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Les manifestations ou les laboratoires humains pour la police

Depuis celui de Seattle en 1999, les sommets internationaux comme l’OTAN, le G8 ou le G20 font face à des nouvelles formes d’oppositions et de contre-attaques menées par des mouvements anticapitalistes et révolutionnaires majoritairement blancs et issus des couches favorisées des classes populaires. Les polices du monde occidental y expérimentent de nouvelles méthodes de contrôle des foules susceptibles de contrer ces attaques en provoquant des situations médiatiquement payantes. 

     A Strasbourg, à l’occasion du 21e sommet de l’Otan, en 2009, l’Etat français reprend officiellement sa place au commandement intégré de cette organisation interimpérialiste. Pour l’occasion, le ministère de l’Intérieur organise, selon ses mots, « la plus grande opération de sécurité menée sur le territoire français » – estimée à 110 millions d’euros, dont 60 millions sont investis par la France. Près de 9 000 policiers et gendarmes français sont mobilisés aux côtés de 14 000 policiers allemands. 

     Les 2 et 3 avril 2012, la police tente d’appliquer contre une manifestation de militants anti-impérialistes un dispositif de répression calqué sur le modèle antiémeute conçu pour les quartiers populaires. Elle bloque, deux jours de suite, des cortèges d’activistes anti-Otan au milieu du Neuhof, une cité particulièrement ségrégée en périphérie de la ville. La police ferme les routes et boucle le quartier pour y encager les manifestants. Elle tente de procéder à un contrôle d’identité général et retient le cortège et les habitants encerclés en déployant des gardes mobiles et des CRS. Lorsque la tension lui semble favorable, la police ordonne la dispersion, gaze et charge les activistes et les habitants réunis aux pieds des bâtiments. Elle lance des grenades lacrymogènes, des grenades de désencerclement et tire au flash-ball sur quiconque reste dans le quartier. Chaque jour, des habitants et des manifestants se solidarisent face à la brutalité policière. Tandis que des unités poursuivent les manifestants dans toute la zone bouclée, des habitants surveillent les mouvements de police, transportent des activistes en scooter, d’autres soutiennent les barricades improvisées, des familles ouvrent leurs portes pour abriter les anti-Otan pourchassés, d’autres apportent de l’eau. Le premier jour, l’antenne du commissariat local est saccagée. Les deux-roues réquisitionnés aux habitants par la police sont récupérés et redistribués. La police se lance ensuite dans une battue à travers la forêt pour traquer et capturer les activistes qui s’enfuient. Elle tire, gaze et tabasse ceux qu’elle réussit à rattraper, d’une façon très proche de ce qu’elle inflige d’ordinaire aux damnés intérieurs. Elle procède à 300 arrestations. 

     La police emploie des mécaniques de violence modulables et rationalisées selon le caractère plus ou moins sacrifiable des corps à soumettre. 

     C’est ce qu’explique en 2010 Hubert Weigel, directeur central des CRS : « Ces nouvelles tactiques ont aussi été imaginées par rapport aux importants services d’ordre qui seront mis en place dans certains points du territoire français, à l’occasion de manifestations telles que les réunions du G8 et du G20, en 2011. » Mais « cette formation est surtout destinée à contrer les éruptions de violences urbaines, comme celles par lesquelles nous nous sommes laissés surprendre, voire déborder, à Villiers-le-Bel (Val d’Oise), par exemple » confie un officier de CRS. 

     A travers le renforcement général de l’appareil policier, des formes de violence réservées aux indésirables, aux misérables et aux insoumis sont reconverties pour soumettre les couches supérieures et/ou non ségrégées des classes dominées. La garde à vue, par exemple, est désormais employée régulièrement pour des mauvais conducteurs. Elle implique un certain nombre de violences secondaires : serrer fort les menottes sur les os, cogner la tête de la proie qui s’est débattue contre le véhicule pour l’y faire entrer, attacher le gardé à vue au pied d’un banc, plié durant plusieurs heures, lui faire subir des agressions symboliques (menaces, injures, brimades), le livrer à des tortures blanches comme le refus de lui donner l’heure, lui interdire de parler, lui refuser l’accès aux toilettes, le priver de lumière ou au contraire braquer en permanence un projecteur dans la cellule ou qui que ce soit, plus fouilles et mises à nu en cas de transfert au dépôt. 

