, ça se discute. Chacun vaudra ce qu’il fait, ce qu’il gagne, ce qu’il est au regard des autres et de l’État (et l’État, en ce moment, c’est toi !). Voici venir le temps du Grand-Marché, du Tout-Négociable, du Tout-Commercial ! Cette fois, tout sera possible, enfin !
Tu vois, Normalito, si c’était Nicoléon qui, entre deux soirées au Fouquet’s, avait réalisé ça, ce serait infiniment moins marrant. Mais que tu le fasses toi, avec ton air bonasse et ton étiquette socialiste, c’est littéralement irrésistible !
Laisse-moi savourer ce spectacle : le grand retour à la Jungle primordiale et fascinante, à l’originelle Forêt où nous régnerons, nous les seigneurs et les saigneurs, nous les prédateurs sublimes, nous les forts et les géants, nous les défaiseurs de civilisations, nous les aristocrates du libéralo-libertarisme, nous l’inoxydable race des apprentis-sorciers, nous les sauveurs de nous-mêmes, nous les maîtres de la Phynance, nous les voyous suprêmes, nous les brutes archétypiques, nous les oligarques de demain et pour longtemps!
Pense aussi, comme moi, à notre omniprésent complice, à notre hyperactif copain dont je n’ai même pas besoin de dire le nom. Vingt siècles qu’il attend sa revanche ! Depuis cette nuit judéenne où un insolent osa revenir d’où l’on ne revient pas. Depuis cette grosse pierre qui roula, alors que – merdre ! – elle aurait dû rester à sa place dé-fi-ni-ti-ve-ment.
Le Père Ubu http://www.printempsfrancais.fr