Les idées du localisme et de la démondialisation sont séduisantes, elles connaissent actuellement un vogue liée à la crise du système globalisé. Mais il faut s'entendre sur les mots, et ne pas se laisser berner par des politiciens qui les récupèrent pour mieux les dénaturer.
Relocaliser pour produire différemment
Le fait de relocaliser la production industrielle en Europe n'est pas une utopie aussi folle qu'elle peut paraître aux yeux des dirigeants des multinationales. Elle est nécessaire pour redonner à la France et à l'Europe la maîtrise de son économie et garantir son indépendance. Mais ce retour doit se faire en rupture avec la logique du profit capitaliste et impliquer une transformation radicale du système économique et social.
Jouant sur les législations nationales ou régionales, les tenants de l'ultra-compétitivité misent déjà sur la désunion des travailleurs européens pour mieux les exploiter. L'Union Européenne a ainsi permis la libre concurrence en son sein, permettant aux grands groupes (mais aussi à des PME) de délocaliser en son sein des secteurs entiers de la production.
Le cas récent des travailleurs de FRALIB, l'usine des thés "Eléphant", dont la lutte contre la délocalisation de leur usine proche de Martigues, vers la Pologne, éclaire ce mauvais tour. «Ils nous proposaient 5600 euros de salaire pour aller travailler à Katowice en Pologne, se souvient un ouvrier. On s'est dit, c'est énorme. En fait, c'était le salaire annuel, soit 460 euros par mois». Un autre fait le calcul simple de la logique de l'opération : «La part salariale de FRALIB coûte actuellement 15 centimes par paquet de thé. En Pologne, ça passe à 6 centimes. Ils veulent supprimer 182 emplois pour économiser 9 centimes par boîte ?».
Lors des événements en Tunisie, certains chefs d'entreprises du secteur textile ont évoqué l'éventualité de relocaliser en France une partie de leur production pour éviter les risques d'arrêts de celle-ci. Mais ils l'ont fait en demandant qu'une partie de leurs personnels tunisiens soit autorisée à immigrer en France pour continuer à produire avec les mêmes législations qu'en Tunisie (c'est-à-dire des salaires de misère et des rythmes de travail très souples pour les employeurs). L'Etat n'a pas donné suite à la démarche, mais l'idée est lancée.
On l'a compris, la relocalisation vers l'Europe pour avoir une impact positif doit être l'oeuvre d'un pouvoir qui serait au service du peuple. Elle doit servir les intérêts de la communauté et non le patronat. Il est d'ailleurs illusoire de croire que dans le cadre local, le capitalisme soit moins vorace. Au contraire, l'Histoire prouve que les «petits patrons» nationaux peuvent devenir de véritables prédateurs de leurs congénères, soumis qu'ils restent aux impératifs de la concurrence, dictés par la nature même du fonctionnement du capitalisme. Lorsqu'on voit la «success story» du groupe Leclerc, on est vacciné quant à l'éloge de la petite boutique.
La socialisation et le localisme
«Produire français pour exploiter français», non merci ! Dans le cadre d'une socialisation de la France et de l'Europe, nous devrons veiller à mettre en place un mode de production qui soit adapté aux besoins réels des populations européennes. Cela implique que l'activité productive soit dirigée vers le bien commun, qu'elle prenne en compte la préservation de la santé des travailleurs et la préservation de la nature. Une production qui pose aussi le problème du dépassement du salariat et donc de sa réorientation vers des finalités non mercantiles.
La socialisation se fonde sur l'assujettissement de l'économique au politique, la direction politique de l'économie nationale à travers la planification, la transformation des formes de la propriété et la considération du travail comme un service à la communauté générateur de droits politiques.
Cette situation n'est envisageable que dans la mesure où le rapport de force entre les classes commence à s'inverser en faveur des prolétaires à l'échelle de plusieurs pays européens. A partir de là, des mesures de gratuité, de réappropriation de moyens de production et de distribution deviennent possibles.
Le localisme doit être lié au socialisme pour porter un projet alternatif de société. Suivant le principe de subsidiarité, une Europe et une France authentiquement socialistes auront besoin d'être indépendantes dans un monde multi-polaire envers lequel s'appliquerait une politique aux antipodes des rapports de force impérialistes actuels. Pour ce faire une étroite collaboration devrait être envisagée avec les nations de tous les continents s'opposant au modèle de domination mondialiste.
Dans cette optique, l'Europe devra redéfinir ses propres besoins en se donnant les moyens adéquats de les satisfaire. Une planification de l'économie et un développement harmonieux devront s'appuyer sur un vaste réseau de communautés locales qui viseront à une participation collective à la vie économique, sociale et politique. Nous ne considérons pas la production économique comme un programme élaboré par des organismes bureaucratiques ou technocratiques. Comme pour le domaine de la souveraineté politique, des articulations nouvelles seront à créer afin de permettre l'élaboration d'un tissu social riche et vivant.
De nouveaux liens seront tissés entre les individus sur leurs lieux de vie et de travail. D'anciennes solidarités seront ranimées par une volonté de construire un avenir commun.
Source: Rébellion