     La police conserve certaines techniques d’exception pour les indésirables. Emmanuel Blanchard repère ainsi un « répertoire d’actions de la rafle » opérationnel dans les années 1930, qui se perpétue dans les années 1950 et se maintient encore au début du XXIe siècle. Il est caractérisé par « un investissement massif de quartiers populaires par des agents en tenue, par leur apparence et leur indésirabilité politique et social, préalables à un enfermement sans décision judiciaire, voire à un éloignement selon des modalités administratives ou extra-légales. » 

     Depuis la fin des années 2000, des formes de rafles répondant à cette définition émergent pour soumettre les luttes radicales des couches non ségrégées. La loi sur les « bandes » de mars 2010 favorise ce processus. Le 28 mars 2010, une manifestation déposée en préfecture et autorisée à défiler aux abords de la prison de la Santé, est ciblée pour son caractère anticarcéral. La centaine de personnes présentes est arrêtée dans son ensemble, sans avoir commis aucun acte délictueux, sous prétexte qu’un participant était masqué. L’application du concept de décèlement précoce – forgé par l’idéologie sécuritaire pour justifier la répression de suspects sans qu’ils passent à l’acte – permet d’employer occasionnellement contre des militants appartenant aux franges supérieures des classes populaires certaines techniques infligées quotidiennement aux damnés de l’intérieur. Comme si la police réservée à ceux-ci influençait celle appliquée aux perquisitions avec fracas, aux rafles et aux incarcérations, aux techniques de contention et à l’emploi des armes sublétales, mais de manière exceptionnelle et contenue en comparaison de ce qui est devenu la règle dans les enclaves de ségrégation. A Tarnac, le 11 novembre 2008, la police débarque à grands renforts de journalistes embarqués pour mettre en scène la perquisition et l’arrestation de militants révolutionnaires issus des couches privilégiées. Une partie d’entre eux est incarcérée pendant plusieurs mois au prétexte qu’ils auraient tenté de faire ralentir un train, participé à l’écriture d’un ouvrage jugé subversif et à des luttes collectives mettant en cause radicalement l’ordre social, économique et politique. 

     A Toulouse, le 14 novembre 2012, des unités d’élite de la gendarmerie (unités de recherche et d’intervention) opèrent sept perquisitions avec fracas dans des lieux d’habitation. Ils défoncent les portes, mettent en joue les habitants, leur appliquent des techniques d’immobilisation au sol puis contrôlent les papiers d’identité et font disparaître sans explication une dizaine de personnes. Ils capturent aussi une famille privée de droits. Les personnes arrêtées sont accusées d’avoir jeté des excréments et d’avoir peint des slogans dans un établissement de la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) à Labège au début de juillet 2011. Selon les tracts laissés sur les lieux de l’action, il s’agissait de dénoncer la participation de la PJJ à la répression policière des révoltes dans l’établissement pénitentiaire pour mineurs (EPM) de Lavaure en mai 2011. Des ERIS (unités commandos spécialisées pour soumettre les émeutes en prison) avaient alors été envoyées pour mater les adolescents incarcérés, essentiellement des damnés de l’intérieur. L’action collective menée contre la PJJ est traitée par les services antiterroristes. Suite à la rafle de novembre, quatre personnes sont mises en détention préventive pendant près de trois mois. A leur libération, des contrôles judiciaires sont appliqués aux présumés terroristes. Conjugués aux écoutes téléphoniques et aux surveillances politiques, ces dispositifs établissent un autre système de violence symbolique qui tente de paralyser la vie sociale. Cette extension de dispositifs d’exception sert à mettre en garde les fractions radicalisées des couches privilégiées en menaçant de les traiter comme l’Etat traite les damnés intérieurs. 

Mathieu Rigouste, La domination policière

http://www.oragesdacier.info/2014/04/les-manifestations-ou-les-laboratoires.html

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