Des complots de gouvernements maléfiques ne seront pas nécessaires pour réduire la population en cas de crise. La structure même du système va s'en charger.
Pensez un instant à l'état de la distribution des biens et de nourriture dans le monde. On a d'abord détruit l'artisanat : pendant ces 20 dernières années, quelques grands groupes commerciaux, redoutables prédateurs et habiles négociateurs, ont profité des immenses économies d'échelle dont ils disposaient, grâce à leur réseaux de fournisseurs bon marché et grâce à leurs grands volumes d'achats, pour s'installer partout. Ces grands groupes ont été accueillis par les consommateurs à bras ouverts. Installés dans les zones stratégiques, au croisement des grands axes de transports autour de toutes les villes, ils ont signé la disparition d'un très grand nombre de petits commerces. Nous avons collectivement accepté de détruire une partie de notre tissu économique local pour quelques économies sur des produits souvent de mauvaise qualité et dont nous n'avons pas besoin. Nous n'avons pas bien réfléchi à la valeur de ce que nous avons détruit, car ces petits commerces entretenaient des relations avec les producteurs locaux de nourriture. Ceux-ci ont été absorbés par de grands groupes agricoles, ou ont pris leur retraite, sans passer leur savoir-faire aux jeunes. En Occident, dans les pays émergents, et même dans les pays plus pauvres, la nourriture se trouve dans des hyper/supermarchés qui sont approvisionnés par des camions, souvent réfrigérés, qui roulent sur des milliers de kilomètres, entre usines, centres de production, centres de tri logistique, etc. Aux États-Unis, 64% de tous les biens sont transportés par voie routière. Dans un monde aux ressources rares, cela risque bientôt de ne plus pouvoir être le cas. Toute l'industrie fonctionne en flux tendu ou Just in time. Le concept est simple : grâce à une coordination très étroite entre une société et ses sous-traitants, la fabrication se fait dans la plus grande efficience pour minimiser les stocks, ce qui nécessite moins de place de stockage, comporte moins de risque d'obsolescence et donne plus de profits. Les pièces nécessaires à la fabrication des machines sont commandées très fréquemment mais en relativement petites quantités. Le risque d'un tel système est celui des retards d'approvisionnement, de la disparition des fournisseurs ou des sous-traitants, ou des grèves. Le simple retard d'une pièce peut arrêter tout le système. Ce risque est d'ordinaire acceptable car bien géré et parce que le remplacement d'un sous-traitant de manière ponctuelle ou permanente peut se faire avec un minimum de planification. Hélas, cela ne sera plus le cas en temps de crise. Lorsque ses fournisseurs ne sont plus en mesure de fournir - pour cause de chômage, de fermeture, de maladie du personnel - tout le système s'arrête. C'est ce qui s'est passé à petite échelle en 2011, lorsque le tsunami qui a frappé le Japon a causé la fermeture de nombreuses usines en Europe.
Ce qui est vrai pour l'industrie l'est aussi pour la distribution de biens comme les consommables. Dans la grande distribution, des milliers de sous-traitants, producteurs, transporteurs, opérateurs de centres de tri, travaillent de manière coordonnée pour amener la nourriture dans les rayons des supermarchés. Ce que vous voyez dans les rayons, c'est pratiquement tout ce que le supermarché a en stock. Grâce à des systèmes informatiques puissants, tout cela fonctionne comme une horloge. Précis. Efficace. Rentable. Mais au moindre problème, c'est un système qui se retrouve rapidement sous pression. En cas de crise majeure, ce système s'arrêterait complètement. On a vu que au cours de paniques comme celle de l'été 1990 consécutive à l'invasion du Koweït par l'Iraq, les rayons des supermarchés étaient vidés en quelques heures de tous leurs stocks de riz, de pâtes et de lait. Et il faut penser qu'avec des médias alarmistes un mouvement de panique serait vite amplifié. 50% de la population mondiale vit dans des villes et est donc totalement dépendante de ces systèmes complexes d'approvisionnement pour l'énergie, la nourriture, la communication, l'eau, les transports et pour l'évacuation des ordures et des eaux usées. Dans le monde occidental, moins de 2% de la population s'occupe d'agriculture, de chasse ou de pêche. Ces 2% nourrissent les 98 autres. Pire, une bonne partie de la nourriture provient de la monoculture des pays du Sud et peu de ces pays ont une capacité d'autosuffisance alimentaire.
En temps normal, l'Occidental moyen rentre chez lui, son frigo est plein de nourriture, l'électricité fonctionne, les toilettes fonctionnent, le chauffage fonctionne, le téléphone fonctionne, sa connexion internet fonctionne, son salaire est arrivé directement sur son compte et ses paiements sont effectués automatiquement. Nous avons construit une machine économique efficace et complexe et qui s'étend de plus en plus dans le monde. Si la machine s'arrête, les commandes ne passent plus, les camions ne livrent plus, les magasins se vident, les stations d'essence ferment, les policiers et les pompiers n'interviennent plus. Si les lignes électriques se cassent, qui les répare ? S'il n'y a plus d'essence, comment ramasse-t-on les récoltes et les transporte-t-on dans les supermarchés ? La famille typique a en moyenne une semaine de nourriture en stock chez elle. Et après ? Où faudra-t-il aller chercher sa nourriture ? L'Etat sera-t-il capable de ravitailler tout le monde ? La recherche de nourriture restera-t-elle pacifique ? A quel moment l'Occidental moyen deviendra-t-il désespéré et commencera-t-il le pillage, pillage des magasins, pillage de ses voisins, pillage des villes, puis pillage des campagnes ?
L'armée des États-Unis se prépare à faire face avec l'exercice Unified Quest qui va durer toute l'année 2011, et qui a comme objectifs d'étudier les implications, pour citer le document officiel, d'un "effondrement économique à large échelle à l'intérieur des États-Unis, et comment maintenir l'ordre et éviter les troubles". Cet exercice inclut la mise en place de centres d'internement pour des millions d'Américains, centres qui augmenteront encore la capacité des camps pour réfugiés que la FEMA (l'agence gouvernementale qui gère les effets des catastrophes naturelles ou extraordinaires) a mis en place tout au long des années 2000.
Piero San Giorgio, Survivre à l'effondrement économique