L’affaire de la modification, par des responsables de banques, des taux de référence sur lesquels se fondent de nombreux prêts comme de nombreux autres produits financiers ou hypothèques, a éclaté au grand jour en 2012. Mais trois économistes l’avaient établie dans une étude datant de 2009. En voici la preuve.
Lorsqu’éclate au grand jour la nouvelle de la manipulation, à l’été 2012, nombreux sont les chefs de grandes institutions financières et les dirigeants politiques du monde entier, à crier au scandale.
Pourtant, des doutes avaient bel et bien circulé dans les hautes sphères de la finance quant à la manipulation du taux Libor. Ces doutes avaient été mis noir sur blanc [en 2009] par trois économistes, dont l’un travaillant au FMI.
Officiellement, cependant, tout éclate trois ans plus tard, en juin, lorsque la deuxième banque britannique, Barclays, reconnaît la faute de ses dirigeants et accepte de payer 453 millions de dollars aux autorités britanniques et américaines pour clore une affaire civile dans laquelle la Barclays était accusée d’avoir manipulé le Libor (London Interbank Offered Rate), qui est le taux de référence régissant les prêts interbancaires, mais qui gouverne aussi les taux d’intérêt sur de nombreux produits financiers, y compris les hypothèques, essentiellement dans des monnaies autres que l’euro.
Évidemment, ce règlement lui semble à son avantage. Rapidement, cependant, s’ensuit l’une des plus grandes enquêtes ayant jamais eu lieu dans le domaine financier. Non seulement parce que les anomalies touchent même d’autres taux de référence tels que l’Euribor ou le Tibor (Tokyo), mais aussi parce qu’on touche là à la mesure de paramètres jouant un rôle fondamental.
Si la chose est importante pour ceux qui paient l’hypothèque, elle l’est davantage encore en raison de la nature stratégique du Libor. Lequel est le point de référence pour quelque 800.000 milliards de dollars en produits dérivés, produits structurés et prêts à taux variable. Le mécanisme de détermination de ce taux Libor est assez artisanal.
Il prévoit qu’un groupe de banques (leur nombre pouvant varier d’un minimum de 6 à un maximum de 18) communique à Reuters – intervenant en tant qu’agent de la BBA, l’Association des banquiers britanniques – les taux d’intérêt auxquels ils sont prêts à emprunter [à prêter en fait, NdT] des fonds sur le marché interbancaire.
Si les valeurs de ces taux doivent être déterminées par le jeu de l’offre et de la demande, elles peuvent néanmoins résulter de simples estimations. Or, les retoucher d’un seul point de base (0,01% p.a.) peut envoyer d’une poche à une autre des milliards et ce, en seulement quelques secondes. Tant et si bien que la bombe ne s’est pas arrêtée là. Dans un court laps de temps, de nombreuses banques se sont retrouvées dans le collimateur.
Et en décembre dernier, la Commission européenne en est venue à accuser un cartel de six groupes, comprenant RBS, le Crédit Agricole, HSBC, la Deutsche Bank et JP Morgan. Leurs amendes cumulées se sont élevées à 1,7 milliards d’euros. Ces institutions se sont empressées de condamner et de blâmer ces comportements de manipulation, prétendant naturellement tomber des nues.
Pourtant, trois économistes, deux de la BCE et le troisième du FMI, lesquels ont publié en décembre [2013] une étude sur de possibles indices alternatifs, plus résilients aux manipulations, avaient clairement dit le contraire. Nul n’a semblé s’en étonner. Mais ce n’est pas tout. En 2009, ces trois économistes, Vincent Brousseau, Alexandre Chailloux (au FMI depuis 2005) et Alain Durré, avaient déjà publié un document sur les taux interbancaires, en affirmant explicitement (lire le document) la présence de distorsions et de manipulations des taux Libor [et Euribor NdT].
“Le débat sur d’éventuelles distorsions des Libor / Euribor a été alimenté par des informations anecdotiques – dit l’étude – provenant d’autres segments du marché, comme les taux d’intérêt implicites dans les prix des swaps de change, ou encore des informations sur les prix recueillies dans le marché de New York par certains courtiers mandatés pour ce faire par la Réserve fédérale“.
Déjà l’année précédente, deux autres économistes cités par le même texte avaient, par exemple, “montré que les taux sur le dollar résultant de swaps de base ont dévié sensiblement du Libor en période de stress de liquidité“. Ce débat a conduit Brousseau, Durré (qui est également affilié à l’Université de Lille) et Chailloux à une série d’analyses complexes, afin de détecter les symptômes statistiques d’éventuelles irrégularités dans les taux BOR.
Ils concluent qu’après l’effondrement de Lehman Brothers, quelque chose de profondément anormal (“deeply unusual” dans le texte) s’est produit, mais que la période d’observation est trop courte et que le mécanisme implique trop de variables pour que l’on puisse en donner une description proprement scientifique. Mais l’anomalie a été repérée et ils appellent à la recherche de solutions.
Certes, mais…
Près de deux ans après le scandale, près de cinq ans après le repérage de ces étranges distorsions, il est impossible de ne pas se demander pourquoi il a fallu trois ans pour faire, du débat de départ, une enquête des autorités. Et qu’a donc fait le FMI, à l’époque dirigé par Dominique Strauss-Kahn, durant ce long laps de temps ?
Bien sûr, il n’était pas du ressort de ces économistes de porter plainte, mais il était bel et bien de leur ressort d’alerter qui de droit. Mais d’abord et avant tout, ce qui va importer le plus au consommateur final est ceci : si le jeu avait été arrêté trois ans plutôt, combien de milliards déplacés en dehors des règles auraient pu éviter de l’être ? Le risque, cependant, est que les réponses à ces questions soient elle-mêmes manipulées, tout autant que le Libor.
Article original en italien : Il Fatto Quotidiano
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