Vladimir Fédorovski, écrivain russe d'origine ukrainienne, déclare au Figarovox :
"La guerre en Ukraine est triple: par les armes, par la propagande et par les services secrets. Dans cette triple guerre les journalistes occidentaux sont instrumentalisés. Même à la fin du communisme, période que je connais très bien, les journalistes étaient plus prudents, et les informations fausses ou non vérifiées finissaient par être démasquées -on se souvient de l'affaire des charniers de Timișoara. Aujourd'hui, c'est pire que du deux poids-deux mesures, je suis ahuri par le manque de professionnalisme des journalistes, notamment français. Les journalistes allemands et américains sont plus pointus, les Français, sont souvent politiquement correct et voient le monde en noir et blanc.
Or, comme l'a dit Hubert Védrine dans vos colonnes, «la haine ne fait pas une politique». La présentation unilatérale du massacre d'Odessa, imputé à la responsabilité russe, alors ce sont des russophones qui ont été brulés vifs, est à cet égard significative. Les journalistes ont donné les réponses avant de poser les questions, concluant à la culpabilité russe.
Il y a une propagande exagérée du côté russe aussi, évidement. Mais cela peut se comprendre: les journalistes russes vivent sous un régime autoritaire et n'ont pas vraiment le choix. Mais en Occident, la propagande est le triomphe du politiquement correct qui prime sur l'analyse. [...]
On ne peut m'accuser d'être complaisant avec Poutine. Je n'ai pas attendu la crise ukrainienne pour le critiquer. Mais je suis effaré par la diabolisation qui en est faite. Quand Mme Clinton compare Vladimir Poutine à Hitler, c'est effrayant de bêtise. Poutine défend les valeurs traditionnelles face à un Occident qui selon lui se serait «dégonflé» face à l'islamisme (pour lui l'islamisme modéré n'existe pas plus que le communisme modéré) et aurait abandonné le combat idéologique. Il se présente comme le rempart au déclin de l'Occident face à l'islam. Il incarne l'antithèse de la gauche caviar, c'est pourquoi l'élite médiatique le déteste. [...]
Cette russophobie de la presse est inversement proportionnelle à celle du public. [...] Je mets en garde les journalistes occidentaux: à jouer le jeu- sans en être conscients sans doute- de certains services secrets, ils se font les boutefeux du conflit. Ils entretiennent un climat de guerre civile en Ukraine, qui pourrait conduire à un grand conflit généralisé. Je dis souvent pour faire peur que l'Ukraine pourrait être le Sarajevo de 2014. C'est possible. [...]
Les Américains ont essayé d'humilier la Russie, c'était la stratégie de Brzeziński (conseiller de Carter), après la chute du communisme. Or quand vous humiliez un pays, il faut s'attendre à ce qu'il y ait un esprit de revanche et un retour de bâton autoritaire. C'est ce qui est arrivé avec l'Allemagne après le Traité de Versailles. C'est l'humiliation de la Russie dans la période post-communiste qui a conduit Poutine au pouvoir et qui guide sa politique aujourd'hui.
Depuis un ou deux ans, les Américains renouent avec cette ambition: il faut descendre Poutine. Ils veulent casser l'axe Russo-allemand naissant, notamment par le Traité transatlantique. En faisant cela, ils repoussent la Russie vers la Chine, ce qui est catastrophique pour tout le monde. Poutine a gagné la Crimée et perdu l'Ukraine. L'Occident va gagner l'Ukraine mais perdre la Russie. Tout le monde est perdant."